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POUVOIR DU PAPE. DOCTRINES ACTUELLES


mission politique pour taire opposition, de quelque façon que ce soit, aux intérêts supérieurs qui engagent

le salut éternel clos hommes, ou pour nuire à ces intérêts par des lois et des exigences injustes, ou bien pour s’attaquer à la divine constitution de l’Église elle-même, ou fouler aux pieds les droits sacrés de Dieu dans la société humaine, i Cf. encycl. Quas primas, du 1 1 décembre 1925.

Mais quel est renseignement des pontifes contemporains à l’égard de l’extension de leur pouvoir sur le temporel des États et comment jugent-ils le droit qu’exerçaient jadis les papes de déposer les rois, par exemple’? Nous avons cette déclaration de Pie IX, en date du 20 juillet 1871 : « Ce droit a été, dans des circonstances extrêmes, exercé par les papes, mais il n’a absolument rien de commun avec l’infaillibilité pontificale. Il était une conséquence du droit public alors en vigueur et du consentement des nations chrétiennes. Celles-ci reconnaissaient dans le pape le juge suprême de la chrétienté et le constituaient juge sur les princes et les peuples, même dans les matières temporelles. Or, la situation présente est tout à fait différente. La mauvaise foi seule peut confondre des objets si différents et des époques si peu semblables ; comme si un jugement infaillible porté sur une vérité révélée avait quelque analogie avec un droit que les papes… ont dû exercer quand le bien général l’exigeait. » Cité par L. Saltet. Hist. de l’Église, Paris, 1913, p. 135.

Les théologiens.

Les théologiens et canonistes

modernes et contemporains continuent à citer saint Bernard et Boniface VIII et à se réclamer de saint Thomas, de Bellarmin surtout et de Suarez.

Jusqu’au concile du Vatican, les plus grands d’entre eux, hormis ceux qui furent notoirement gallicans, passent, d’ailleurs, rapidement sur le point précis du pouvoir pontifical en matière temporelle, quand ils ne l’omettent pas tout à fait, se contentant de revendiquer, devant les États qui se laïcisent, l’indépendance plutôt que la primauté du spirituel.

Billot († 1931) a surtout mis en lumière la distinction entre finis operis et finis operantis, celle-ci nécessitant une subordination essentielle de tous les actes humains, même politiques, à la fin dernière surnaturelle, celle-là permettant l’autonomie de la puissance temporelle dans son domaine propre, mais avec dépendance indirecte (ou subordination accidentelle) à l’égard de la puissance spirituelle. En conséquence, après avoir expressément éliminé toute conception d’un pouvoir direct du pape et de l’Église sur le temporel, il expose, d’après Suarez, la théorie classique du pouvoir indirect.

Cette même doctrine, le P. Monsabré († 1907) et Mgr d’Hulst († 1890) ne craignent pas de la prêcher éloquemment, celui-là en se réclamant surtout, à son ordinaire, du Docteur angélique, celui-ci, avec plus de nuances, en suivant de plus près les disciples de Bellarmin. Carêmes de 1882, 59e conf. ; de 1895 Paris, 1908, p. 375 sq.

Mais quelques théologiens contemporains paraissent vouloir s’affranchir des formules reçues communément depuis trois siècles. Ainsi Van Noort écrit :

Vindicando… Ecclesia’potestatem indirectam in lemporalia, id unum asserimus : Ecclesiam judicare posse de rébus temporalibus, quando et quatenus ilhe cum bono spiritual] eonnectuntur, aut in quantum necessarium est, ut Ecclesia proprio lini, saluti nempe animarum, considère possit. Igitur Ecclesia non potest se immiscere causis politicis aut administrativis aJicujus reipubliese ; at.si princepsin lus roligionidamnum inférai aut justifiant Uedat, Ecclesia declarare potest, liane vel illam legem non obligare in conscientia, aut illi obedientiam præstari non posse ; potest eliam principem fquem membrum Keclesiasupponimus), admotiere, corripeie, tmo et coercere pœnis, salteni spiritualibus. /)< Ecclesia Christi, 4’éd., 1920, p.220.

