Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.2.djvu/657

Cette page n’a pas encore été corrigée

2741 POUVOIR DU PAPE. LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE, XI re SIÈCLE 2742

système de défense des théologiens conservateurs : l’autorité de saint Bernard donne, selon eux, à l’argument des deux glaives sa valeur décisive, puisqu’elle constitue le témoignage réclamé par le docteur d’Hippone en faveur de l’interprétation allégorique.

2. Les régaliens.

Quant aux régaliens, il nous suffira de situer brièvement leurs positions doctrinales. Aussi bien n’avons-nous pas, de la main du roi de France, un exposé comparable à ceux du souverain pontife ; mais nous avons ses actes officiels, ses propres déclarations et quelques formules de ses partisans, qui donnent à penser qu’au système théocratique du pape c’est un véritable césarisme religieux que l’on prétend opposer.

A propos de la bulle Clericis laicos et des immunités ecclésiastiques, un document anonyme qui n’est sans doute qu’un projet de réponse au Saint-Siège, débute ainsi : Antequam èssent clerici, rex Francise habebat custodiam regni sui et paierai slatula facere quibus ab inimicorum insidiis et nocumenlis sibi præcaverel. C’est l’indépendance de la politique royale qui s’affirme. Du reste, Ecclesia… non solum est ex clericis, sed eliam ex laicis, les laïques ont des droits dans l’Église, et les immunités ecclésiastiques ne sont que des concessions des princes aux clercs ; ces franchises accordées par faveur doivent céder devant le droit naturel et devant le devoir national, pour le bien du royaume.

Sur le terrain même des principes, retenons la solennelle protestation que Philippe le Bel fit enregistrer par les légats pontificaux (20 avril 1297) ; en ce qui concerne le temporel, la position est nettement marquée : Rcgimen lemporalilatis regni sui ad ipsum regem solum et neminem alium pertinere, seque in eo neminem superiorem recognoscere, nec habere, nec se inlendere supponere vel subjicere modo quoeumque viuenli alicui super rébus perlinenlibus ad temporale regimen regni… Pour ce qui regarde le spirituel, le texte est plus ambigu : Quantum autem ipsius régis tangit animam et ad spiritualilatem atlinet, idem rex… paralus est monitionibus et præceplis Sedis apostotiew dévote ac humiliter obedire, in quantum lenetur et débet, et tanquam verus et dévolus films Sedis ipsius et sanctæ matris Ecclesiie reverentiam observare. Dupuy, op. cit., p. 28 sq.

Mais la summa régis liberlas, le jus regium, tels que le comprennent Pierre Dubois, Pierre Flote, Nogaret, devront s’étendre jusqu’à la reformatio regni et Ecclesiæ gallicanæ, jusqu’à la defensio Ecclesiæ et ecclesiasticæ liberlalis commissa et, pratiquement, jusqu’à la collation des prébendes et l’usufruit des bénéfices vacants, voire même jusqu’à l’abolition de toute propriété ecclésiastique. Plus archaïque encore que Boniface VIII, Philippe le Bel tend à restaurer la confusion des deux pouvoirs au profit de sa royale autocratie — semblable à celle d’un basileus byzantin.

On chercherait en vain, entre 1296 et 1303, un exposé large et systématique des thèses régaliennes ; mais elles ont à leur service des opuscules, libelles ou pamphlets de circonstance, qui sont suffisamment significatifs.

C’est d’abord la célèbre Disputatio inter clericum et militem, dont l’auteur anonyme, faisant litière, du droit canon et usant à ses fins des arguments scripturaircs, refuse purement et simplement à l’Église tout droit en matière temporelle : Quæ illi (romani pontifices ) statuunt, si de temporalibus statuunt, vobis possunt jura esse, nobis vero non sunt … El quemadmodum terreni principes non possunt aliquid staluere de veslris spiritualibus, super quæ non acceperunt potestatem, sic nec vos de temporalibus eorum, super quæ non ha bel i s auctorilalem. Disput., dans Goldast, Monarchia imperii romani, t. i, p. 13 sq. Mais, ici encore, c’est l’absolutisme du pouvoir séculier que l’on prétend substituer à l’absolutisme pontifical, au nom de la raison d’État.

