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PRÉDESTINATION. S. AUGUSTIN, L’ÉLECTION


livre aient le caractère formel que requiert un agencement logique en vue d’une synthèse. Le mélange qu’il l’ait habituellement des deux ordres d’intention et d’exécution rend sa pensée moins immédiatement évidente. Nous allons le constater plus particulièrement à propos de l’élection divine. Augustin était surtout préoccupé d’établir sa gratuité. La doctrine semipélagienne l’y invitait. Mais quelle place assignait-il à cette élection dans l’économie de la prédestination ?

1. A première vue, il semble que, pour Augustin, l’élection suive la prédestination proprement dite. — Distinguant la vocation efficace de la vocation non efficace, il assure que l’élection est l’effet de la première : quonitim serundum proposition vocati sunt , profecto et electi surit… non enim sic sunt vocati ut non essent electi. De corr. et (/rat., vii, 13, t. xi.iv, col. 924. La réalisation de la prédestination que le saint docteur a ici en vue justifie cette postériorité de l’élection.

Dans le même sens, il dit : electi sunt de mundo ea vocatione qua Deus id quod prædeslinavil implevit. De prœd. sanct., xvii, 34, t. xi.iv, col. 986. Et c’est bien de réalisation qu’il s’agit, puisque l’élection est donnée ici comme le résultat de la vocation par laquelle s’accomplit la prédestination.

Mais comment Augustin parle-t-il de l’élection dans l’ordre de la prédestination éternelle ? Notons d’abord qu’il emploie le mot electi, indifféremment, quand il traite de la prédestination éternelle et quand il a en vue la réalisation dans le temps, tandis que le mot discreli ne s’entend que dans le premier cas.

Et il explique alors l’élection en disant : electi sunt anle mundi constitutionem ea prædestinalione in qua Deus sua futura facla prwscivil. Ibid. Elle est donc le résultat de la prédestination, mais entendons de la prédestination totale, adœquale sumpla, puisque, d’après ce même texte, elle est aussi un effet de la prescience. Ce qu’Augustin exprime ailleurs, plus clairement encore, en parlant de ceux qui ne persévèrent pas : Son enim sunt a massa illa perditionis prsescienlia Dei et prædestinalione discreli, et ideo née secundum proposilum vocati ac per hoc nec electi. De corr. et gral., vu, lti, t. xliv, col. 925. Le saint évêque assure que l’élection est impossible sans la prédestination dont elle est l’effet : Eleijit Deus in Christo, anle constitutionem mundi, membra ejus ; et quomodo eligerel eos qui nondum erant, nisi prædestinando ? Elegit ergo prædestinans nos. De præd. sanct., xviii, 35, t. xi.iv, col. 986. L’emploi du gérondif prædestinando qui indique, plus qu’une concomitance, une causalité, semblerait donc ne laisser aucun doute sur la pensée d’Augustin. Le discernement ou l’élection seraient ainsi pour lui l’œuvre de la prescience et de la prédestination, celle-ci comprenant, du reste, tous les actes divins de l’ordre d’intention. Qu’on se garde, cependant, d’une pareille conclusion.

2. En réalité, l’élection précède la prédestination proprement dite. — Augustin, nous l’avons dit, parle surtout de l’élection pour en défendre la gratuité contre les semi-pélagiens. Dans le système de ces derniers, l’élection était liée à la prescience entendue à leur manière et réglée par elle : Præsciebat ergo (Deus), ait Pelagius. qui futuri essent sancti et immaculati per liberæ voluntatis arbilrium et ideo eos anle mundi constitutionem, in ipsa sua prseseientia qua laïcs /uluros esse prasscivil elegit. Ibid., 36. Pour Félage, donc, l’élection suivait la prescience, mais une prescience dont l’objet était extérieur à Dieu et s’imposait à Lui, en quelque sorte. De plus, cet objet était futur, même pour Dieu (nous avons relevé plus haut cette contradiction) et l’élage pensait ainsi résoudre l’antinomie signalée par saint Augustin : Quomodo eligerel eos qui nondum erant : « Elegit ergo, inquil (Pelagius), anlequam essenl, prédestinons filios quos f uluros sanctos imnuiiulatosque

