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2745 POUVOIR DU PAPE. LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE, XVe SIÈCLE 2746

docere, et in temporalibus spiritualiter dirigcre, monehdo eos temporaliu ad spirilualia ordinare. Nous voilà loin, sans doute, de Gilles de Home, loin aussi des légistes régaliens ou impérialistes, mais non pas si loin, à vrai dire, de cette tradition qui, de Gélase I er à Boniface VIII, n’a jamais cessé complètement de s’exprimer dans l’Église. Texte dans Fincke, Aus den Tagen Boni/az VIII., Munster, 1922, p. ex, cxiii, cxv, cxvi.’3° La thèse impérialiste. — On conçoit que le séjour des papes en Avignon n’ait pas servi leurs revendications de suprématie universelle ; s’ils surent rester en paix avec la cour de France, ils eurent, durant vingt-deux ans (1324-1346), des démêlés avec l’empereur Louis de Bavière. Jean XXII (1316-1334) l’excommunie et le dépose (1324), mais il ne réussit qu’à se susciter le plus redoutable des adversaires. A Benoît XII (1334-1342), qui a repris la lutte, la diète de Rense (16 juillet 1338) déclare que la dignité impériale vient immédiatement de Dieu et que la légitimité d’une élection tient à la décision de la majorité ; enfin la constitution Licet juris utriusque, du 6 août 1338, proclame que l’empereur ne peut être jugé par le pape. Clément VI (1342-1352) pourra bien profiter du mécontentement des princes électeurs, provoquer une nouvelle assemblée à Rense, déposer Louis le 13 avril 1346 et approuver l’élection de Charles IV, en rappelant dans son discours que potestas imperialis catholica et approbata a papa originatur, a papa exemplatur et ad paparn terminatur ; il en fournira dix preuves, dont la septième est l’argument des deux glaives ; il n’omettra pas de signifier à l’élu que le glaive temporel qu’il devra manier devra l’être ad nutum et imperium sacerdotis ; il n’aura obtenu qu’une victoire diplomatique, et bien éphémère. Dès cette même année 1346, Charles IV dupera le Saint-Siège et, dix ans plus tard (1356), par la Bulle d’or, il consommera l’émancipation : tout rôle actif y sera refusé au pape dans la constitution impériale et sept princes allemands seront possesseurs exclusifs du droit d’élire l’empereur. C’est du même coup la nationalisation de l’empire, naguère « romain », désormais « germanique ». Comme le royaume très chrétien de France, les Allemagnes prétendent organiser en marge de la justice évangélique et des droits de l’Église leur vie sociale et politique.

Durant ce conflit, tandis que Michel de Césène traite le pape d’Antéchrist et l’Église romaine de prostituée de Babylone, deux maîtres célèbres soutiennent les prétentions impériales : Marsile de Padoue (t vers 1342) et Guillaume d’Occam (t vers 1349).

Toutes les œuvres de Marsile sont consacrées à cette cause à laquelle il s’était voué corps et âme, avec la collaboration de Jean de Jandun († 1328). Son Defensor pacis tend à instituer une subordination complète ce l’Église à l’État. Pour lui, l’Écriture et la tradition établissent que le Christ a interdit à son Église toute puissance temporelle, qu’il lui a ordonné la soumission aux princes et que, sur ce double point, il a été parfaitement suivi par les apôtres. Les deux glaives du texte de Luc ne sont plus pour Marsile, comme jadis pour Ambroise, que le symbole des deux Testaments ; et quant à saint Bernard, il n’en veut retenir que le quid lu denuo usurpare gladium lentes ? On n’usurpe que ce qui ne vous appartient pas. Du reste, à ses yeux, les textes invoqués couramment n’ont aucune valeur pour prouver une pleniludo potestatis, puisque, ni dans l’ordre temporel, ni même dans l’ordre spirituel, l’évêque de Rome ne possède nulle primauté.

