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naïf par place, mais qui ne saurait laisser de doute sur ses sentiments intimes. C’est dans le cadre de la Bible, comprise à sa manière, qu’il va insérer son système, c’est dans les narrations bibliques qu’il en trouvera la confirmation.

2. L’essentiel du système. Ouvrons la Bible même ; elle nous raconte, au sixième jour, la création de l’humanité. Gen., i, 2(>-31. Qu’on lise ces lignes sans aucune idée préconçue, qu’on les rapproche des versets antérieurs où est racontée la création des animaux soit aériens, soit aquatiques, soit terrestres, on ne saurait guère échapper à cette conclusion : Il ne s’agit point ici de la création d’un couple unique, de deux individus dont les noms d’ailleurs ne sont pas donnés, mais bien de la création en divers points de l’espace, super omnem terrain sive nolam, sive nondum cognitam, de nombreux représentants de l’espèce humaine. Syst. tlieol., t. III, c. i. Pas plus qu’il ne convenait que les immensités des terres et des mers restassent vides de plantes, d’animaux, pas plus il ne serait concevable que le roi de cette création ne fût pas présent, et dès l’origine, aux divers lieux où, sur l’ordre divin, avaient pullulé les créatures sans raison. Au soir du sixième jour, quand Dieu, contemplant son œuvre, la déclara excellente, et erant valde bona, il y avait sur les divers points du globe des hommes, créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, intelligents dès lors et libres, dont l’activité allait se dérouler pendant un nombre de millénaires dont nous n’avons pas la mesure. La Peyrère est porté, par sa confiance dans les chronologies anciennes à faire cette mesure très large, oubliant un peu les grandes lois qui président au peuplement de la terre.

Continuons la lecture de la Genèse. Le début du c. n est un résumé de ce qui a été dit au c. i ; puis le texte sacré, ayant signalé le repos divin, ii, 3, commence une narration toute différente. Il s’agit, de nombreux millénaires s’étant écoulés depuis la création de l’humanité, d’une action toute nouvelle de Dieu, de la formation particulière du premier Juif, de celui d’où dériverait la race élue. Syst. theol., t. III, c. n. Sans se mettre trop en peine des anthromorphismes dont fourmille ce deuxième récit, accentuant même la naïveté de celui-ci par des emprunts faits aux fables rabbiniques, La Peyrère raconte, d’une manière qui ne laisse pas de faire sourire, la formation d’Adam, comme un petit enfant, son transfert, quand il a l’âge adulte, dans le paradis (qui doit se situer dans l’Arabie heureuse), la revue des animaux passés par Adam, la formation de la femme, elle aussi créée à l’âge d’enfant. Sur l’état d’innocence, la tentation, la chute, l’expulsion du paradis, il est très bref. C’est seulement quand se déroule la première histoire de la descendance adamique que son texte reprend intérêt. Avec minutie il dissèque les textes bibliques qui tendraient, selon lui, à montrer qu’Adam et Eve, expulsés de l’Éden, tombent en une région où vivent d’autres hommes : l’histoire de Caïnet d’Abel, qui, dit-il, l’avait beaucoup frappé dans sa jeunesse, abonde en traits qui témoignent que les deux premiers fils d’Adam habitent au milieu d’une humanité très largement évoluée. Syst. theol., t. III, c. iv. Et notre auteur de retrouver encore les traces fort nettes de cette humanité dans le récit des unions entre les (ils de Dieu (descendants directs d’Adam) et les filles des hommes. Gen., vi, 1, 2. Sans doute, de prime abord, l’histoire du déluge semblerait devoir lui donner de la tablature. A le supposer universel, le cataclysme aurait anéanti aussi bien adamites (à l’exception de la famille de Noé) que préadamites. Mais La Peyrère, avant d’y arriver, a déjà pris ses sûretés ; plusieurs chapitres successifs, t. IV, c. mvi, préparent le lecteur à entendre le langage biblique (il y a la quelques remarques d’un concordisme ratio nalisant extrêmement curieux). Sommé toute, le déluge noachique ne s’est pas étendu à toute la terre, mais seulement à la région peuplée d’adamites, à la Terre sainte un peu élargie, lbid., c. vil et vin. Ce ne sont pas les meilleures pages du livre que celles-ci, où l’auteur s’efforce de transposer, selon son système, les énoncés bibliques ; moins bonnes encore celles que lui suggère la table de la répartition des peuples, Gen., x, où, contre toute évidence, Isaac se refuse à voir autre chose qu’une nomenclature de tribus juives, lbid., c. ix. Mais, ce cap doublé, le plus diflicile est fait. La Genèse, de fait, entame à ce moment l’histoire du peuple israélite. Il suffira, par la suite, d’expliquer que les gentils, avec lesquels Israël, au cours de son histoire, se trouvera en contact, ne sont pas autres que les descendants de cette humanité primitive, créée au sixième jour, tandis qu’Israël est l’authentique lignée de la souche élue, choisie, privilégiée, formée spécialement par Dieu. Voir le 1. II tout entier.

