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2729 POUVOIR DU PAPE. LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE, Xllie SIÈCLE 2730

en matière temporelle, être une auctoritas concessa dans cl par l’Église. L’argument des deux glaives vient à point couronner cet exposé officiel, qui rejoint la pensée d’Hugues de saint Victor, de saint Bernard et de Jean de Salisbury, pour la traduire en une brève proposition scolastique : Hujus siquidem malerialis potestas gladii apud Ecclesiam est implicata, sed per imperatorcm qui eam inde recipit explicatur, et quæ in sinu Ecclesiæ potentialis est solummodo et inclusa, fit, cum transfertur in principem, aclualis. Albert de Beham, op. cit., p. 8692. Cf. Winkclmann, Acta imperii inedila, t. ii, n. 1035 p. 698.

Pas plus d’ailleurs que le césaropapisme de Frédéric, cet absolutisme ecclésiastique ne semble avoir suscité de réactions doctrinales notables : de part et d’autre, on suivait un courant d’idées ; de part et d’autre, théologiens pontificaux et légistes impériaux vont continuer l’édification de leurs systèmes contradictoires.

Les grands scolastiques.

Les grands scolastiques,

il est vrai, ne traiteront la question nulle part ex professo, ou du moins in extenso (c’était avant tout affaire de canonistes), mais incidemment ils enregistreront avec la plus parfaite sérénité les formules acquises et leurs conséquences logiques.

1. Alexandre de Halès († 1245) cite à deux reprises le texte du.De consideratione de saint Bernard ; mais c’est surtout pour épiloguer et distinguer entre jubere et innuere. Les deux glaives sont bien au pape ; mais seuls les princes peuvent ordonner le châtiment des malfaiteurs, l’Église se bornant à cet égard au droit de demande et de prière. Sum. theol., p. III, q. xxxiv, membr. 2, a. 3 ; cf. q. xl, membr. 5 ; q. xlvii, membr. 3, a. 2 ; p. IV, q. x, membr. 5, a. 2. Et il insère littéralement le texte d’Hugues de SaintVictor concernant les rapports des deux puissances.

2. Robert Grossetête († 1253) est plus formel encore. Selon lui, « les princes reçoivent de l’Église tout ce qu’ils possèdent de puissance et de dignité légitimes », et dans la cérémonie du sacre, le prélat consécrateur, au nom de l’Église, vraie propriétaire du glaive matériel, en confie l’exercice au prince séculier.

Pourtant, le maître des Sentences, nous l’avons vii, avait retenu, d’après Gratien, et sous le nom de Nicolas I er, une proposition qui n’accorde à l’Église que le glaive spirituel ; il est curieux de voir les grands commentateurs aux prises avec cet axiome et de constater avec quelle conviction ils admettent la pleine suprématie de X’apostolicus.

3. Saint Bonaventure († 1274) en fait l’objet d’un dubium, et il conclut tout uniment, avec saint Bernard, que « l’un et l’autre glaive appartiennent à l’Église, mais différemment : le glaive spirituel doit être dégainé par la main de l’Église, l’autre non manu, sed tantum nutn » ; et voilà la difficulté résolue. In /yum Sentent., dist. XXXVII, dub. iv, éd. de Quaracchi, t. iv, p. 812.

4. Saint Thomas.

En cette voie, saint Bonaventure est suivi, d’ailleurs, par les plus éminents de ses contemporains, Pierre de Tarentaise, Richard de Médiavilla, saint Thomas d’Aquin lui-même († 1274) qui, en termes analogues, donne la même glose rectificative : Sancta Ecclesia… habet spirilualem tantum (gladium), quantum ad execulionem sua manu exercendam. Sed habet etiam temporalem, quantum ad ejus fussionem : quia ejus nutu extrahendus est, ut dicit Bernardus. In /yum Sent., dist. XXXVII, expos, textus.

