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Le problème est exactement posé par Origène, et avec une particulière acuité, à propos de la prophétie. Celse en effet disait : c’est parce qu’une chose est prévue qu’elle arrive. Contra Celsum, II, 20, t. xi, col. 836 B ; Philoc, xxiii, 12, p. 199. On connaît la réponse d’Origène, elle prend exactement le contrepied de l’affirmation de Celse : ce n’est point parce qu’une chose est prévue qu’elle arrive, c’est parce qu’elle arrivera qu’elle peut èlre prévue. Contra Celsum, ibid. : De oratione, 6, t. xi, col. 436 D-43 ? ; In Gen., iii, (i, t.xii, col. 64 C-65 ; Philoc, xxiii, 8, p. 195-196 ; In Rom., vii, 8, t. xiv, col. 1126 C. Il est à noter que, dans les passages où cette position est adoptée, le mot prescience (npôfjtxtaiç) est employé dans toute sa généralité ; il ne signifie plus, comme dans l’Écriture, la’bienveillance divine à l’égard des seuls élus, mais il s’étend à toute espèce de prévision, celle du bien comme celle du mal, celle qui est le fait de Dieu, et celle qui est le fait d’un être créé. Origène signale lui-même, dans son commentaire de l’épître aux Romains, cette transposition de valeur : Xam etsi communi intelleclu de præscientia senliamus, non propterea erit aliquid quia id scil Deus esse fulurum, sed quia fulurum est scitur a Deo antequam pat. In Rom., vii, 8, t. xiv, col. 1126 C.

Ce communis intellectus s’oppose au sens biblique du mot, tel qu’il vient d’être établi par Origène quelques lignes plus haut. D’ailleurs le contexte est là pour légitimer cette manière de voir. Le cas type, partout envisagé, est celui de la trahison de Judas ; on affirme que la prédiction faite par Jésus n’est pas la cause de la trahison. Par ailleurs, et toujours à propos de cette même prévision, le Contra Celsum mentionne, sur la même ligne, les prophéties de l’Écriture et celles des « Histoires des Grecs », II, 20, t. xi, col. 836 C ; le Commentaire sur la Genèse fait état d’une prévision humaine purement naturelle, ni, 6, t. xii, col. 64 C ; le Commentaire de l’épître aux Romains fait allusion aux prophètes de l’Ancien Testament qui prédirent les méfaits de Judas : 7îo/i ergo quia prophétie prædixerunt idrirco prodiit Judas. In Rom., vii, 8, t. xiv, col. 1126C. Tout ceci est donc clair, le sens voulu par Origène est le suivant : de soi la prédiction d’un événement se fonde sur l’événement futur, elle ne modifie pas l’ordre des causes selon lesquelles il est posé.

Il faut cependant y regarder de plus près, car, dans les mêmes passages, le théologien alexandrin use d’une autre formule, encore plus absolue et qui risque de faire prendre le change. Il affirme en effet : Hoc ergo pacto neque in præscientia Dei vel salutis vel perditionis noslræ causa consistil. In Rom., vii, 8, t. xiv, col. 1126 C, et les autres passages cités plus haut.

Le R. P. Prat fait ainsi l’exégèse de ce texte : « Le mot grec aîxta n’a pas seulement le sens philosophique de « cause », mais peut signifier « raison d’être » à quelque titre que ce soit. » La conséquence est immédiatement déduite : « Est-ce que, dans cette hypothèse du libre arbitre, la prescience est cause que les choses arrivent ? Non évidemment, mais (Dieu) les prévoit parce qu’elles doivent arriver sans que la prescience influe en rien sur la détermination du libre arbitre. » F. Prat, op. cit., p. 145 (c’est nous qui soulignons). En somme, tout dépend du sens à donner au mot oemoe dans les textes cités. Le P. Prat propose c principe d’être à quelque titre que ce soit », mais il se garde de souligner que le mot signifie le plus souvent un principe d’ordre moral, un motif d’action, un sujet de blâme ou d’éloge, une imputabilité juridique ; c’est le sens le plus usuel, spécialement celui de la langue courante, le seul par exemple que signalent Moulton-Milligan : The vocabulary oj the greek Testament ; on retrouvera d’ailleurs plus loin un autre sens moral du mot axiia. dans Origène. Quant au mot ocÏtioç il

