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2721 POUVOIR DU PAPE. LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE, XII^ SIÈCLE 2722

nom du pape, mi autre dont le rôle est évidemment subalterne et soumis au nutus du pape. Enfin le Seigneur n’a pas <iil : nimis est, mais : satis est : preuve encore qu’il concédait à Pierre lu possession des deux glaives.

Pierre le Vénérable († 1 156), pas plus que l’abbé de Clairvaux, ne reconnaît à l’Église le maniement du glaive impérial ; mais il lui attribue pareillement une effective suprématie sur les empereurs eux-mêmes : Sed quamvis Ecclesia non habeal imperatoris gladium, habet tamen super quoslibet minores sed et super ipsos imper, dores imperium. Epist., VI, 28, P. L., t. clxxxix, col. 442.

Cette doctrine, Jean de Salisbury († 1180) la fait sienne dans son Polijcralicus, iv, 3, P. L., t. cxcix, col. 516. Lorsque, quelques années plus tard, Alexandre III (1159-1181), après avoir excommunié Frédéric Barberousse (1100), en vient à prononcer sa déposition, Jean de Salisbury loue et justifie la sentence pontificale, « fondée sur le privilège de Pierre » et ratifiée par le jugement de Dieu. Epist., ccxxxiii sq., P. L., t. cxcix, col. 261-203. Son ami Thomas Becket († 1170) n’a pas une autre façon de voir, lui qui affirme nettement : cerlum est reges potestatem suam accipere ab Ecclesia, Epist., clxxix, P. L., t. exc, col. 652, et.qui, en témoin qualifié, nous a transmis cette déclaration significative d’un légat du pape à Henri II d’Angleterre : Nullas minas timemus, quia de lali curia sumus quæ consuevit imperare imperaloribus et regibus. Epist., ccclxxxiii, P. L., col. 720.

Ce n’est pas à dire cependant que les souverains ne réagirent point et acceptèrent sans riposte la doctrine des deux glaives selon l’exégèse nouvelle. Mais, tout d’abord, les papes comme les empereurs n’utilisèrent le texte de Luc que pour insister sur la distinction des deux pouvoirs et sur leur nécessaire accord. Par deux fois, les actes de Barberousse y font une allusion directe, soulignant la dualité des pouvoirs et le droit divin de la dignité impériale. Mon. Germ. hisl., Conslit. et acta, t. i, p. 231, 253. Le grand tort de ce prince est de prétendre faire régler par un concile, tenu à sa discrétion, le conflit qui divise le pape et l’antipape ; pratiquement, il usurpe ainsi le glaive spirituel.

Les canonisles.

Devant de telles violations des

saints canons, les canonistes, plus que les théologiens, furent les actifs promoteurs de la doctrine de la suprématie pontificale étendue directement au domaine temporel, de même qu’ils en seront les derniers défenseurs. Il n’y a pas lieu de s’en étonner, si l’on songe que les textes législatifs dépendent plus étroitement que les spéculations dogmatiques des contingences humaines, politiques ou sociales.

Déjà, nous avons vu Yves de Chartres enregistrer dans son Décret les principes juridiques énoncés par Grégoire VII dans sa n° lettre à Hermann de Metz. Ce n’était qu’un commencement : de là, ils passèrent dans le Décret de Gratien (vers 1140). Le grand canoniste du xiie siècle n’abandonne pas pour autant les opinions traditionnelles ; c’est un compilateur éclectique dont la pensée personnelle est assez difficile à déceler, mais qui fournit aux champions de la suprématie pontificale une documentation précieuse et quelques commentaires suggestifs. Il reproduit un texte de Nicolas II (1059-1001) sur la nécessité de l’accord entre les deux glaives et il insère plusieurs extraits affirmant que l’Église ne possède en propre que le glaive spirituel, tel ce texte douteux de Nicolas I er, catégorique à souhait : « L’Église de Dieu n’a que le glaive spirituel ; elle ne tue pas, mais elle vivifie. » Caus. XV, q. vi, c. 2, Auctorilalem ; Caus. XXXIII, q. ii, c. 6, Inler hœc. Il semble cependant que Gratien soit plutôt favorable à une distinction des deux pouvoirs poussée jusqu’à l’autonomie. Glosant pour son compte, il ne craint pas

