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PREDESTINATION. SAINT AUGUSTIN


cipation des biens futurs et obtiennent la justification par la foi. Ibid., col. 828 D-829. Le cardinal Mai se croit en droit de noter : Observent scholastici prædestinalionem post prævisa mérita a Cyrillo perspicue tradition. C’est une exégèse possible du texte pris en lui-même, niais elle suppose tout un contexte théologique fort étranger à la pensée grecque. Cyrille mentionne seulement la série des actes divins comme l’avait fait saint Paul. Ici. comme ailleurs chez les Grecs, l’action divine est envisagée à partir de ses effets. Ceux qui ont été justifiés et glorifiés sont ceux qui ont été prédestinés et préconnus par Dieu. Il semble que ce soit là le vrai sens du texte. En effet, un peu plus loin, Cyrille discute en théologien la prédestination de Jacob et la réprobation d’Ésaii. Il fait de nouveau appel à la prescience pour légitimer les choix divins et montrer la justice de Dieu qui discerne les bons des méchants. In Rom., ix, 14-24, col. 836. La discussion qui fait suite à ce passage rappelle de près les développements parallèles d’Origène et s’organise autour des mêmes textes de Paul.

6° Saint Jean Damascène se présente lui aussi comme l’écho fidèle de la tradition antérieure. Ainsi que l’avaient fait ses prédécesseurs, il utilise le terme de prescience ; mais, plus soucieux de précisions, il spécifie que la prescience divine a pour objet les actes libres, tandis que la prédestination, ou plutôt la prédétermination, s’applique aux effets des causes nécessaires : « Dieu ne prédétermine pas, où irpoopîÇet., toutes choses. Il préconnaît, 7rpoyi.vG>axEi, les choses qui dépendent de nous, il ne les prédétermine pas. En effet, il ne veut pas le mal et ne contraint pas la vertu… Il prédétermine, upoopÉÇeo, au contraire, selon sa prescience, xorcà T7)v Trpôyvwatv, les choses qui ne dépendent pas de nous ». De ftde orth., ii, 30, P. G., t. xciv, col. 972 A ; même doctrine : Contra manichœos, 79, P. G., t. xciv, col. 1577 B. Cette prescience divine qui s’applique aux actes libres revêt d’ailleurs chez le Damascène, comme chez Origène, un caractère pratique. Selon sa prescience, Dieu concourt à toute bonne action dont nous lui restons redevables. De ftde orth., il, 29, col. 968 A. D’ailleurs, de façon générale, « Dieu est l’auteur de tout bien et, sans son secours, èxrôç -rr)ç ocÙto’j (Tuvspytxç xal PoTjGeÉaç, nous ne pouvons vouloir ni faire aucun bien ». Ibid., ii, 30, col. 972-973.

Ainsi que le montre excellemment Le Quien, dans une note fort érudite sur ce texte (note 98), l’auteur du De ftde orlhodoxa soutient ici une thèse commune à tous les théologiens grecs. Cette doctrine ne l’empêche pas d’ailleurs, lui non plus, d’assurer que la prescience n’est pas cause, od-na, de nos actes, c’est parce qu’ils seront que Dieu les prévoit tels. Contra manichœos, 79, col. 1577 B. On reconnaît ici les formules auxquelles Origène a donné droit de cité dans la théologie grecque. Ailleurs le Damascène écrit plus brièvement : « les choses qui dépendent de nous ne dépendent pas de la prescience divine mais de notre libre arbitre. » Il est évident qu’il s’agit en tout ceci de notre responsabilité morale qui reste entière malgré la prescience divine.

Comme ses prédécesseurs, le Damascène enseigne également que Dieu veut sauver tous les hommes. Il est bon et il veut que nous participions à sa bonté. C’est ce que le théologien appelle la première volonté de Dieu, la volonté antécédente, 7ypoï]YO, V £VOV 6éXr)u.a, la volonté de bienveillance, eùSoxtoe. Quant au mal, Dieu ne le veut pas, il se contente de le permettre ; mais, comme conséquence du mal, il veut le châtiment, car il est juste. C’est là l’objet de la seconde volonté, volonté conséquente, consécutive au mal accompli plutôt que simplement prévu. De ftde orth., ii, 29, col. 969 ; Contra manichœos, 79, col. 1577 D. En elfet,

nous restons toujours, avec le Damascène comme avec tous les Grecs, dans un ordre strict d’exécution.

