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2725 POUVOIR DL’PAPE. LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE, XIIl* SIÈCLE 2726

Quels seront les causes ou les cas de celle autorité in temporalibus magnam ? Innocent III s’en explique également. S’il intervient dans le différend survenu entre Philippe Auguste et Jean sans Terre, c’est au nom de la, morale : Non eniminlendimus judicare de jeudo, eu jus ad ipsum (regem) speclat judiciuin, nîsi forte juri cemmuni per spéciale privilegium vel contrarican eonsueludinem aliquid sit detractum, sed decernere de peccato, cujus ad non pertinet sine dubitatione censura, quam in qucmlibel exercere possumus et debemus. EpisL, vi, 163 et 166, t. ccxv, col. 177, 180, 182.

Ainsi, deux causes entraînent des interventions pontificales dans le domaine temporel : ou bien des situations particulières et privilégiées, créées par une convention ou par une coutume et ne relevant d’aucune loi, ou bien la sauvegarde de l’ordre moral, en vue du spirituel, et c’est le cas le plus fréquent. Dans le document cité, le pape lui-même donne l’exemple du serment, surtout s’il met en jeu la paix de la chrétienté. Il est bien évident que, pour le théologien qui tient ici la plume, la politique ne saurait échapper jamais, et par aucun détour, aux exigences de la morale chrétienne ; par suite, l’action de l’Église qui, radicalement, ne s’adresse qu’au domaine de la conscience, doit se développer dans l’ordre tout entier de l’activité nationale et internationale. Ainsi l’autorité du pape, tout en demeurant essentiellement religieuse et spirituelle, aura nécessairement d’immenses répercussions dans le domaine temporel. « Innocent III, dit M. Rivière, est le continuateur de Grégoire VII, mais sans guère le dépasser, en somme, que par l’abondance et la précision des formules, sans incorporer en tout cas le développement théologique déjà ébauché dans l’intervalle. » Op. cit., p. 36.

II. PÉRIODE L’ÉPANOUISSEMENT (XIIIe Siècle). — A

la faveur du rayonnement de la papauté, ce développement doctrinal va s’accentuer, jusqu’à devenir l’expression officielle et des actes mêmes et des conceptions raisonnées du Saint-Siège.

Affermissement de la théorie du pouvoir direct.


Dès le début du xme siècle, certains théologiens se rallient à la thèse que l’un d’entre eux intitule clairement : Quod uterque gladius sit Eeclesiæ. Simon de Tournai enseigne malerialem gladiurn causam habere a spiriluali, cité par Grabmann, Gesch. der scholast. Méthode, t. ii, 1911, p. 545, note. Même netteté d’affirmation dans la Summa aurea de Guillaume d’Auxerre († 1231) : In verilale Eeclesia duos habet gladios, unum quo utitur et quem habet in executione, alterum non sic, sed solum in conjerendo. Sum. aurea, I. III, tr. xxvi, c. iv, éd. de Paris, 1500, fol. 241 v°. Cf. J. Leclerc, L’argument des deux glaives, dans Rech. de science rel., juin 1931, p. 322.

Pourtant, à cette époque, on trouve encore des canonistes qui semblent s’en tenir à la simple distinction des pouvoirs qui ex eodem principio procedunt ; ainsi, Vincent l’Espagnol, suivi par Lanfranc. Tous deux certainement refusent au pape une juridiction « directe » sur le temporel. Mais la thèse adverse, en progrès constant, l’emporte bientôt, avec Alain, l’un des commentateurs des Compilationes antiques (vers 1210) : Dicunt quidam quod potestatem et gladiurn habet (imperalor) tantum a prineipibus… Verius est quod gladiurn habeat a papa. Est enim corpus unum Ecclesise, ergo unum solum caput habere débet… L’unité du corps mystique, du sacerdoce et de la royauté du Christ, l’allégorie des deux glaives, l’exemple du Sauveur, qui lui aussi a usé des deux glaives, même du glaive matériel (dans l’expulsion des vendeurs du Temple), telle est la série désormais classique des preuves que produiront les décrétalistes à l’appui de leurs thèses. Dante n’avait pas tout à fait tort de leur en reprocher l’insuffisance. Cf. J. Rivière, op. cit., p. 53-55.

