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2753 POUVOIR DU PAPE. LES THÉOLOGIENS DU XVle SIÈCLE 2754

Dieu par un mépris plein de sacrilège. « Comment, de J. Calvin sur le Nouv. Test., t. i, Paris, 1854, p. 661. Son disciple Duplessis-Mornay ne le dépassera pas en invectives, lorsque, dans son histoire de la papauté intitulée Le mystère d’iniquité, il décrira les progrès et l’évolution de l’Antéchrist, l’arrogance des pontifes romains, « fiers de leurs deux glaives, mêlant le profane au sacré et absorbant le sacré dans le profane », et argumentant, comme Boniface VIII dans la bulle Unam sançtam, « au rebours de tous les Pères interprètes ». Le mystère…, Paris, 1611, préf. et p. 407.

Citons, en dernier exemple, le jurisconsulte François Hotman. Dans un pamphlet antipapiste de 1585, il tourne en ridicule les théologiens et canonistes qui ont considéré la petite épée que portait fortuitement le pécheur Pierre comme le symbole du pouvoir temporel, comme si l’Apôtre avait été magistrat, ou encore, qui ont tiré du converte gladium tuum in vaginam cette application, contraire au sens, que le pape aurait le glaive matériel à sa disposition. Fulmen Brutum, dans Goldast, op. cit., t. iii, p. 114. Toutes ces diatribes ont suscité des répliques de la part des auteurs catholiques, et il est curieux de remarquer qu’un nombre imposant de traités, tels ceux de Bellarmin, Lessius, Nicolas CoëlTeteau, Malvenda, Eudoemon-Joannès, Jérémie Ferrier, s’occupent de l’Antéchrist ou contiennent explicitement cette question : le pape est-il l’Antéchrist ?

II. l’attitude doctrinale des théologiens catholiques du XVIe siècle. — Le respect de la tradition maintenait malgré tout au célèbre argument des deux glaives une longue survivance, qui n’était pas sans influer sur le fond même de la doctrine.

Les attardés.

Dans son traité De concilio, le cardinal

Dominique Jacobatius († 1528) utilise longuement, avec une parfaite sérénité, le texte classique de Luc, t. X, a. 8, n. 9-10, dans Roccaberti, Bibl. max. pontif., t. ix, p. 617. Il est suivi, du reste, par le théologien belge Albert Pighi (| 1542), dans sa Hierarchia catholica, v, 10, et par le canoniste français Jean Quintin († 1561).

Entre le Pasce oves meas et le Ecce duo gladii hic, le théologien allemand Conrad Braun († 1583) ne dissimule pas que sa préférence est pour ce dernier texte, qui, à ses yeux, prouve plus clairement la double juridiction du pontife romain. Et les canonistes italiens Lelius Jordanus († 1583) et Raoul Cupers († 1588), les espagnols Valenzuela et Torreblanca ne sont pas d’un autre avis.

Au début du xviie siècle, on verra encore l’oratorien François Bozio consacrer un long chapitre de son De temporali Ecclesiæ monarchia à justifier l’argument des deux glaives, pour lequel jamais encore aucun partisan des doctrines théocratiques n’avait dépensé un tel luxe de preuves.

Cependant, la fragilité de cette exégèse apparaît de jour en jour plus flagrante. Maldonat († 1583), dans son commentaire de saint Luc, l’abandonne résolument, pour s’en tenir au sens littéral.

La théologie de Cajétan.

Cajétan († 1534) en

avait agi de même, ignorant totalement cette interprétation allégorique. Par ailleurs, sa pensée fait corps avec celle du Docteur angélique, mais, sur le point le plus délicat de la question, son commentaire nous offre des précisions qui sont à remarquer. « La puissance du pape, dit-il, concerne directement les choses spirituelles, directe est respectu spiritualium, en vue de la fin suprême du genre humain ; aussi deux propriétés la caractérisent : 1. elle n’est pas directe à l’égard du temporel ; 2. elle ne concerne le temporel qu’en vue du spirituel… Il résulte de ces principes que l’on peut, au sujet du pape, affirmer précisément les deux points suivants et qu’il possède bien un pouvoir suprême sur

