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POUVOIR DU PAPE- : EN MATIÈRE TEMPORELLE
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l’abandon des lois on des pratiques politiques qu’il aura condamnées. Il ne suffirait pas, d’ailleurs, d’une réelle et spéciale juridiction sur le temporel pour assurer la constante efficacité de cette contrainte.

Le souverain pontife peut-il, normalement et de droit divin, procéder plus avant, jusqu’à déposer un prince ou transférer une couronne ? Il ne semble pas que son pouvoir s’étende ou s’abaisse jusque-là, pas plus qu’il ne dépossédera expressément de ses biens privés celui de ses fidèles qui en aurait abusé. Car son droit, en ce qui concerne le temporel, ne peut se réclamer d’une sorte de haut domaine qui s’exercerait du dehors sur les choses, mais d’une primauté du spirituel qui n’agit, et souverainement, sur la cité qu’en opérant par le dedans sur les consciences de ses fils auxquels elle signifie le non licet. Aux chefs d’État et aux citoyens de traduire ce verdict en actes politiques.

5. Le pouvoir du pape n’est donc pas, en toute rigueur, un pouvoir sur le temporel, mais un pouvoir en matière temporelle.

Convient-il de le dénommer « direct » ? Non pas : directement, il ne vise pas le temporel, en soi, mais toujours le spirituel dans les consciences ; et s’il lui arrive de s’exercer, en cas d’interférence, dans le domaine temporel, ce n’est que pour des fins plus hautes et en raison seulement du spirituel.

Doit-on retenir l’appellation communément admise, de « pouvoir indirect » ? Si l’on cffiime par là que le pouvoir spirituel peut dégénérer, en ligne oblique, jusqu’à changer de nature, ou jusqu’à se doubler d’une véritable juridiction temporelle dont l’exercice intermittent, accidentel, serait légitime chaque fois qu’il y va d’une grande utilité peur l’Église, cette conception paraîtra tout à la fois excessive et insuffisante, parce qu’équivoque. Car la primauté du spirituel exige une essentielle et permanente subordination du temporel, sans pour cela nécessiter dans le pontife suprême une juridiction proprement civile de droit divin. Par ailleurs, le pouvoir spirituel se doit à lui-même d’inspirer, d’imprégner, d’informer, continuellement et directement, de son enseignement, de ses préceptes et de ses conseils toutes les théories et toutes les activités politiques et sociales, et non pas seulement d’intervenir éventuellement pour en corriger les abus ou les déviations. Quand l’Église et son chef préconisent ou condamnent tels eu tels principes sociaux ou politiques, il serait plus qu’inexact de dire que c’est en vertu d’un quelconque pouvoir indirect.

Préférera-t-on l’expression de « pouvoir directif » ? Restreinte à n’envisager qu’une simple faculté de guider et de conseiller l’activité humaine, dès que cette activité cesse d’être spécifiquement religieuse, cette appellation est, à sen tour, déficiente et inadéquate. Car l’activité humaine, alors même qu’elle cesse d’être purement religieuse pour devenir politique, civique ou sociale, ne cesse pas pour autant d’être subordonnée à la morale et. dés lors, jusqu’à un certain point, à la primauté spirituelle ; cette suboidination implique ou entraîne, en des cas donnés, une obéissance proprement dite à une autorité qui demeure souveraine et incontestable. A tort ou à raison, si l’on invoque à ce propos un pouvoir directif de l’Église, on semblera minimiser ce pouvoir et vouloir traiter tous les ordres pontificaux cemme des directives, comme des lignes de conduite proposées de préférence et vivement conseillées, et non comme des décisions impératives. Il va de soi, d’ailleurs, que la portée des diverses interventions pontificales peut être fort différente. Autre chose est une condamnation formelle, autre chose un ordre absolu ; autre chose un conseil, autre chose une direction. Nul ne s’avisera de mettre sur le même pied l’intervention de Léon XIII, relative au « ralliement », en 1892, et la

DICT. DE 1HÉOL. CATHOL.

condamnation portée par Pie X contre la loi ele séparation, en 1906.

