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et à l’estimation de maîtres récents tels que Driedo et Ruard Tapper. Quant à Césaire d’Arles, dont nul à coup sûr ne récusera le témoignage, il fait condamner au canon 25 du IIe concile d’Orange (529) l’erreur prédestinatienne.

Cette hérésie, s’il faut en croire Ennodius de Pavie, avait même réussi à franchir les Alpes. Dans une de ses lettres, cet évêque réfute en effet un personnage anonyme qui déclarait que le libre arbitre ne servait à l’homme que pour le mal, liberum arbitritim homini deteriorem tantum in partent datum, ce qui est proprement une erreur prédestinatienne. Voir Ennodius, EpisL, ii, 10, P. L., t. lxiii, col. 48-51.

Mais ces diverses manifestations de l’erreur prédestinatienne étaient peu de chose à côté de l’éclat qui se produisit au IXe siècle. Sirmond. qui avait publié quelques-unes des pièces de la controverse, n’avait pas de peine à trouver pour appuyer sa thèse les documents convenables. Son dernier chapitre est consacré à montrer que, s’il a pu y avoir opposition entre Hincmar et le concile de Quierzy d’une part, l’école de Lyon et les conciles de Valence et de Langres d’autre part, il n’en reste pas moins que, des deux côtés, on s’opposait à l’hérésie prédestinatienne dont Gottschalk était le représentant.

Discussion de ces arguments.

Il n’est pas dans

notre intention de suivre les uns après les autres les arguments de Sirmond. Il y a intérêt, pensons-nous, à les grouper sous trois chefs :

1. L’opposition faite à Augustin de son vivant. — Ni au monastère d’Adrumète, ni dans le midi de la Gaule, il n’est possible de relever trace d’une erreur prédestinatienne. Tout au rebours, on assiste au phénomène suivant. Un peu effrayé des thèses augustiniennes sur la prédestination ante omnia prævisa mérita (laquelle a pour contre-partie l’abandon des nonprédestinés dans la massa damnata), les moines d’Adrumète, aussi bien que les milieux monastiques gaulois, accumulent contre la doctrine du maître d’Hippone toutes sortes d’objections. La plus forte est à n’en pas douter celle-ci, qui a été élevée de tout temps : si les choses sont comme le dit Augustin, à quoi bon s’efforcer d’éviter le péché et de pratiquer la vertu ? Se laisser vivre est l’attitude qui s’impose. Que certains esprits aient alors tiré cette conclusion et soient même passés à la pratique, c’est bien possible. Ce faisant, très loin de représenter le prédestinatianisme, ils en font bien plutôt la critique. Inutile d’insister ; l’erreur de Sirmond est ici manifeste. Voir ci-dessous, à l’art. Prédestination, la doctrine de saint Augustin.

2. L’opposition anliaugustinienne du Ve siècle jusqu’au concile d’Orange. — La mort d’Augustin n’a pas arrêté les discussions, bien au contraire. Mais c’est étrangement se leurrer que de représenter Prosper et Hilaire aux prises, dans le midi de la Gaule, avec des prédestinatiens. Tout au contraire c’est contre ceux que l’on appellera plus tard les semi-pélagiens qu’ils mènent la lutte, et qu’ils font appel à l’autorité du Siège apostolique. Les indisciplinatæ quæstiones dont il est question dans la lettre qu’ils ont réussi à obtenir du pape Célestin, ce sont les objections faites par les Massilienses à la doctrine d’Augustin, au nom des droits du libre arbitre. Que le Saint-Siège, d’ailleurs, n’ait pas pris entièrement à son compte toute la doctrine augustinienne sur la prédestination, c’est ce que montre bien le document romain intitulé : Prseterito-Tum Sedis apostoliese episcoporum auctoritates de gratia Dei, voir le § Pro/undiores vero difficilioresque parles, P. L., t. l, col. 537. Mais le fait qu’il ne s’y trouve pas un mot de réprobation contre la soi-disant hérésie prédestinatienne est à lui seul extrêmement caractéristique.

