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    1. PRÉDESTINATION##


PRÉDESTINATION. SAINT AUGUSTIN, LE MYSTÈRE

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(’.crics, saint Augustin veut écarter la confusion des deux ordres naturel et surnaturel (non Ma creatione qua homines facti sumus) que pourrait provoquer le même mot de « création » appliqué à chacun d’eux, mais, cette précaution prise, il entend bien la préparation par Dieu de notre activité surnaturelle comme une action des plus profondes, à la manière de la création. Est-il possible d’exalter davantage l’action divine au-dessus de l’action humaine ? Et si l’on songe qu’Augustin n’est aucunement, ici, préoccupé d’établir l’infaillibilité du résultat, mais seulement qu’il considère comment l’homme devient, sous l’action de Dieu, un bon ouvrier de son propre salut, bien méritant de la vie éternelle, quelle présomption en faveur de son enseignement !

Il pourra donc, en contractant une parole semblable de Paul, formuler le principe suivant : Ipsa bona opéra Me in bonis operatur, de quo dirlum est : « Deux est enim qui operatur in vobis et velle et operari, pro bona voluntate. » Ibid., ix, 21, t. xliv, col. 893.

Que devient cependant le libre arbitre ? C’est Augustin lui-même qui pose la question, car il est le premier à se rendre compte de tout ce qu’a d’absolu le principe qu’il vient d’énoncer. Et il répond non pas en concluant au mystère, qui, pourlui, se trouve ailleurs, mais en affirmant que le libre arbitre reste intact. Il en donne comme preuve l’Écriture et les préceptes divins qu’elle renferme et qui supposent la liberté chez l’homme de les enfreindre ou de les observer : Non enim quia dixit : « Deus est enim qui operatur in nobis velle et operari pro bona voluntate », ideo liberum arbitrium abslulisse putandus est. Quod si ita esset, non superius dixisset : « Cum timoré et tremore veslram ipsorum salutem operamini » (Phil., ii, 13). Quando enim jubetur ut operentur, liberum eorum convenitur arbitrium. Ibid., col. 894.

Subordination de l’activité humaine.

Corrélativement

à la transcendance de l’action divine, Augustin enseigne la subordination de l’activité humaine. Le même argument tiré des préceptes l’y invite : Hœc imperat Deus quæ fieri possu.nl : sed ipse dédit ut faciant, eis qui facere possunt et faciunt ; et eos qui non possunt, imperando admonet a se poscere ut possint. Op. imp. conlr.i Jul., II, cxvi, t. xlv, col. 1297. Par où l’on voit que cette subordination conditionne non seulement l’action, mais jusqu’aux possibilités de l’action : eos qui non possunt… ut possint. C’est donc une subordination radicale. Le « faire » et le « pouvoir faire » nous viennent de Dieu.

Ce qui, du reste, ne nous réduit pas à un rôle de passivité : Ideo hœc (i. e. credere et facta carnis mortificare ) et nobis præcipiuntur et dona Dci esse monslraniur, ut intelligatur quod et nos ea facimus et Deus jacil ut Ma faciamus, sicut per prophetam Ezechielem apertissime dicil. Quid enim apertius quam ubi dicit : « Ego jaciam ut faciatis » (Hz., xxxvi, 27). De prsed. sanct., xi. 22, t. xliv, col. 970. Et cependant, si Deus jacit ut faciamus, il s’agit d’une subordination essentielle. C’est un enchaînement de causalités per se dans lequel l’homme tient de Dieu toute sa raison d’agent libre. Augustin se plaît à le répéter : Aperlissime Deus dicil eos bona esse facturos. C’est donc bien l’action de l’homme qui s’exerce : Sed se faciente ut ea faciant ; ait quippe inter cœlera : « Et jaciam ut in justifteationibus meis ambuletis et judicia mca observetis et facietis » (Ez., xxxvi, 27), Op. imp. contra Jul.. I. cxxxiii, t. xlv, col. 1133, mais en dépendance absolue de l’action divine. Contra duas episl. Pelug., IV, vi, 15, t. xliv, col. 620.