Mais si, de part et d’autre, on accorde que l’Église a le pouvoir de lier directement les consciences, même dans des affaires extérieurement temporelles ou pouvant avoir de graves répercussions élans l’ordre temporel, parce qu’elles sont par elles-mêmes et en même temps de l’ordre spirituel, alors on se rencontre en une thèse qui est vraiment traditionnelle, et les mots importent peu qui s’efforcent de l’exprimer, pourvu que soit évitée toute confusion dans les choses.

6. Il ne s’agit pas pour autant de renier ou de désavouer tout le Moyen Age, pas plus que d’en vouloir faire la systématique apologie. Au Moyen Age, « la suprématie papale était la forme que revêtait alors, étant données les circonstances, la divine précellence ou primauté du spirituel. Elle était une incarnation, nécessairement contingente et déficiente, et encore assez grossière, de l’idéal dans l’histoire. Jamais l’idéal de l’Église ne sera parfaitement réalisé et, sans refuser d’entendre les leçons de l’histoire, nous ne devons pas oublier que cet idéal, qui est éternel, c’est-à-dire au-dessus des temps, n’est à chercher tel quel dans aucun moment du passé. « Quant aux doctrines qui furent professées alors, il était inévitable qu’elles s’inspirassent de la pratique régnante. Comme toujours, elles contiennent, elles aussi, une part d’éternel et une part de contingent, que leurs auteurs ont mal distinguées, qu’ils ne pouvaient pas, au moment même, parfaitement distinguer. » Henri de Lubac, Le pouvoir de l’Église en matière temporelle, dans Rev. des sciences religieuses de Strasbourg, juillet 1932, p. 349-350.

Les mots et la chose.

Qu’à définir des attitudes

doctrinales différentes, des expressions diverses aient été employées, nous ne saurions nous en étonner ; mais nulje obligation stricte ne s’impose de faire un choix qui n’irait pas sans inconvénient.

L’Église n’a, en définitive, sur des chrétientés toujours sujettes à des variations sociales et politiques, qu’un seul pouvoir, spirituel dans son objet comme dans son essence. Il s’étend sur le spirituel, mais sur tout le spirituel, en quelque affaire temporelle qu’il se trouve impliqué. Quand ses interventions revêtent une forme absolue, en vertu du droit divin qui lui vient de sa divine primauté, le pape ne fait jamais autre chose qu’exercer purement et simplement cet unique pouvoir en matière temporelle.

I. Sources.

Les principaux textes concernant la double question du principat civil et du pouvoir du pape en matière temporelle ont été indiqués au cours de cet article.

II. Travaux.

Principat civil.

Outre les ouvrages

ç ér.éraux fur l’histoire des papes et les travaux ou recueils cités au cours de cette étude, il faut signaler plus spécialement : L. Duchesne, Les premiers temps de l’État pontifical, Faris, 1911 ; Yves de La Briére, Victor Bucaille, Louis Le Fur, etc., Les accords du Latran, Paris, s. d. ; G. Mollat, La question romaine de Pie VI à Pie XI, Paris, 1932.

2° Pouvoir sur le temporel. — Emile Chénon, Le rôle social de l’Église, Paris, 1921 ; P. Batiffol, Le catholicisme des origines à saint Léon, 5 vol., Paris, 1909-1924 ; les remarquables articles de J. Lecler, L’argument des deux glaives, dans Bcch. de se. relig., juin 1931, avril et juin 1932, et de FI. de lubac, Le pouvoir de l’Église en matière temporelle, dans Rev. des se. relig. de Strasbourg, juillet 1932 ; J. Maritain, Primauté du spirituel, Paris, 1927 ; Ch. Journet, La juridiction de l’Église sur la cité, Paris, 1931 ; H.-X. Arquilliêre. L’augusliniime politique. Essai sur la formation des théories politiques du Moyen-Age, Paris, 1934 ; du même, Saint Giégoire VIL Essai sur fa conception du pouv’tir pontifical. Paris, 1934, enfin et surtout J. Bivière, Le problème de l’Église et de l’État au temps de Philippe le Bel, Paris-Louvain, 1926.

G. Gl.i.z.

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