d’écrire : « la discipline ecclésiastique ordonne de frapper les coupables ; non pas avec le glaive matériel, mais avec le glaive spirituel » ; et, lui aussi, à propos du couverte gladium tuum in vaginam, il souligne le blâme mérité par Pierre, pour s’être servi du glaive matériel. Caus. XXXIII, q. ii, c. 5, Interfeelores ; Caus. XXIII, (j. mii, préamb. Du reste, à la différence des théologiens et d’accord avec les canonisles de sou temps, (.ralien semble bien admettre l’origine immédiatement divine de la royauté, ce qui ne l’empêche pas d’enregistrer, en l’attribuant à Nicolas II, le texte fameux de Pierre Damien sur les terreni simul et cielestis imperii jura (ci-dessus, col. 2713). à propos duquel surtout devaient se diviser ses commentateurs.

Certains décrétistes, en efïet, ont voulu conclure de ce texte que Pierre a reçu du Christ les deux dignités sacerdotale et impériale. D’autres, comme Etienne de Tournai († 1203) n’y ont vu qu’une paraphrase du Tu es Pelrus..Mais Etienne de Tournai professe formellement l’indépendance réciproque des deux autorités : In eadem civilale sub eodem rege duo populi sunt , et secundum duos populos dux vilæ, et secundum duas vilas duo principalus, secundum duos principalus duplex jurisdictionis ordo procedit. Civitas, ecclesia ; civitatis rex, Chrisius ; duo populi, duo in ecclesia ordines, clericorum et laicorum ; duæ vilse, spiritualis et carnalis ; duo principalus, sacerdotium et regnum ; duplex jurisdiclio, divinum jus et luunanum. Redde singula singulis el convenient universa. Summa Decreli, prol., éd. Schullc, 1891, p. 1-2.

Iluguccio († 1210), dans son commentaire encore inédit, signale du texte litigieux l’interprétation extensive ; mais il la rejette et prétend rester fidèle à la doctrine authentique de Gratien : « … l’empereur tient le pouvoir du glaive, non du pape, mais des princes et du peuple par l’élection… Aussi, en signe de cette distinction et de cette division des deux pouvoirs, impérial et apostolique, il a été dit : voici deux glaives ». In c. 6, Cum ad verum, dist. XCVI, dans Paris, lai. 3891, fol. 22, 98.

Vers la fin du xiie siècle, l’unanimité n’était donc pas encore un fait accompli parmi les canonistes ; mais la thèse de la suprématie pontificale gagne constamment du terrain. En face d’Etienne de Tournai, voici Bu fin f t 1190) qui, inaugurant une distinction célèbre, attribue au pontife romain, à l’égard de l’empire, le jus auctorilalis ; c’est à un titre subordonne, posl ipsum, que le prince en jouit, n’ayant en propre que le jus amministralionis. Summa Decreli, in c. 1, Omnes, dist. XXII, éd. Singer, p. 47-48. Il en est qui vont plus loin et présentent l’aposlolicus comme le seul véritable empereur : Ipse est verus imperalor et imperator vicarius ejus ? Cité par J. Bivière, op. cit., p. 31, n. 3. De la coordination à la subordination le glissement est rapide ; sans être encore officielle, cette doctrine, qui tend à concentrer aux mains du pape tous les pouvoirs à la fois, entraîne l’opinion.

Les premiers théologiens scolasliques.

L’école

théologique, à son tour, va se rallier progressivement aux propositions d’Hugues de Saint-Victor, de saint Bernard et de Jean de Salisbury.

Pierre Lombard († 1100) ne touche que très incidemment à la question, et c’est, dans son traité du mariage, à propos des empêchements, pour s’appuyer sur le texte au moins douteux de Nicolas I er : « L’Église de Dieu n’a que le glaive spirituel », déjà cité par Gratien. Sent., t. IV, dist. XXXVII, c. n.

Bobert Pulleyn ou le Poule (t vers 1150) ne veut connaître, sur l’attribution des deux glaives, que la plus ancienne interprétation et il ajoute : Xeulra potestas aul quod sut juris est spernat, aut quod alterius est usurpel. Sent., t. VI, 56, P. L., t. clxxxvi, col. 905-906.

Au plus fort de la lutte, entre Barberousse et