Doctrine qui trouve toute son application dans la prédestination : Ideo utrumque verum est et quia Deus pneparat vasa in gloriam et quia ipsa se préparant. Ut enim facial homo, Deus facil ; quia ut diligat homo, Deus

prior diligil. Ineffable principe sur lequel saint Thomas étalera un jour son profond traité de la charité.

l Le point précis du mystère se trouve selon Augustin, dans l’impossibilité pour l’homme de trouver des raisons du choix divin. - C’est là une de ses affirmations les plus familières. C’est à cette impossibilité qu’il accule ses contradicteurs. C’est d’elle qu’il s’autorise pour justifier L’insuffisance de ses explications. C’esl elle enfin qui lui garantit sa propre fidélité a la doctrine de saint Paul. Et c’est pourquoi, sans doute, il l’a considérée à tant de points de vue.

Il en parle, lorsqu’il traite du mystère selon l’ordre de la prédestination éternelle : Cur autem islum potius quam illum libcrel. « inscrulabilia sunt judicia ejus et investi gabiles vite ejus « (Rom., xi, 33). Melius enim et hic audimus nul dicimus : « O homo tu quis es qui rcspondeas Deo » (Rom., ix, 20), quam dicere audemus, quasi noverimus. quod occ.ultum esse voluil, qui tamen aliquid injustum velle non potuit. De prted. sanct., viii, 10, t. xliv, col. 972, 973. C’est pour lui comme un refrain qu’il ne lui coûte pas de répéter : Sed quare illos potiusquam illos ? Iterum nique iterum dicimus. nec nos piget : « O homo lu quis es qui respondeas Deo …. Et hoc adjiciamus. « Altiora te ne quæsieris, et jortiora te ne scrutatus jueris. » (Eccl., iii, 22.) De dono pers., xii, 30, t. xlv, col. 1011. Chercher des raisons du choix divin n’est donc, à ses yeux, qu’orgueil et présomption. Et notons qu’Augustin n’avait pas attendu les difficultés semi-pélagiennes pour s’exprimer de la sorte. Qu’on se réfère au De peccatorum meritis et remissione, t. xliv, col. 125, à YEpistola CLXXXVI, 23 et 24, t. xxxiii, col. 824, à son ouvrage Contra duas epist. Pelag., IV, vi, 10. t. xliv, col. 620 et 621 : c’est toujours la même doctrine respectueuse des secrets jugements de Dieu.

Dans l’ordre de la réalisation temporelle, le saint docteur est plus explicite encore, s’il se peut. Le mystère du choix divin est longuement exposé dans le De div. quæst. ad Simpl., à l’occasion du texte de l’Apôtre : cujus vull miserctur et quem vul ! obdurat. C’est là, dit-il, le fait d’une secrète équité impénétrable à la faiblesse humaine : esse alicujus occultée atque ab humano modulo investigabilis œquitatis. I, xvi, t. xl, col. 120. Plus loin, il dénonce l’arrogance qu’il y aurait pour les débiteurs que nous sommes à examiner la gestion de Dieu : a quibus autem exigendum et quibus donandum sil, superbe judicunt debitores. Ibid., col. 121.

Selon lui, deux choses mettent particulièrement en relief ce même mystère : la collation du don de persévérance et le sort inégal des petits enfants. Qu’avons-nous à nous étonner, dit-il, de l’impénétrabilité des voies divines ? Il y a bien des choses, soit intimes comme la santé, le talent, soit extérieures comme la fortune, les honneurs, dont la répartition relève de Dieu seul. Mais occupons-nous seulement de ceux qui, ayant d’abord bien vécu, meurent dans l’impénitence finale : De his enim disserimus, qui perseverantium bonitatis non habent, sed ex bono in malum. déficiente bona voluntate, moiiuntur. De corr. et gral.. viii. 19, t. xliv, col. 927. Eh bien, ceux-ci posent déjà un mystère auquel il est impossible de répondre. Pourquoi, en elïet, tandis qu’ils vivaient dans le bien, Dieu ne les a-t-il pas soustraits aux périls de l’existence, prévenant ainsi leur chute ? Il le pouvait, et il savait qu’ils feraient le mal. La preuve, c’est que l’Écriture nous affirme qu’il l’a fait pour certains : Raptus est ne malilia mutaret intellectum ejus (Sap., iv, 11). Cur ergo hue tam magnum beneficium aliis dat, aliis non dat Deus, apud quem non est iniquitas, nec acceptio pefsonarum cl in cujus potestate est quamdiu quisque in hac vita maneat, quæ tentatio dicta est super terram.’Ibid. .Même pensée ailleurs : De præd. sanct., xiv, 26, t. xliv. col. 980. Il ne reste à Augustin que d’avouer son igno-