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    1. PREDESTINATION##


PREDESTINATION. SAINT [RENEE

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Sans doute, affirme Justin, « nous avons appris que Dieu n’a pas besoin d’une offrande matérielle de la pari des hommes, alors que nous le voyons dispenser

toutes choses. Néanmoins ceux-là seuls seront agréés « qui imitent les biens qui lui appartiennent : la sagesse, la justice, l’amour des hommes et toutes choses qui sont le propre de Dieu, même s’il n’est point de nom pour les désigner ». Apol., i, 10, col. 340 C. Quelques lignes plus loin, un vigoureux parallèle est établi, par deux fois, entre la création de l’homme ex nihilo et son élévation à la vie divine : De même en effet que Dieu, au commencement, a fait (les hommes) alors qu’ils n’existaient pas, de la même manière nous croyons que ceux qui choisissent ce qui lui plaît, par ce choix ont été jugés dignes de l’immortalité et de la société divine. Car il n’était pas en notre pouvoir au commencement d’être créés par Dieu, quant à suivre ce qui lui plaît, en le choisissant à l’aide des facultés rationnelles qu’il nous a données, c’est Dieu qui nous le persuade en nous conduisant à la foi. » Apol., i, 10, col. 341 A. Si l’on sait que, par ailleurs, Justin parle en ternies très nets du péché universel du genre humain et de la nécessité du secours de Dieu, si l’on songe qu’il décrit également avec un parfait réalisme l’œuvre de la grâce comme une communication de la vie faite à l’âme par Dieu, on est porté à accorder au texte qui vient d’être cité une réelle valeur théologique. Il présente un bel exemple de cette « conception physique du salut » dont le P. Rousselot faisait justement naguère l’un des traits caractéristiques de la théologie grecque. P. Rousselot, La grâce d’après saint Jean et d’après saint Paul, dans Rech. de se. rel., février-avril 1928 ; Mélanges Grandmaison, p. 87-104. Enfin, pour finir de situer cette doctrine de saint Justin dans son contexte général, il suffit de rappeler qu’il affirme, chaque fois que l’occasion s’en présente, et la causalité universelle de Dieu et la nécessité de la prière à tous les moments de la vie chrétienne.

Saint Irénée.

Avec plus de force peut-être que

ne l’avait fait Justin, saint Irénée assimile lui aussi l’œuvre de notre déification à celle de la création. L’homme, fait à l’image de Dieu, avait perdu par le péché cette divine ressemblance ; le Verbe fait chair, similitude visible du Dieu invisible, refait l’homme à l’image de Dieu. (’.ont. hær., V, xvi, 2, P. G., t. vii, col. 1168 A. Comme Adam avait été modelé par Dieu, ainsi le sommes-nous à notre tour : plasmalus est guidera Adam, plasmati sumus et nos. Ibid., 1, col. 1167 B ; cf. IV, xxxix, 2-3, col. 1110-1111. Le R. P. d’Alès a vigoureusement exposé cette doctrine d’Irénée : « Non seulement toute l’initiative appartient à Dieu (dans l’ordre du salut) mais tout le travail. L’homme n’a qu’à se laisser faire comme l’argile sous les doigts du potier… La persévérance de l’homme est elle-même un don de Dieu. » A. d’Alès, La doctrine de l’Esprit en saint Irénée, dans Rech. de se. rel., 1924, p. 533-534. Irénée en effet ne se lasse pas d’affirmer la gratuité absolue du secours divin. « Dieu donne par faveur l’immortalité au mortel, et l’incorruptibilité au corruptible, car la puissance de Dieu se réalise dans la faiblesse. Ainsi gardons-nous de nous enorgueillir et de nous élever jamais au-dessus de Dieu, comme si nous avions de nous-mêmes la vie, adoptant à son égard des sentiments d’ingratitude ; mais sachons d’expérience que, par sa munificence et non par notre propre nature, nous avons la persévérance pour toujours. » V, ii, 3, col. 1127 C. Dieu n’a pas besoin de nos hommages, nec opus est Deo liumano obsequio, s’il fait du bien à ceux qui le servent, c’est parce qu’il est bon et miséricordieux. L’homme au contraire a besoin de la communion avec Dieu indiget homo Dei communione. IV, xiv, 1, col. 1010 C. Tout ceci ne présente rien qui soit particulier à Irénée ; sa doctrine est conforme, en

ce point, à celle de ses prédécesseurs, mais les nécessites de la controverse gnostique vont amener l’évêque de Lvon à formuler des précisions théologiques nouvelles.

