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2857 PRÉDESTINATION. S. AUGUSTIN, LE DÉCHET ÉTERNEL

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Nous verrons plus loin qu’Augustin ne l’admet pas davantage.

7° Les rapports de la prescience elcle la prédestination.

— Nous avons vu comment saint Augustin entendait la prescience divine dans la prédestination et quel terme il assignait à la prédestination même. Il sera du plus haut intérêt d’examiner quelles sont, pour lui, les relations qui existent entre ces deux actions de Dieu dans l’économie du salut. C’est, en effet, sur la nature de ces relations que se sont divisés, au cours des siècles, les interprètes de saint Paid, exégètes et théologiens. On se rappelle les trois hypothèses avancées par Prosper (ci-dessus, col. 2842 sq.) :

1. La prescience est-elle réglée par le décret divin, de telle sorte que l’objet de celui-ci soit l’objetde celle-là ? — 2. Le décret est-il réglé par la prescience (du moins dans le cas des adultes) ? — 3. Tant chez les petits enfants que chez les adultes, la prescience est-elle, logiquement s’entend, postérieure au décret ?

La réponse d’Augustin sera en faveur de la première hypothèse.

Le saint docteur, en effet, ne sépare pas l’une de l’autre la prescience et la prédestination, mais au contraire lesexplique l’une par l’autre : Viam impiorum non novit Dominus quia sinislra est : sricul diclurus est eliam itlis ad sinistram constitutis : « Non novi vos ». Quid est autem quod ille non novit qui ulique novit cmnia, sive bona hominum, sive mata ? Sed quid est, non vos novi, nisi laies vos ego non feci ? Qucmadmodum illud, quod diclum est de ipso Domino Jesu Christo qui < non noverat peccatum » (II Cor., v, 21). Quid est ? non noreral nisi quia non fecerat. Epist., ccxv, 6, t. xxxiii, col. 973. Ce que Dieu fait, c’est cela même qu’il connaît. Mais, dira-t-on, ni cette action, ni cette science divines ne sont en rapport avec la prédestination ? Écoutons Augustin lui-même : Ac per hoc quod diclum csl, « vias quæ a dextris sunt, novit Dominus » (Prov., iv, 26, 27), quomodo intelligendum est, nisi quia ipse tecil vias dextras id est, vias justorum, quæ sunt utique opéra bona quæ præparavit Dominus, sicut dixit Aposlolus, ut in illis ambulemus (Eph., ii, 10). lbid. Il entend donc bien parler prédestination. Ce dernier texte de saint Paul lui est des plus familiers quand il traite ce sujet.

Ainsi pour l’évêque d’Hippone, connaître les voies des justes, c’est les préparer. De corr. et grat., xii, 36, t. xi. iv, col. 938 : La prescience qui est en question est donc une prescience active, opérante. Qu’on se souvienne du caractère transcendant de l’opération divine dans la prédestination, et l’on pourra déjà présumer du rôle de cette prescience.

Ce n’est pas de cette manière que Dieu connaît les voies des impies, qu’il connaît cependant. Il les connaît de cette autre prescience que nous avons vue étrangère à la prédestination et dont l’objet n’est autre que les non-prédestinés, leur perversité ou tout au moins leur non-persévérance : Vias autem sinislras perrersas, id est vias impiorum non ulique novit, quia non eas ipse fecil homini, sed homo sibi, propler quod dicit : Odivi autem ego perversas vias malorum, ipsæ sunt a sinislris. Epist., ccxv, (i. t. xxxiii, col. 973.

Augustin est si éloigné de séparer la prescience de la prédestination, qu’il affirme que celle-là n’existe que par celle-ci : Hœc inquam Dci dona, si nulla est prsedestinalio quam defendimus, non prsesciuntur a Deo. De dono pers., xvii, 47, t. xlv, col. 1022. Elles se rencontrent dans un même objet : Hœc igitur… ita Deus vocatis suis daturum se esse præscivil, ut in ipsa prædeslinatione jam dederil. Ibid., xxiii, 65, col. 1032. L’objet de la prescience, c’est le don futur de Dieu : Dcus daturus ; celui de la prédestination, c’est le don de Dieu s’accomplissant : in ipsa prædeslinalione jam dt derit.