Y. Conclusion. Si l’on veut caractériser en quelques mots la théologie grecque de la prédestination dans son opposition avec la théologie latine, il semble bien qu’il faille insister principalement sur ce fait que les Grecs s’accordent à considérer toujours l’action divine à partir de ses effets. Ceux qui ont librement fait le bien seront sauvés ; ceux qui, librement, ont fait le mal, seront justement punis. Dieu, dans sa bonté, donne à tous les moyens de faire le bien et de parvenir au salut, ses intentions sont envisagées de façon concrète, c’est-à-dire, en liaison avec leurs résultats dans lesquels l’action humaine joue évidemment son rôle ; Dieu « ne préjuge et ne préjustifie pas » ; l’effet dernier, la récompense ou le châtiment est toujours imputable à l’homme. On peut dire, en somme, que cette manière d’envisager la question supprime le problème théologique de la prédestination. Pour le poser, il faudrait envisager l’ordre des intentions divines tel qu’il existe en Dieu de toute éternité et selon lequel certains sont prédestinés de préférence à d’autres. Il faudrait surtout mettre en regard du caractère universel de la volonté salvifique, qui n’est pas efficace pour tous, la toute-puissance de la volonté divine, qui s’accomplit infailliblement pour certains. En un mot, il faudrait à la fois spéculer sur des concepts abstraits et envisager la question du point de vue transcendant des attributs divins et de la vie divine.

Or, les Grecs, dans la question qui nous occupe, ont manifesté une répugnance invincible et qui paraît bien être délibérée, pour des considérations de cet ordre. A plus forte raison ne pouvaient-ils ni poser, ni résoudre le problème de la prédestination anle vel post prævisa mérita, qui suppose évidemment une spéculation portant directement sur les intentions divines. Aussi la théologie grecque pourra sembler, en ces matières, quelque peu rudimentaire et imparfaite. Il est cependant juste de faire remarquer combien ses conclusions sont proches des données de la foi et comment, sans porter aucune atteinte à la transcendance divine, elles font sa juste part à l’initiative et à l’action humaines dans l’économie du salut. Il semble que, dans ces difficiles questions, un tel éloge ne soit pas si banal et qu’il exprime, en somme, l’idéal vers lequel essaieront de tendre, par d’autres voies, les théologies postérieures.

Les manuels de patrologie (Bardenhewer, Schwane, Tixeront, Cayré) donnent, à propos des principaux Pères des indications généralement sporadiques sans chercher à montrer, de façon suffisante, l’unité et l’originalité de la pensée grecque. A ce point de vue, l’ancien ouvrage de Klee, malgré sa brièveté, serait peut-être le meilleur et le plus juste de ton. F. Prat, La théologie de saint Paul, t. i, note H, et Origène, t. ii, c. iii, Paris, 1907, et J. Turmel, Interprétation de I Tim., II, 4, dans Rev. d’hisl. et de litt. relig., 1900, p. 385-415, prétendent trouver dans la prescience des Grecs, et chez Origène en particulier, certaines analogies avec la science moyenne des molinistes. Dans le même sens, I.-F. De Groot, Conspectus historiia dogmatum, t. i, Rome, 1931, p. 178. C. Verfaillie, La doctrine de la jusliflcati m dans Origène, thèse de Strasbourg, 1926, est beaucoup plus proche des textes et de la pensée exacte de l’Alexandrin touchant les questions de la grâce. H. Koch, Pronoia und Paideusis, Berlin, P’32, pas plus que ne l’avait fait E. de Faye, Origène, t. iii, Paris, 1928, ne louche de façon technique à la question de la prédestination. Il résume brièvement les conclusions de W. Wôlker, Das Volkommenh-itsidcal des Origenes, Tubingue, 1931, selon lesquelles il ne saurait y avoir d’opposition, pour Origène, entre la liberté de l’homme et la grâce ds Dieu.

H.-D. Simonin.

III. LA PRÉDESTINATION D’APRÈS LES PÈRES LATINS, PARTICULIÈREMENT D’APRÈS SAINT

AUGUSTIN. — Chez les Pères latins antérieurs à saint Augustin, on trouve quelques textes relatifs à