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2717 POUVOIR DU PAPE. LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE, Xlie SIÈCLE 2718

tion, Indépendance réciproque des deux pouvoirs, voila ce que veut lire Henri dans Je texte évangélique. « Bientôt une guerre de pamphlets s’ensuivit ; …mais cette controverse est loin d’offrir, au moins dans sa première période, tout l’intérêt doctrinal qu’on lui supposerait. .. Une bonne partie de la discussion roule sur des points de fait… Abordant la question de principe, quelques-uns (des partisans de l’empereur) contestent au pontife romain le pouvoir d’excommunier les rois, ou, en tout cas, de prononcer leur déposition. Weinrich de Trêves vi.it dans cette prétention quelque chose de nouveau et d’inouï jusque-là : Novum… et emmous rétro sieciilis inauditum ; Waléran de Naumbourg y dénonce un danger pour la paix publique et Pierre Crassus (Pierre le Gros) une atteinte au droit de propriété. A l’occasion, ils aiment invoquer le droit divin des rois et cherchent dans l’Écriture la preuve du respect qui leur est dû ; ils discutent les faits dont Grégoire a voulu se prévaloir. » J. Rivière, op. cit., p. 14-15.

Sans doute, convient-il de signaler plus spécialement le traité De unitale Ecclesiæ conservanda, qui est peut-être de Waléran de Naumbourg et fut écrit entre 1090 et 1093. L’auteur, qui accorde aux questions de droit une grande place, écrit de l’Église : non habet nisi gladivm spiritus quod est verbum Dei ; aussi repousse-t-il t oute immixtion du sacerdoce dans les afîairesséculières ; il fait valoir la loi ecclésiastique, la loi divine, la règle évangélique, la parole et la conduite des papes, l’exemple de Pierre ; il critique les précédents invoqués par Hildebrand et s’en tient à la coordination de deux pouvoirs indépendants, selon la formule du pape Gélase.

Après Grégoire VII.

Néanmoins, les principes

de la politique de Grégoire VII inspirent ses successeurs ; progressivement, ils entrent dans la doctrine des théologiens et des canonistes.

Urbain II (1088-1099) et Pascal II (1099-1118) continuent la lutte contre le roi de France Philippe I er et Yves de Chartres († 1116) avertit celui-ci que son obstination met en péril non seulement son salut, mais encore sa couronne : Caveal ergo subtimitas vesira, ne in horvm incidatis exemplum, et iia evm diminutione lerreni regnvm amittalis œternum. Episl., xv, P. L., t. ci.xii, col. ?8. Pourtant, Yves professe de la façon la plus nette la distinction des deux pouvoirs et, s’il n’accepte sous aucun prétexte l’intervention du pouvoir laïque dans les affaires de l’Église, il n’admet pas davantage l’ingérence de l’Église dans les affaires de l’ordre civil. Les deux pouvoirs ont chacun leur sphère d’action, mais doivent toujours vivre, dans l’harmonie et la concorde ; sans cela, il n’y a pas de salut, car l’État ne sera pas tranquille et l’Église ne sera pas en paix. Mais il ne peut être question d’une mutuelle indépendance. Dans sa lettre à Henri I er d’Angleterre, à l’occasion de son avènement au trône, Yves de Chartres professe explicitement la subordination du pouvoir temporel au pouvoir spirituel : « … n’oubliez pas que le royaume terrestre doit être soumis au royaume céleste, tonte à la sollicitude de l’Église. De même que, dans l’homme, la partie animale doit être soumise à la raison, ainsi la puissance temporelle doit être docile à la direction de l’Église… Votre corps est un royaume paisible, lorsque la chair ne résiste pas à l’esprit ; de même, le règne des princes de la terre est florissant et pacifique, tant qu’ils ne songent pas à s’insurger contre le règne de Dieu. Prince, ne l’oubliez pas, vous êtes le serviteur des serviteurs de Dieu et non leur maître : vous êtes le protecteur et non le propriétaire de votre peuple. » Episl., evi, P. L., t. clxii, col. 124. Le langage que l’évêque de Chartres fait entendre au fils est identique à celui que Grégoire VII tenait jadis au père, dans le message adressé par le grand pape à Guillaume le Conquérant. Du reste, Yves n’a-t-il pas inséré dans

la Ve partie de son Décret (378e extrait) les principaux passages de la deuxième lettre à Hermann de.Metz où Grégoire VII revendique le pouvoir de déposer les rois ?