Vfgr d’Herbigny, plus compréhensii et plus clair, définit ainsi le pouvoir indirect :

Potestas Indlrecta est Ecclesiæ officium (el inde jus) ut lidelium, eliani quatenus Statu politice associantur, conscientias vel doceat vel moneat… Regentium ergo conscientias illuminai docetque obscuras, excitât torpentes, admonet déviantes, reprehendit peccantes, damnât obstinatas : occasione accepta, sive ex eorum vita privata lut Joannes Baptista a<l Herodem), sivee materia administrationis publics religiosa aut morali (saltem indirecta, v. g. S. Ambrosius ad Theodosium)… N’ullum ergo inducitur Statui periculum servitutis. Status enim cuucta officia jam pra ; existebant principiative, et solum determinantur in applicationibus ad Ecclesiam. Théologien de Ecclesia, : t c édit., t. i, p. 139-141 sq.

Nous avons là des thèses qui accordent beaucoup au système du pouvoir directif, en éliminant de la notion du pouvoir indirect la notion de juridiction proprement dite : l’Église, dit van Noort, n’use, pour faire prévaloir sa volonté, que de moyens d’ordre moral et de peines spirituelles. Mais ce n’est pas un simple droit de conseil qui est reconnu à l’Église ; elle peut et doit user de monitions, de réprimandes, de condamnations formelles, suivies de sanctions canoniques ; mais son action s’étend avant tout sur les consciences, parce que son pouvoir demeure essentiellement spirituel.

IV. Conclusions.

Il nous faut conclure et dégager ici brièvement ce qui ressort de la précédente étude.

Les principes.

La distinction des deux pouvoirs,

inscrite formellement dans l’Évangile, importe à la liberté des âmes et à l’indépendance de l’Église comme au bien du genre humain et au progrès même de la civilisation. Il ne peut donc être question de confusion : le temporel et le spirituel, le naturel et le surnaturel constituent réellement des ordres distincts, situés sur des plans nettement différents.

D’autre part, l’activité humaine se déploie sur ces plans divers et dans ces ordres différents. Bien plus, nos actes peuvent se rapporter tout ensemble, soit au bien particulier, soit au bien commun de la famille ou de la cité terrestre, soit au bien commun de la cité céleste, c’est-à-dire à Dieu, Bien transcendant, fin dernière et universelle. Les aspects formels peuvent varier, mais les fins sont essentiellement hiérarchisées. Si l’éthique sociale domine l’éthique privée, la morale ou éthique générale, naturelle et surnaturelle, domine aussi et enveloppe l’éthique sociale, l’économique et la politique ; cette subordination se fonde sur la subordination essentielle des lins.

Le christianisme professant que le souverain bien de la vie humaine et sa fin dernière, réside en la possession même de Dieu, par une vision béatifique, il s’ensuit que l’on ne saurait trop nettement marquer la subordination du politique et du temporel au moral et au spirituel, et qu’il n’y a nulle proportion de valeur entre la cité terrestre qui s’exprime dans l’État et la cité de Dieu qui se réalise ici-bas dans l’Église.

Corollaires.

Distinction et subordination,

qu’est-ce à dire en définitive ?

1. C’est-à-dire que la cité de Dieu ne doit pas présentement absorber la cité terrestre, qui est le domaine de César : l’Évangile proteste là contre et la tradition chrétienne, malgré ses fluctuations, reconnaît au pouvoir civil une parfaite autonomie d’opération.

2. On ne peut même concevoir comme normal que la primauté du spirituel se traduise, dans la pratique, chez le chef de l’Église, par un pouvoir direct de juridiction atteignant, en définitive, le temporel, en soi et comme tel. Ce régime ne peut s’admettre qu’à titre spécial, exceptionnel, en vertu d’une convention, d’un don, d’un legs volontairement consentis, ou d’une suzeraineté librement et formellement acceptée, bref dans des cas tout à fait particuliers, dont l’histoire, à