Quoi qu’il en soit, le canoniste bolonais Laurent l’Espagnol suit intégralement la doctrine d’Alain, et Tancrède (f vers 1235), disciple de Laurent, le répète en substance quand, vers 1215, il écrit de Pierre : Ulrumque gladiurn habuit… Quam jurisdictionem et potestatem suis posleris transmisit… ; verumtamen executionem gludii maleriulis quoad judicium sanguinis imperaloribus et regibus Eeclesia commisit. Gilmann, Von vem slammen die Ausdrùclce « potestas directa », dans Archiv fur kalh. Kirchrnrecht, t. xcviii, 1918, p. 408.

Avec Jean le Teutonique (j vers 1245), dont la Glossa ordinaria devint vite le commentaire obligé du Décret de Gratien, le pape reçoit expressément la possession des deux glaives. Sur le texte de Pierre Damien que nous avons cité, col. 2713, Jean a cette remarque catégorique : argumentum quod papa habet utrumque gladiurn. Il ne s’embarrasse pas davantage du texte attribué à Nicolas I er : Eeclesia gladiurn non habet nisi spirilualem ; il se contente de l’addition : quoad executionem, et d’une brève explication : hoc ideo dico, quia imperalor habet illum a papa. Decrelum, dist. XXII, dans Corpus furis, Lyon, 1671, t. i, c. 100.

Parmi les décrétistes et les décrétalistes, les voix discordantes se font de plus en plus rares, soit pour affirmer l’autonomie et l’origine divine du pouvoir civil soit pour ironiser, comme le Bolonais Damasus, Quomodo papa utrumque gladiurn et cœlum et terram a Deo in solidum acceperil, Deus novit. Burchardica, régula 127, Cologne, 1564, fol. 88.

L’accord est vite fait sur la question de la prééminence absolue du pape ; la tradition se fixe grâce aux travaux des maîtres dont il suffira de citer ici les plus célèbres : Barthélémy de Brescia, Bonaguida d’Arezzo, Sinibaldo Fieschi, que nous retrouverons sous le nom d’Innocent IV, et surtout Henri de Suse, cardinal d’Ostie († 1271), le célèbre Hostiensis, pater canonum, fons et monarcha juris, slella decrelorum. sur lequel il convient de s’arrêter plus longuement, car, aux arguments classiques des deux astres et des deux glaives ou de l’unité du corps du Christ, il en ajoute de nouveaux, et d’abord celui des deux clés. Le Sauveur omnia commisit Petro… ; non dixit : clavem, sed claves, scilicet duas, pour signifier que l’autorité papale s’étend au temporel, comme au spirituel, en sorte que imperalor ab Eeclesia imperium lenel et potest dici offîcialis efus seu vicarius. Summa aurea, t. IV, tract, xvii, Qui filii sint legitimi, n. 9, Bâle, 1573, col. 1098. Viennent, en outre, des considérations plus originales et plus fécondes, qui amalgament, au bénéfice du successeur de Pierre, l’impérialisme romain et la royauté universelle du Christ. Pour l’Hostiensis, ratione imperii romani quod oblinel, le pape hérite de tous ses droits, et voilà qui justifie, entre autres entreprises, les croisades, qui doivent remettre le pape en possession de la Terre sainte ; et hsec ratio sufficit in omnibus aliis terris in quibus nonnunquam imperatores romani jurisdictionem habuerunt. Le pape est aussi et surtout le fondé de pouvoirs du Christ, dont l’avènement a eu pour effet une expropriation de tous les infidèles au profit des chrétiens. In lib. III Décrétai., c. 8, De voto et voti redemptione, n. 17 et 26, Venise, 1581, p. 128.

Son disciple Guillaume Durand, évêque de Mende († 1296), développe fidèlement la même doctrine. Le pape deponit imperatorcm propter ipsius iniquitates… et etiam reges… et dat eis curatores ubi sunt inutiles ad regendum, peut-on lire dans le Spéculum juris, t. I, partie, i, De legato, vi, n. 17 et n. 41, p. 43 et 46.

Tandis que l’idée de la suprématie pontificale gagne de jour en jour du terrain dans le domaine.spéculatif, dans l’ordre des faits elle rencontre une résistance plus vive que jamais, en particulier de la part de l’empereur Frédéric II. Ce prince, Innocent III l’avait choisi, préparé, appelé au trône (1215). En 1226, Honorius III