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2733 POUVOIR DU PAPE. LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE, Xllie SIÈCLE 273’potest., i, 5, éd. de Florence, 1908, p. 18-20. Sans doute, tout pouvoir vient de Dieu et, comme le pouvoir pontifical, l’autorité royale est divine, mais non… œque immédiate a Deu est hœc potestas et illa : immo est hœc per illam et per consequens est hœc sub illa. Ibid., ii, 5, p. 46. Il s’ensuit que la subordination de l’État, ordonné logiquement aux fins de la puissance ecclésiastique, s’étendra à tous ses moyens d’action ; les lois civiles ne seront valides que si elles sont conformes à la justice, qui relève essentiellement de l’Église. Ibid., ii, 6, 10, p. 56, 74.

Une IIe partie du traité expose les droits de l’Église en matière de biens temporels, au regard du droit de propriété que lui avait contesté Arnaud de Brescia et que lui contestaient encore les vaudois et les fraticelles. La thèse était d’importance, à une époque où la souveraineté s’identifiait avec la possession territoriale. Si possessio dicat ipsum dominium, quis diceret quod spiritualis potestas non debeat lemporalia possidere, cujus est omnibus dominari ? Ibid., ii, 1-3, p. 31-40. Les biens matériels, naturels, imparfaits, sont subordonnés aux biens spirituels, surnaturels, parfaits ; le pape, qui garde et dispense ceux-ci, dispose également de ceux-là ; sa potestas quodammodo divina et cœlestis s’étend sur les biens de tous les fidèles comme sur leurs personnes. Les redevances ecclésiastiques sont la marque de ce domaine éminent.

Sans doute, constate Gilles, beaucoup se rebellent contre ce droit et cette vérité, mais elle est un corollaire obligé de la subordination du temporel au spirituel, et Gilles ne recule pas devant la conclusion logique quod omne dominium cum juslitia, sive sit rerum sive sit personarum, sive sit utile, sive potestativum, nonnisi sub Ecclesia et per Ecclesiam esse potest. Ibid., ii, 4, 5, 7, p. 42-45, 47-49, 57. Cette justice, c’est l’Église qui nous la donne : magis itaque est Ecclesia domina possessionis lux quam tu ipse. Ibid., ii, 8, p. 63-65. Infidèle, pécheur, excommunié, tout pécheur injuste mérite d’être dépossédé et ne possède que par tolérance de l’Église. Théorie à double tranchant, que maniaient déjà les sectaires pseudo-mystiques du Moyen Age contre toute autorité et qu’ils finiront, avec Wiclef, par retourner contre cette Église hiérarchique que Gilles plaçait à la base de toutes les propriétés, de toutes les juridictions, de tous les titres juridiques.

A la suite de tels principes, on pourrait attendre de notre intrépide théologien des applications d’une absolue intransigeance ; mais c’est toujours en pur spéculatif et non pas en juriste, que Gilles de Rome entend régler l’exercice de la puissance spirituelle ; de même que les fidèles n’ont de possessions que celles que leur concède l’Église, de même que le pouvoir civil n’a de droits que ceux qu’elle lui confère, de même le pouvoir ecclésiastique n’a de devoirs que ceux qu’il s’impose, dans la conscience de ses responsabilités. Comme de Dieu, dont la toute-puissance peut, selon son bon plaisir, se passer des causes secondes, ainsi en est-il du souverain pontife, avec cette seule réserve que la plénitude de son pouvoir céleste et divin est restreinte à la juridiction confiée à l’Église. Or, tous les biens privés sont sous le haut domaine de l’Église et de son chef, de même le gouvernement temporel lui appartient, per se, sed non primo, car il relève immédiatement de l’État. En certains cas où le temporel intéresse le spirituel, l’Église interviendra, sans sortir de sa sphère. Rigor spiritualis potestatis est intendere circa spirilualia ; sed si casus immineal, si spirituale aliquod hoc requirat, potest iste rigor sine culpa intermitti, ut spiritualis potestas se de temporalibus intromittat… Hoc erit prout temporalia induunt quemdam modum spiritualem, ut ipsa temporalia spiritualia dici possunt. Ibid., iii, 4, 5, p. 132-135.