Néanmoins, au début du xiie siècle, on rencontre des régaliens déterminés. C’est, en Angleterre, l’auteur des Truclulus Eboracenses, qui attribue à l’onction royale la supériorité sur l’onction sacerdotale et, en vertu même du pouvoir des clés, subordonne sans restriction le sacerdoce à la royauté. Mon. Germ. tiisl., Libelli de lile, t. iii, p. 665-667, 009-675. C’est Grégoire de Catino, qui fait de l’empereur « la tête de l’Église ». Orlhodvxa dc/ensio imperialis. Lib. de lite, t. ii, p. 536.

Il y a des esprits qui s’attardent dans la modération. C’est Sigebert de Gembloux († 1112), qui ne veut accorder au pape que le glaive spirituel et proclame l’inviolabilité des rois, ce qui ne l’empêche pas d’ajouter : ammoneri quidem possunt , increpari, argui a limoralis et discrelis viris. Ibid., t. ii, p. 459-461. C’est le sage Hugues de Fleury († 1117) qui, après avoir établi l’origine divine et la parfaite indépendance du pouvoir civil, refuse à l’Église le droit de déposer les souverains, mais proclame néanmoins que sub religionis disciplina regia poieslas posila est, attendu que le prince est nodo christiano fidei… adslriclus, ce qui l’amène à conclure : unde rex ammonilionibus episcopalibus débet aurem suam accommodare et sacerdoli salubria suggèrent ! fideliter obaudire. Tract, de regia potestate et sacerdotali dignilate. Ibid., t. ii, p. 467-476, 479-487.

C’est Manegold de Lautenbæh (t après 1103), qui justifie Grégoire VII du reproche qu’on lui a fait d’être fauteur de parjure, en expliquant qu’il n’a pas précisément annulé les serments de fidélité des sujets de Henri IV, mais qu’il les a déclarés nuls, au nom du droit naturel, en raison de la forfaiture de l’empereur. Ad Geberhardum, 47, ibid., t. i, p. 392. Cette action sur la conscience des sujets, cette interprétation de Vabsolulio juramenti est déjà une atténuation des rigueurs pontilicales à l’égard des souverains ; c’est aussi une première esquisse de la théorie du « pouvoir directif ».

Premiers essais de formules.

Mais le temps n’est

pas encore venu des théories conciliantes ; les conflits ne sont pas apaisés qui mettent aux prises le Saint-Siège et les césars germaniques, le Sacerdoce et l’Empire. Une doctrine catégorique imposée par les circonstances va définir sous une forme juridique de plus en plus précise les droits du pouvoir pontifical.

Ex jure divino regibus quidem et imperaloribus dominamur, affirme Geoffroy de Vendôme († 1132), armé de la métaphore des deux glaives. Opuscula, iv, P. L., t. clvii, col. 219. En effet, in prcmulgandis quoque legil us ilidem cerlum est sacerdotium tenere primalum, cum non primum per reges sacerdolibus, sed per sacerdotes regibus Deus omnipolens leges stalueril, déclare, de son côté, un ancien collaborateur de Grégoire VII, le cardinal Deusdedit († 1099), qui n’en rappelle pas moins avec insistance la distinction des deux pouvoirs : aliud quippe sacerdotum, aliud est offîcium regum… Nemo allerius præsumat. Contra invas. et symon., Lib. de lite, t. ii, p. 353 et 300. Et si, vers 1111, Placide de Nonantula accorde que « le glaive impérial a sa raison d’être dans l’Église, pour que ceux qui ne craignent pas le glaive spirituel soient rappelés à la justice par la peur du glaive matériel », il n’omet pas de mettre hors de conteste la suprématie pontificale, qui se fonde non seulement sur la primauté du spirituel, mais encore sur la donation de Constantin, bien que, par humilité chrétienne dit-il, le pape Sylvestre ait refusé d’en profiter.’Liber de honore Ecclesiæ, n. 37, 57, 91, Ibid., t. ii, p. 585, 591-592, 614.

Plus systématique et plus mystique aussi, Honorius d’Autun (t après 1150), dans un petit traité intitulé : Summa gloriæ de aposlolico et augusto, P. L., t. clxxii, col. 1257-1270, établit la suprématie du sacerdoce tant