En fait, ce mot d’hérésie prédestinatienne sur quelles lèvres le trouve-t-on ? Sur les lèvres de l’auteur de la

Chronica gallica, ci-dessus, col. 2806, qui a au moins le mérite de la franchise, puisqu’il fait remonter à Augustin lui-même les origines de l’erreur prédestinatienne ; dans le Prirdeslinatus, dont les attaches pélagiennes sont incontestables ; dans Gennade, dont le semi-pélagianisme est connu, s’il est bien l’auteur de l’appendice au Traité des hérésies d’Augustin. Voilà des garants bien suspects. Visiblement, sous le nom de prédestinatianisme tous ces gens-là entendent discréditer la doctrine même d’Augustin.

Quant à l’échauffourée à laquelle donna lieu Lucidus, on a dit, à l’article Lucidus, t. ix, col. 1020 sq., ce qu’il convenait d’en penser. Quelque tranchantes que soient les formules dont s’est servi le prêtre incriminé, elles ne laissent pas d’exposer — - sans prudence et sans les nuances nécessaires — des idées augustiniennes. Que Fauste de Riez en ait pris ombrage, il n’y a là rien d’étonnant ; qu’il ait trouvé dans l’épiscopat provençal, où le semi-pélagianisme plus ou moins larvé avait toujours des adhérents, des gens pour se scandaliser du pur augustinisme, c’est ce qui n’est pas non plus pour surprendre. C’est du même milieu qu’est originaire Ennodius de Pavie, et cela explique la réaction dont sa lettre est le témoin.

Pour ce qui est de la doctrine de Fauste de Riez, il vaut mieux sans doute en juger par la condamnation portée contre ses livres par l’Église romaine (le décret dit de Gélase les classe parmi les apocri/pha) que par les apologies des docteurs modernes. C’est pour mettre fin aux troubles excités par sa doctrine que saint Césaire d’Arles a entrepris la campagne qui devait aboutir à la tenue du concile d’Orange. Ce dernier restaure l’augustinisme dans le midi de la Gaule. Loin qu’il parle de l’existence d’une secte prédestinatienne, il s’exprime sur l’erreur elle-même d’une manière tout à fait hypothétique : Aliquos vero ad malum divina potestate prsedestinatos esse, non solum non credimus, sed etiam, si sunt qui tantum malum credere velint, cum omni detestatione illis anathema dicimus. Voir art. Orange, t. xi, col. 1101. Il semble difficile de ne pas voir dans l’incise si sunt une précaution prise par Césaire contre les insinuations auxquelles avaient recours les semi-pélagiens.

Bref, durant toute cette période, l’accusation de prédestinatianisme paraît bien avoir été lancée par les antiaugustiniens contre ceux qui adhéraient au strict augustinisme, c’est-à-dire, dans le cas particulier, à la prédestination absolument gratuite. Que tel ou tel augustinien ait exagéré parfois la doctrine du maître et l’ait présentée sous une forme tout à fait paradoxale, il faut en demeurer d’accord. Les historiens du dogme ont signalé de tout temps l’interprétation qu’un certain Monime donnait de la pensée d’Augustin et que Fulgence de Ruspe a réfutée dans le Ad Monimum liber I ; cf. P. L., t. lxv, col. 155. Que l’on range, si l’on veut, dans la même catégorie le prêtre Lucidus. Mais de là à affirmer l’existence d’une hérésie prédestinatienne, à plus forte raison d’une secte de ce nom, il y a un abîme.

3. La controverse sur la prédestination au r Xe siècle. — Cette question est touchée tout au long à l’article Prédestination, IVe partie, nous ne la développerons pas ici. Quelle qu’ait été la pensée personnelle de Gottschalk — et le dernier mot n’est pas dit sur elle — il est incontestable que le moine d’Orbais a vu se lever pour la défense de ses idées des hommes aussi savants que Loup de Ferrières et Ratramne et que, d’autre part, l’attitude d’Hinemar et de Rhaban Maur, criant l’un et l’autre au prédestinatianisme, a été sévèrement jugée par l’école de Lyon d’une part, par Prudence de Troyes, d’autre part, un des personnages les plus doctes de l’époque. A bien prendre les choses, le conflit du ixe siècle a mis aux prises non pas prédes-