Tout serait pour le mieux si le système ne se heurtait à une objection non plus d’ordre historique, mais d’ordre dogmatique. C’est la solution proposée par Isaac à cette difficulté qu’il faut maintenant envisager.

3. Réponse aux difficultés. Théorie sur le péché originel. — Depuis les premiers débuts, du christianisme, on s’est plu à opposer, dans l’histoire de l’humanité, Adam et Jésus-Christ : le premier homme, entraînant dans sa culpabilité toute sa descendance, le second Adam, étendant à l’humanité pécheresse les fruits de son obéissance rédemptrice. Élevé dans le calvinisme que l’on n’accusera pas, certes, d’avoir minimisé le concept de péché originel, La Peyrère ne pouvait pas ne pas voir combien son. hypothèse des préadamites heurtait, de prime abord, les données les plus certaines et les plus fondamentales de toute dogmatique chrétienne. Ce qu’elle sacrifiait, ce n’était rien de moins que le péché originel et la rédemption.

Mais tant d’autres parmi ses coreligionnaires — il s’en explique franchement dans sa lettre à Alexandre VII

— avaient trouvé le moyen de plier l’Écriture à leurs opinions personnelles ! La Peyrère se flattait de trouver, lui aussi, un biais pour concilier, tant avec les données bibliques proprement dites qu’avec les enseignements de la théologie, l’hypothèse qu’il avait imaginée. Il entendait bien maintenir le dogme du péché originel. Comment concilier celui-ci avec l’existence de ces humanités multiples dans leurs origines et bien antérieures à la faute d’Adam ? A plusieurs reprises il compare sa tentative à celle que Copernic avait faite dans le domaine de l’astronomie. De quoi s’agissait-il pour ce dernier ? D’expliquer de manière correcte les mouvements des astres sur la sphère céleste. Ptolémée, en faisant la terre immobile et en faisant tourner autour d’elle les orbes plus ou moins enchevêtrées des cieux, arrivait à rendre un compte suffisant des apparences. Copernic, en mettant le soleil au centre du système planétaire expliquait, de manière plus simple, les mêmes phénomènes. Ainsi fais-je, continuait La Peyrère. Ce qu’il s’agit de maintenir, c’est le dogme du péché originel et de la rédemption ; l’hypothèse adamite en rend raison d’une manière suffisante, mais à condition de négliger une foule de données historiques relatives à l’antiquité de l’homme ; l’hypothèse préadamite en rendra raison d’une manière qui n’est plus compliquée qu’en apparence, mais qui a l’immense mérite d’intégrer ces mêmes données historiques dont la première faisait abstraction.

Préoccupé de cette question du péché originel, notre auteur lit et relit le texte fondamental de Rom., v, 1215, et, un jour, la lumière en jaillit. C’est le mot usque ad legem du f 13 qui, jusqu’ici a été mal compris ; on l’a traduit par : « jusqu’à la loi mosaïque », sans s’apercevoir des difficultés considérables que soulevait cette