prœscivil, Ibid. Mais ce n’est là qu’une solution vainc et le saint évêque de rapporter avec plaisir ces paroles de l’hérétique, qui sont la condamnation même de sa doctrine : U tique Ipse non fecit nec se facturum. sed illos futures esse prævidit. Ibid. Dieu ne serait donc pour rien dans la vie de ses saints qui serait pour lui comme un domaine fermé d’avance. Il ne lui resterait qu’à constater leur sainteté présente ou à venir, à les élire en conséquence, à les prédestiner, en leur donnant sans crainte des grâces, dont il est assuré par sa prescience qu’ils n’abuseront pas. Quelle impiété cependant de faire que Dieu ne soit plus qu’un spectateur passif de l’œuvre du salut ! Aussi est-ce pour en faire justice qu’Augustin rend à Dieu toute l’initiative, qu’il enseigne, comme nous l’avons vii, une prescience active et opérante et que, à l’élection imposée à Dieu du dehors dans la théorie semi-pélagienne, il oppose une élection, terme et résumé de toute l’action divine prédestinante : Elegit prædestinando.

Mais conclure de là que, pour le saint docteur, l’élection suit la prédestination dans son acception formelle, ce serait pour le moins solliciter sa pensée sinon la fausser. Qu’on se rappelle, en effet, l’objet qu’il assigne à la prescience dans la prédestination : Quæ danda essent qui bus danda essent Deum non prascire non ]>oluisse, ac per hoc prædestinatos ab illo esse, quos libéral et coronat. De dono pers., xvii, 43, t. xlv, col. 1020. La prescience suppose donc le terme du choix divin : quibus danda essenl, et, pour autant, l’élection et la prescience précèdent la prédestination proprement dite. Aussi Augustin, qui n’ignore tout de même pas l’ordre logique des opérations divines, écrit-il formellement : Elegit ergo nos Deus in Christo anle mundi constitutionem, prædeslinans nos in adoptionem filiorum : non quia per nos sancti et immaculati futuri eramus sed elegit prædestinavitque ut essemus. De præd. sanct., xviii, 37, t. xi.iv, col. 987-988. Et dans le même sens : De massa illius perditionis quæ facla est ex Adam, non discernil heminem, ut eum facial vas in honorem, non in contumeliam, nisi Deus. Epist., ccxiv, 3, t. xxxiii, col. 969.

3. Le caractère électif de la prescience.

L’élection précède donc la prédestination proprement dite, niais précède-t-elle ou suit-elle la prescience ?

Pour les semi-pélagiens l’élection était consécutive à la prescience des mérites et réglée par elle. Augustin réfute cette ordination, en commentant saint Paul : Sicut elegit nos in ipso unie mundi constitutionem (Eph., i, 4). Quod pro/eclo si proplerea diclum est quia prœscivil Deus crediluros, non quia faclurus fueral ipse credenles, contra islam præscienliam loquitur Filius dicens : « Non vos me elegislis, sed ego elegi vos », cum hoc polius præscierit Deus, quod ipsi cum fuerant elccluri, ut ab illo mererentur eligi. De præd. sanct., xvii, 34, t. xliv, col. 985. Mais il faut reconnaître que, là-dessus, il ne précise point sa propre pensée. Cependant, nous croyons pouvoir conclure que, d’après lui, l’élection n’est pas postérieure à la prescience. Nous avons vii, en efïet, que la prescience supposait le terme du choix divin : Quibus danda essent Deum non prsescire non potuisse. De dono pers., xvii, 43, t. i.v, col. 1020. De plus, tout nous porte à croire que, par suite peut-être du caractère trop concret de son enseignement, le saint docteur ne distingue pas formellement l’élection, en tant qu’action divine, de la prescience qui a pour objet les prédestinés et les persévérants : ceux-ci étant præscieniia discreli. Cette conception, étant donnée la notion que nous avons exposée de la prescience divine dans la prédestination, n’a rien que de très légitime. C’estdonc, pour Augustin, la prescience divine qui connaîl et choisit tout ensemble ; ce que son caractère actif, que nous avons signalé, explique fort bien. Autre avantage de cette concep-