Occam s’attache lui aussi à la thèse impérialiste ; s’il ne nie pas l’institution divine de la papauté, il s’élève avec fougue contre les empiétements du Saint-Siège et contre les prétentions de « l’Église d’Avignon » à régir les choses temporelles, particulièrement l’empire, sur lequel le vicaire du Christ n’a aucun

pouvoir fondé en droit. Moins radical que Marsile, Occam conteste seulement l’extension abusive des prérogatives que théologiens et canonistes ont cru pouvoir déduire de l’exégèse des textes scripturaires. Dans ses Octo quæsliones super potestate uc dignilale papali, il note que le sens mystique ne peut être utilisé dans une thèse que s’il s’appuie par ailleurs sur des textes clairs de l’Écriture ou sur une raison évidente. Ce n’est pas le cas pour le fameux texte de Luc ; pas plus que le couverte, le ecce duo gladii hic n’a de rapport avec un pouvoir de Pierre sur le temporel. La même argumentation se retrouve dans les Allegaliones de potestate imperiali, qui sont une apologie de l’édit impérial Licet juris (1338). A propos de l’interprétation allégorique des deux glaives, « supposons, dit-il, que les deux glaives signifient les deux pouvoirs. Pierre ne dit pas au Seigneur : J’ai ou nous avons deux glaives ; mais il dit : Il y a ici (hic) deux glaives. Hic désigne en effet le corps de l’Église militante qui voyage ici-bas, parce qu’en vérité, dans le corps de l’Église catholique militante, il y a bien deux glaives, le spirituel et le temporel. » Alleg., éd. Scholz, op. cit., t. ii, p. 425-427. Cette exégèse fut en faveur avant saint Bernard, mais Occam ne s’y rallie que pour combattre la thèse adverse.

Le Grand Schisme et ses conséquences.

Cependant,

tandis que l’empire va désormais s’afîaiblissant au profit des souverainetés nationales, la papauté elle-même, humiliée dans son prestige par le Grand Schisme, voit diminuer sa force : non seulement elle n’impose plus ses volontés aux empereurs et aux rois, mais elle se trouve obligée de lutter pour garder la prééminence dans l’Église. A partir de la fin du xiv c siècle, la grande question qui passionne les esprits, c’est celle de la supériorité du pape sur le concile. On conçoit que, dans dételles conjonctures, le problème du pouvoir politique du Saint-Siège passe au second plan. Il n’est pas oublié néanmoins, et, dans les écoles, il préoccupe encore, bien qu’en se différenciant plus clairement que dans la période précédente.

1. Canonistes pontificaux.

L’accord des canonistes demeure imposant pour attribuer au pape la stricte possession des deux glaives.

Le décrétaliste Gilles de Bellamère (fl406) tient à marquer que la dualité des pouvoirs (ecce gladii duo) n’entraîne nullement leur indépendance, mais que duo dicuntur habilo respeclu ad diversos actus. In c. Novit, n. 14, dans Comment, des Décrétâtes, t. iv, Lyon, 1549, fol. 29-30. Le professeur de Bologne, Jean d’Imola († 1436), après avoir cité le texte de Boniface VIII, reconnaît cependant que l’intervention pontificale dans le temporel pourra être limitée en fait à certains cas que précise le droit. In c. Novit, x, 2, édit. de Venise, 1575, t. ii, p. 9. Chez le célèbre Panormitanus, Nicolas Tedeschi, archevêque de Palerme († 1445), parmi bien des tergiversations et des contradictions, on trouve cette affirmation que le Seigneur a transmis à Pierre sa double puissance spirituelle et temporelle, en lui disant Pasce oves meas et en répondant satis au geste de l’Apôtre qui lui montrait les deux glaives, et cette remarque significative : omnia Ma sunt pensanda, cum Christus fere semper loquatur figurative. In c. Novit, x, ii, 1, cité par F. Bozio, De temporali Ecclesise monarchia, Rome, 1601, p. 475. Pierre d’Andlau, professeur à Bologne (1444-1480) le répète fidèlement. De imperio romano, ii, 9, Strasbourg, 1612, p. 106.

L’interprétation symbolique du texte est tenace, sans, du reste, se renouveler aucunement. Le dominicain Jean de Raguse, qui joua un rôle important au concile de Bàle, se borne dans son traité De Ecclesia (1439), à développer l’argument classique sans y rien ajouter que des longueurs et, lorsqu’il s’agit de lutter contre la Pragmatique sanction de Bourges, le cano-