signilie chez Origène : digne d’éloge ou de blâme, responsable. Nous ne pourrions donc, dans les passages cités, choisir le sens métaphysique absolu du mot rLW’.y. que sur de bonnes raisons tirées du contexte. Or, comme il s’agit toujours, ainsi qu’on vient de le montrer, de la prévision prise dans son sens le plus large, telle qu’elle s’applique également a l’homme, le sens moral du terme s’impose et s’impose à l’exclusion de tout autre. En effet, Origène a montré avec assez de force au Periarchon que tout acte humain dépendait d’une initiative divine, celle-ci étant, au moment où l’acte est posé, compatible avec la liberté humaine. La difficulté soulevée par Celse ne porte que sur la prévision d’un acte futur ; la réponse est la suivante : le fait d’avoir été prévu n’enlève rien au caractère moral d’un acte, la prévision (science d’un futur) n’est pas la cause responsable (atTÎoc) de l’acte posé.

3° La prescience dans l’œuvre du salut. — Après avoir de la sorte analysé et distingué les divers aspects de la notion de prescience, il reste encore à décrire, d’après Origène, l’œuvre même de cette prescience dans l’ordre du salut. Tout d’abord un libre choix divin est à la base des initiatives divines. Dans son Commentaire de l’épître aux Romains, faisant œuvre de théologien plus que d’exégète, le docteur d’Alexandrie estime que l’élection de Jacob est le type de la nôtre : Nunc vero cum electio eorum (Jacob et Etau) non ex operibus facla sit sed ex proposito Dei et ex vocantis arbitrio, promissionum gralia non in filiis carnis impletur sed in filiis Dei, hoc est qui simililer ut ipsi ex proposito Dei eliguntur et adoplantur in filios. In Rom., vu, 15, t. xiv, col. 1143 R.

Un peu plus bas, Origène enseigne, dans les mêmes termes que Paul, l’inanité des œuvres légales pour la justification : Si enim per hœc (opéra legis) qui jusliftcatur, non gratis jusiificatur. Qui autem per graliam juslificatur, ista quidem opéra ab eo minime queeruntur ; sed observare débet ne accepta gratia inanis fat in eo, sicut et Paulus dicit… In Rom., viii, 7, col. 1178 C.

En effet, Origène oppose aux « œuvres de la loi », les « œuvres de la justice » que doit accomplir celui qui a reçu la grâce. Évidemment ces œuvres ne sont pas prérequises à la justification, mais elles sont nécessaires pour obtenir une grâce plus abondante, col. 1179 A, et ultérieurement la gloire. C’est là en effet la pensée constante d’Origène, toute grâce meilleure est accordée par Dieu à des mérites préexistants. On sait jusqu’à quelles doctrines hétérodoxes cette conception a entraîné l’auteur du Periarchon. Les « anciens mérites » qui règlent les destinées humaines ont été acquis par les âmes avant leur union à un corps, alors qu’elles n’existaient encore que comme esprits. De princ, III, i, 20-21, t. xi, col. 296-300 ; Philoc, xxi, 20-21, p. 174-175. Le mot que les traducteurs s’accordent à rendre par mérite est le mot aWa qui revêt bien, ici encore, une signification morale. Dans le Commentaire de l’épître aux Romains, Origène se contente d’un bref renvoi au Periarchon, In Rom., vii, 16, t. xiv, col. 1145 A ; plus discret il se contente de comparer Dieu à un père de famille sage et juste qui emploie ses serviteurs selon leurs capacités et leurs talents : Certum est Deum non solum scire uniuscujusque proposilum ac voluntatem sed et præscire. Sciens autem et prœnoscens, tanquam bonus dispensalor et juslus, uniuscujusque motibus et proposito ulitur ad ea efficiendu quæ uniuscujusque animus ac volunlas eligit. Ibid., col. 1145 C. La prescience divine, ici comme au Periarchon, accompagne l’action humaine dont elle sauvegarde la liberté tout en l’utilisant à ses fins. Cette même doctrine est envisagée de façon plus concrète dans son application à la vocation de Paul, De oral., 6, t. xi, col. 440 R ; In Rom., i, t. xiv, col. 841-847 ; Philoc, xxv, 1-3, p. 226-229. Dieu, ayant prévu