A ce chevalier, dont la théologie est de moindre

valeur que la verve satirique, un théologien dont la vigueur logique vaut mieux que le style se chargea de répondre dans un autre traité anonyme Non ponant laici, où la subordination du temporel au spirituel et la suprématie pontificale étaient défendues par l’Écriture et les canons, où la bulle Clericis laicos était célébrée comme due à une inspiration divine. Cf. Rivière, op. cit., p. 130-132.

Mais ces opuscules s’attachent surtout aux aspects pratiques de la question ; d’autres œuvies vont suivre, qui porteront délibérément la discussion sur le terrain spéculatif. Deux surtout doivent retenir l’attention : l’un est la Quæstio in ulramque partem, l’autre le traité Rex paci ficus. Textes dans Goldast, op. cit, , t. ii, p. 96-207, et dans Dupuy, op. cit., p. 663-683. Tous deux sont anonymes et contemporains des précédents écrits, mais, tandis que la Quæstio est d’un philosophe et d’un théologien froid, méthodique, volontairement concis et mesuré, le Rex pacificus est d’un juriste de profession qui, tout en ne ménageant pas son dédain aux théologiens, ne dédaigne pas les arguments théologiques et qui, après avoir proclamé radicalement Y imperlinentia de l’Église dans l’ordre temporel, accorde au roi le jus summæ superiorilatis in regno suo ; on reconnaît le régalisme et le nationalisme du Dialogue entre un clerc et un chevalier. Cf. Rivière, op. cit., p. 133-138, 262-271.

A la recherche de nouvelles formules.

Cependant,

si les canonistes, dans l’ensemble, continuent d’attribuer au Saint-Siège la stricte possession des deux glaives, les théologiens, de plus en plus, nuancent leurs thèses. Tandis que les théoriciens attardés de l’impérialisme gibelin présentent encore l’empire comme la puissance suprême et universelle, perpétuellement et de droit divin dévolue aux Allemands, comme le veulent Jourdain d’Osnabriick, Alexandre de Roes, Engelbert d’Admonts, les légistes, plus attachés aux vieilles formules du droit romain qu’aux considérations mystiques, ou aux textes de la Bible, des Pères et des canons, restreignent expressément la suprématie pontificale au domaine spirituel et réservent au prince un pouvoir universel et absolu dans l’ordre temporel. Un système intermédiaire devait se faire jour, amorce des conceptions de la théologie moderne.

1. En Ualie.

Dante († 1321), le grand poète, qui fut aussi un grand penseur, en fut un des premiers représentants. Sa Monarchia est d’un philosophe qui, esquissant le plan idéal du monde, en arrive à cette conclusion qu’une monarchie universelle est indispensable au développement normal et paisible de la chrétienté sur le plan temporel ; pour lui, cette monarchie unique ne peut être que l’empire romain, sacré par la conduite obéissante du Christ. Mais, si Dante s’oppose, par cette vue politique, à tout nationalisme, et d’abord à celui des légistes français, il ne se pose pas en ennemi irréconciliable de la papauté. Pour lui, l’empire qui procède immédiatement de l’autorité divine, est indépendant du Saint-Siège, comme il lui est antérieur ; aucun des arguments de la théologie courante ne prouve à ses yeux le bien-fondé de la thèse contraire. Le gouvernement du temporel est donc contra naturam Ecclesiæ ; l’Église est omnino indisposita ad lemporalia recipienda, puisque sa « forme », c’est le Christ, qui, ut exemplar Ecclesiæ, regni hujus curam non habebat. Monarchia, ni, 10, 15, éd. Witte, p. 123, 134-135. Mais Dante ne veut pas pour autant supprimer tout lien de subordination de l’empereur au pape : …cum morlalis ista félicitas quodammodo ad immorlalem felicitalem ordinetur. Ibid., iii, 16, p. 139-140. Sur.cette soumission relative, il ne s’explique guère, sauf, sans doute, en attribuant une « grâce », une « influence morale » qui n’est pas sans quelque analogie avec ce que l’on dénommera plus tard le « pouvoir directif » : Regnum tempo-