Ces cas d’interférence se produiront, soit lorsqu’une

chose est commandée par Dieu : ainsi les dîmes, devenues res spiriluales, en tant que censura ecclesiarum ; soit, lorsque le temporel se trouve annexé au spirituel ou le spirituel au temporel, surtout ralione peccali, et, à ce titre, l’Église peut connaître de toutes les causes où il y a denuntiatio criminis, principalement s’il y a crimen ecclesiasticum, parjure, usure, sacrilège, hérésie. Ibid., iii, 5, 6, p. 135-1 13. Cette juridiction de l’Église ralione criminis est d’une extension à peu près illimitée. Elle aura pleine et normale compétence en matière temporelle, en cas de carence de l’autorité civile, soit que celle-ci fasse défaut par négligence, soit qu’elle abandonne ses droits par tolérance coutumière ou par concession formelle ; et la plénitude radicale du pouvoir ecclésiastique justifiera ses interventions dans les cas difficiles ou douteux, surtout s’ils concernent les princes. Ibid., iii, 7, 8, p. 144-151.

Gilles envisage le pouvoir de l’Église, soit dans l’absolu (passe simpliciter, summum posse absolutum), soit dans le relatif, conditionné par la convenance (posse cum decentia) ou l’opportunité (non facit quia non expediunl) : c’est le posse quibusdam regulis regulalum ; et en définitive l’intervention du pape dans le temporel s’exerce solum in casibus ubi videt Ecclesix et bono publico expedire. Ibid., iii, 7, p. 146.

Malgré ces réserves, c’est à bon droit que l’on a pu voir dans le traité de Gilles de Rome, la plus formelle expression de la doctrine théocratique du pouvoir « direct »,

2. Jacques de Viterbe († 1308) nous a laissé une œuvre proprement théologique, plus nuancée et mieux équilibrée. Voir ici, art. Jacques de Viterbe, t. viii, col. 305-309, et H. X. Arquillière, Le plus ancien traité de l’Église. Jacques de Viterbe, De regimine christiano, étude des sources et éd. crit., Paris, 1926.

Étudiant les éléments constitutifs de la société chrétienne, Jacques ne craint pas d’écrire que nulla communitas dicitur vere res publica nisi ecclesiastica, quia in ea sola est vera juslitia et vera utilitas et vera communio. De regim. christ., i, 4, éd. Arquillière, p. 128. Cependant, plus aristotélicien que Gilles de Rome, Jacques de Viterbe met en belle évidence le droit naturel du pouvoir civil, non seulement son droit humain, mais aussi son droit divin ; il prend position entre l’opinion qui fait dépendre le pouvoir de l’État de Dieu directement et uniquement et celle qui en subordonne la légitimité à l’Église. « Entre ces deux voies opposées, dit-il, on peut trouver une voie moyenne plus raisonnable, en disant que le pouvoir temporel a son origine (inchoative habel esse) dans l’inclination naturelle des hommes et, par suite, en Dieu lui-même, en tant qu’une œuvre de la nature est une œuvre de Dieu. Mais formellement et dans su perfection (perfective autem et formaliter), il existe par le pouvoir spirituel…, car la grâce ne détruit pas la nature, mais la perfectionne et l’informe. .. » Aussi le pouvoir, chez les infidèles, fondé sur le droit naturel, en conséquence légitime, est cependant informe, parce qu’il n’a pas été ratifié et approuvé par la puissance spirituelle. Et, de même, chez les chrétiens lé pouvoir séculier est informe, tant qu’il n’a pas été ratifié par l’Église… C’est pourquoi l’onction est conférée aux rois, non seulement comme un signe de la sainteté requise, mais encore comme un signe de ratification. .. La puissance spirituelle est, en quelque sorte, la « forme » du pouvoir séculier, comme la lumière est la forme de la couleur. » Ibid., ii, 7, éd. Arquillière, p. 231 sq. et 68-69. Et voilà qui fait sa part à saint Augustin et à saint Thomas.

Mais il faut dégager les conclusions de cette doctrine. Dans l’ordre temporel, le pape exercera nécessairement une suprématie effective, puisqu’il domine de sa primauté tout l’ordre hiérarchique de la grâce, établi par le Christ dans l’Église. Alors reparaît l’argument