le temporel et aussi que ce suprême pouvoir, il ne le possède pas. En effet, la thèse affirmative est vraie, mais en vue du spirituel, in ordine ad spiritualia ; la négative, par contre, est vraie directement, c’est-à-dire en ce qui concerne le temporel en soi, directe, seu secundum seipsa temporalia. D’où il suit que l’une et l’autre thèse peut se défendre sans risque d’aucune erreur ; et c’est pourquoi des papes ont pu revendiquer un pouvoir suprême sur le temporel et d’autres le repousser. » Apologia tractalus de comparata auctorilate papie et concilii, tract, ii, part. 2°, c. xiii.

D’autre part, dans son commentaire de la Somme, Cajétan a cette déclaration d’une souveraine importance et qui était alors d’une brûlante actualité : « Il peut se rencontrer des infidèles qui ne soient ni en fait, ni en droit sous la juridiction temporelle des princes chrétiens. Ainsi, les païens qui n’auraient jamais été sujets de l’empire romain et habiteraient des territoires où le nom chrétien est demeuré inconnu, les gouvernements de ces peuples, quoique infidèles, sont légitimes, quelle qu’en soit la forme, royale ou démocratique. L’infidélité ne leur enlève pas la juridiction sur leurs sujets, le dominium (civil) étant de droit positif (humain) et l’infidélité se référant au droit divin, lequel ne détruit pas le droit humain, comme l’explique saint Thomas, Ila-llæ, q. X) a. jn. Nul roi, nul empereur ni non plus l’Église romaine n’ont le droit de faire la guerre contre des païens pour s’emparer de leurs terres et se les soumettre temporellement. » In 11^^-11^, q. xlvi, a. 8, ad l^m.

C’est à la lumière de ces principes qu’il faut envisager l’acte d’arbitrage d’Alexandre VI, partageant, en 1493, entre l’Espagne et le Portugal, non pas tant des territoires, qu’il ne possédait pas, ni des peuples, dont il ne pouvait disposer à son gré, que des zones d’influence et surtout d’évangélisation dans les régions nouvellement découvertes ou à découvrir. Et c’est bien cette doctrine authentiquement catholique que défendra Bartholomé de Las Casas († 1566) par son apostolat, par toute sa vie, par ses écrits, et, notamment, par son Traité comprobatoire de l’empire souverain et du principat universel que les rois de Castille et de Léon possèdent sur les’Indes (Séville, 1553), où il écrit : « Ceux qui disent que le Christ en venant au monde a, ipso jure, privé les infidèles de toute autorité, indépendance, souveraineté et juridiction, disent une chose absurde, contraire à la raison, indigne même de l’intelligence de paysans, scandaleuse, infâme, indigne du nom chrétien. Ils portent faux témoignage contre Jésus qu’ils déshonorent. Il n’y a pas de plus grand obstacle à la prédication de l’Évangile. Si le Christ est venu pour exercer toute justice, il ne peut dépouiller les hommes de leurs droits naturels. Avec cette opinion impie et détestable, ils rendent l’Église menteuse, ils sont coupables d’hérésie et de sacrilège, et on devrait brûler vifs ceux qui la soutiennent, car elle est contraire à l’Écriture et à la doctrine de l’Église. » Cf. M. Brion, Bartholomé de Las Casas, Paris, 1927, p. 238 sq.

Un autre dominicain, l’Espagnol François de Vittoria († 1546) invoque l’autorité de Cajétan non pas seulement pour éliminer l’argument des deux glaives, mais encore pour établir la thèse du pouvoir pontifical en matière temporelle. Du système théocratique, il ne craint pas d’écrire : Ego puto esse merum commentum in adulationem et assentationem pontificum. Prmlect. theol., Lyon, 1587, p. 38. Sa doctrine sur le sujet qui nous occupe est exprimée surtout dans son De Indis ; elle se relie expressément à celle de Torquemada et se ramène aux propositions suivantes : Papa non est dominus civilis aut temporalis latius orbis, loquendo proprie de dominio et potestate civili. — Papa habet potestatem temporalem in ordine ad spiritualia, id est quantum necesse est ad administrationem rerum spiritualium.