Un argument ad hominem, dirigé contre ics conceptions gnostiques du salut, est bien significatif de la mentalité grecque. Pour les hérétiques, le genre humain est composé de « pneumatiques » et d’ « hyliques », les premiers étant appelés à l’immortalité de par leur nature même, les seconds ne pouvant, pour les mêmes raisons y prétendre. C’est la conception « physique » du salut portée à son point extrême, celui-ci n’étant plus, d’aucune façon, affaire de notre libre choix. A rencontre, Irénée affirme avec force l’existence de la liberté créée, car l’absence de cette liberté ferait échec à la puissance divine. Si les hommes sont ainsi déterminés par leur nature même. Dieu ne pourra plus faire ce qu’il veut. Qui autem his contraria dicunl, ipsi impotentem inlroducunt Dcminum, scilicet quasi non poterit perficere hoc quod volueril. IV, xxvii, 6, col. 1103 A. L’homme, s’il n’est libre, ne peut plus être cette pâte molle qu’il doit offrir à l’action divine. La suite du passage est également à retenir : s ; nis liberté, plus de recherche ni de jouissance du bonheur, plus de précieuse communication avec Dieu. Ibid., col. 1103 B. V. Brochard a finement noté les traits essentiels de la conception grecque de la liberté : « Quand ils (les Grecs) s’appliquent à prouver que l’homme est libre, ils ne cherchent pas précisément à montrer que ses actions émanent de lui… Leur préoccupation est bien plutôt de montrer comment l’homme peut se soutraire à la fatalité extérieure, réaliser le souverain bien, c’est-à-direatteindre à la vie heureuse. Dire que l’homme est libre, quand c’est un philosophe grec qui parle, équivaut à reconnaître que le bonheur est à la portée de chacun. » V. Brochard, Eludes de philosophie ancienne et de philosophie moderne, Paris, 1912, p. 494. En liaison avec ces idées il était nécessaire, pour les Pères grecs, de montrer comment, dans l’ordre chrétien. Dieu donne à chacun ce qui lui est nécessaire pour faire le bien et mériter les récompenses promises. C’est ce que fait explicitement Jrénée ; la controverse avec Marcion va donner occasion de poser le problème sur un terrain plus strictement théologique.

Au point de vue qui nous occupe, l’hérésie marcionite est une sorte de dualisme théologique à base scripturaire. Il y a deux principes premiers, deux dieux ; l’un rachète et sauve, c’est le Père, le Dieu bon révélé par le Christ dans le Nouveau Testament ; l’autre est le Dieu juste, le Dieu inexorable de l’Ancien Testament ; il a « endurci » le cœur du pharaon, Ex., x, 1, cf. Rom., ix, 17-18 ; il a « rendu insensible le cœur du peuple », Is., vi, 9-10 ; Matth., xiii, 13-15 ; c’est à lui qu’est dévolu le soin de châtier et de punir. Conl. hier., III, xxv, 3-4, col. 968-969 ; IV, xxix, 1-2, col. 1063-1064. Contre les allégations de l’hérétique, saint Irénée aflirme, avec toute la tradition catholique, qu’un seul et même Dieu, infiniment bon, mais également sage et juste, dispose toutes choses comme il convient et traite chacun selon ses mérites. Le châtiment de la justice est précédé par les avertissements de la bonté. Est enim (Deus) et bonus et misericors cl paliens et saluai quos oportet : ncque bonum ei déficit juste efjectum, neque sapientia deminoratur : saluât enim quos débet saluare ei judicat dignos judicio : ncque justum immile ostenditur, præeunte scilicet et prsecedenle bonilaie. III, xxv, 3, col. 969 A.

Ailleurs la même doctrine est affirmée de façon plus précise : « Dieu donne toujours à l’homme de quoi faire le bien ; aussi’celui-ci est-il jugé justement s’il ne le fait pas, puisqu’it pouvait le faire ; s’il le fait, il est justement récompensé puisqu’il pouvait ne pas le faire.