Mais saint Thomas nous fournit de sa conception du pouvoir pontifical sur le temporel un exposé autrement explicite et complet. Et, d’abord, entre les deux puissances, il établit une discrimination fort nette, en même temps qu’une réelle subordination :

Potestas superior et inîerior dupliciter possunt se liabcre… Aut ita quod inîerior potestas ex lolo oriatur a

superiori… et sir se habet potestas Dei ad omnem potestatem creatam ; sic etiam se habet potestas imperatoris ad potestatem proconsulis ; sic etiam se habet potestas papae ad omnem spiritualem potestatem in Ecclesia… Possunt iterum pôle, las superior et inîerior ita se habere, quod ambee oriantur ex una quadam suprema potestate, quæ unam alteri subdit secundum quod vult ; et tune una non est superior alteri nisi in Iris quibus una supponitur alii a suprema potestate ; et in iJii, tantum est ma^is obediendum superiori quam inferiori…

Et voici l’application précise :

Potestas spiritualis et sæcularis utraque daducitur a potestate divinâ ; et ideo in tantum scecularis potestas est su !) spirituali in quantum cstaDeo supposita, scilicet in his quæ ad salutem animæ pertinent ; et ideo in his magis est obediendum potestati spirituali quam sæculari. In liis autem qua ? ad bonum civile pertinent, est magis obediendum potestati sæculari quam spirituali, secundum illud Matth., xxii, 21 : « Reddite quaa sunt Cæsaris Cæsari. In 7Vum Sent., dist. LXIV, expos, textus.

Il s’agit donc bien, en l’espèce, d’une subordination accidentelle ou relative ; mais une difficulté surgit du contexte immédiat, qui prévoit pour le souverain pontife, comme une exception, le double pouvoir souverain : « A moins peut-être qu’à la puissance spirituelle soit unie la puissance séculière, comme dans le pape, qui se trouve au sommet de l’une et de l’autre puissance, la spirituelle et la séculière, en vertu d’une disposition de celui qui est prêtre et roi. Prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech, roi des rois et seigneur des seigneurs, à qui la puissance ne sera point ravie et dont le règne n’aura pas d’éclipsé pour les siècles des siècles. » Ibid., ad 4um.

Saint Thomas a-t-il en vue ici le principat civil du pape dans le Patrimoine de saint Pierre, comme il le fait ailleurs, par exemple, lia-Il^, q. x, a. 10 ? C’est fort possible. Ou bien vise-t-il l’ensemble de la chrétienté et l’autorité que le pape y exerce, même dans le domaine temporel ? Cette seconde explication ne s’impose pas ; la Somme théologique ne fournit aucune déclaration sur ce même point, mais elle ne manque pas de poser en principe quod potestas sœcularis subditur spirituali sicut corpus animæ, II a -II ; le, q. lx, a. 6, ad 3um. Qu’est-ce à dire, sinon que la vie spirituelle et surnaturelle doit agir, par mode de cause efficiente, en vue de soutenir et de diriger la puissance civile dans son ordre substantiellement naturel, et par mode de cause finale, en vue de mesurer et d’ordonner le bien commun de la cité. Semper enim invenitur ille ad quem periinet ultimus finis imperare operantibus ea quæ ad finem ultimum ordinantur. Le royaume de Dieu prime tout ; or, hujus regni ministerium… sacerdotibus est commissum et præcipue summo sacerdoli successori Pétri, Christi vicario, romano pontifia, cui omnes reges populi christiani oportet esse subditos sicut ipse Domino Jesu Christo. De regimine principum, i, 14, 15, éd. Vives, t. xxvii, p. 354 sq. Tel est le droit proclamé par saint Thomas. Comment se réalisera-t-il dans le concret ?

Si la situation a tellement changé depuis la disparition du pouvoir païen, si le Christ règne sur la conscience des princes, c’est grâce à ce fait normal que, désormais, in isto tempore reges sunt vassalli Ecclesiæ. Quodlib., XII, q.xii, a. 19, ad 2um. Mais saint Thomas ne l’entend pas d’une mainmise continuelle de l’Église sur le temporel : ce serait contredire ses principes sur le droit naturel du pouvoir civil, que ne compromet pas essentiellement la violation même du droit divin ; bien plus, ce serait contredire saint Paul et le Christ. Si. dans l’état de « nature réparée », la subordination du temporel au spirituel est constante, totale, intrinsèque et essentielle, c’est que, pratiquement, les œuvres et les choses politiques se révèlent toujours bonnes ou mauvaises, jamais indifférentes, ni plus ni moins que les autres actes humains, et qu’elles relèvent nécessaire-