Mais, si la prescience qui nous intéresse ne peut être séparée de la prédestination, celle-ci ne peut même pas exister sans cette prescience. Expliquant l’Apôtre, Augustin nous dit : …Quod autem sequitur : < Quæ præparavit Deus ut in illis ambulemus i prædeslinalio est, quæ sine præscientia non potest esse. De præd. sanct., x, 19, t. xliv, col. 975. En quel sens, cependant, Augustin veut-il que la prescience accompagne la prédestination ? Comme une règle extérieure, comme une condition de la position par Dieu de son acte prédestinant ? Aucunement. La prescience dont il s’agit n’a pas d’objet hors de Dieu. Parler de prescience des mérites serait un contresens : Prædeslinalione quippe Deus ea præscivil, quæ fuerat ipse faclurus. Ibid. Ce sont les choses que Dieu fera qui sont l’objet de cette prescience, laquelle s’exerce en raison de la prédestination, Prædeslinalione præscivil. Cet ablatif est plein de sens. Car une autre prescience peut s’exercer en dehors de la prédestination (et nous en revenons à la distinction des deux sortes de prescience donnée plus haut) : Potest autem esse sine prædeslinalione præscientia. Ibid. Mais alors son objet est tout autre : Prœscire polens est (Deus) eliam quæ ipse non jacil, sicut quæcumque peccata… Ibid.

Augustin est à ce point convaincu de l’étroitesse des relations entre la prescience et la prédestination que, pour lui, celle-là implique celle-ci : Sec ulla futura dona et quæ danda essent et quibus danda essenl Deum non præscire poluisse ac per hoc prædeslinalos ab Mo esse quos libéral et coronal. De dono pers., xvii, 43, t. xlv, col. 1020. Dieu ne peut pas ne pas connaître à l’avance ses propres dons et ceux qui en seront les bénéficiaires : du même coup, ceux-ci sont prédestinés (d’où le caractère actif de la prescience divine). Et c’est pourquoi Augustin va jusqu’à définir la prédestination par la prescience : prædestinasse est hoc : prœscisse quod fuerat ipse faclurus, ibid., xviii, 47, col. 1023, jusqu’à vouloir qu’un même nom puisse leur convenir, celui de prescience : unde aliquando eadem prœdeslinalio signi/icatur eliam nomine præscientia, sicut ait Aposlolus : Non repulit Deus ptebem suam qutun. præscivil (Rom., xi, 2). Hic quod ail « præscivil non recte intelligitur, nisi « prædestinavil ». Ibid. Enfin, dès lors qu’il s’agit de vocation des élus, c’est-à-dire de vocation efficace à la gloire, qui empêche que l’on entende, sous le nom de prescience employé par les commentateurs de la parole divine, la même prédestination ? Ibid., xix, 48, col. 1023.

Par où l’on voit que, pour le saint docteur, la prescience divine est l’action par excellence de Dieu prédestinant. C’est qu’elle implique à la fois dans son objet et l’objet de la prédestination : le don divin, soit dans sa préparation (ordre d’intention ou de la promesse), soit dans son accomplissement (ordre d’exécution ou de réalisation), et l’objet de l’élection : les bénéficiaires de ce don, tant dans l’ordre d’intention : les discreli, que dans l’ordre d’exécution : les vocati secundum propositum et les persévérants. Et quoi d’étonnant que la façon de comprendre la prescience divine soit pour Augustin le critère de l’orthodoxie de toute doctrine sur la prédestination ! Porro si hœc ita noverunt Deum dure ut non ignorarent eum daturum se esse præscisse, et quibus daturus effet non poluisse nescire, procul dubio noverunt prædestinationem quam per Aposlolus prædicatam… defendimus. Ibid.. xx. 50, col. 1025.

8° L’élection divine ou la vocation secundum propositum. .S’a place dans l’économie de la prédestination. — Pour justifier l’ordre que nous suivons dans l’étude des actes divins qui composent la prédestination, rappelons encore qu’Augustin ne traite de celle-ci que dans son acception globale. Son enseignement est trop dégagé de tout système pour que les notions qu’il nous