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2715 POUVOIR DU PAPE. LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE, Xie SIÈCLE 2716

comme il a méprisé l’obéissance qu’il devait en chrétien, je le charge, <-n ton nom, du lien do l’excommunication. » Conc. Rom., III. Mansi, Concil., t. xx, col. 468-469 ; P. L., t. i xLMii. col. 790.

Le texte est formel à souhait : contradico, absolvo, interdico. Le prince indigne est déclaré déchu, ses sujets sont déliés de tout devoir d’obéissance et de fidélité à son endroit et ce verdict est prononcé au nom de la seule autorité spirituelle du pontife romain, en vertu du souverain pouvoir délier et de délier qu’il a reçu du Christ. Grégoire entend bien demeurer dans le domaine religieux ou ses prolongements nécessaires, et, sans hésiter, il y renferme l’ordre politique : logiquement, il revendique le droit de confirmer l’élection du successeur de Henri IV et d’approuver la personne de l’élu.

En 1080, après l’intermède de Canossa, la sentence pontificale devient définitive ; le texte qui suit est plus net encore et plus catégorique pour affirmer que l’autorité spirituelle du pape entraîne et implique un véritable pouvoir dans l’ordre temporel. Cette fois l’excommunication précède : Henricum… excommunicationi subjicio et analhemalis vinculis alligo ; et ilerum regnum… inlcrdicens ci, omnem potestatei, . et dignitatem illi regiam tollo, et ut nullus christianorum ei sicut régi obediat interdico, emnesque… a juramenti promissione absolvo. Et le pontife s’explique devant le concile qui l’entoure : Agite mine… ut omnis mundus inielliqat ci cognoseal quia, si potestis in civlo ligare et solvere, potestis in terra imperia, régna, principatus… et omnium heminum possessiones pro meritis tôlière unicuique et coneedere. Vos enim patriarchalus, primatus, archiepiscopatus fréquenter lulislis pravis et indignis, et religiosis viris dedislis. Si enim spiritualia judicalis, quid de siccutaribus vos posse credendum est ? Ibid., P. L., t. cxlviii, col. 818. Cet à fortiori est révélateur.

D’ailleurs, dès 1075, cette doctrine fondamentale, Grégoire VII l’avait expressément adoptée dans le 12e et le 27e des Diclatus papæ : « Quod illi liceat imperatores deponerc.t a Quod a fidelilaie iniquorum subjectos pôles ! absolvcre. » Édit. Caspar, t. II, n. 55, p. 204 et 20C ; P. L., t. cxlviii, col. 408. Et, lorsqu’il est amené à justifier une thèse qui, loin d’être nouvelle, ainsi que le veulent ses contradicteurs, n’est, pour lui, que la normale éclosion des principes chrétiens traditionnels, il en appelle ad sanctorum Patrum dicta vel facta. Ses références, c’est principalement à Ambroise, à Augustin, à Gélase I er, à Nicolas I er qu’il va les demander. Si Grégoire VII dépasse, dans la pratique, tous ses devanciers, et ne recule pas devant la sanction suprême de la déposition, ce n’est pas qu’il revendique sur le temporel un universale regimen ni même une suzeraineté féodale rattachée au mythe de la donation de Constantin ; il en appelle avant tout au Tu es Petrus évangélique et aux conséquences logiques qui en découlent pour sa juridiction spirituelle : nullum excepit, nihil ab cjus potestate subslraxil. Il argumente à fortiori : Si sancia Sedes apostolica… spirilualia decernens dijudicat, cur non et ssecularia ? Il exalte la prééminence du sacerdoce sur l’empire : Quis dubilel sacerdoles Christi regum et principum omniumque fidelium patres et magislros censeri ? Si le simple exorciste, en tant que spirilualis imperator, peut commander aux démons, à plus forte raison le pape est-il le juge des péchés des rois : Si reges pro peccalis surit judicandi, a quo rectius quam a romano pontifice judicari debent ? Lettres ii Hermann, évêque de Metz, P. L., t. cxlviii, col. 454-456, 594-601.

Et c’est ici que l’on aperçoit, entre l’ordre spirituel et son prolongement dans le temporel, le lien de l’ordre moral. Déjà au roi de France, Philippe I er, Grégoire avait écrit ; " La gloire et la splendeur du royaume de France ont été éclipsées par les désordres et les vices qui ont mis un État si noble et si florissant sur le pen chant de sa ruine. C’est ce que le devoir de notre dignité nous oblige de vous représenter souvent, cl, s’il le faut, en termes un peu durs, a P. F… ibid, col. 348. Et aux évêques : « On y commet (en fiance) impunément les actes les plus cruels et les plus honteux : … C’esl votre roi, ou plutôt votre tyran, qui. suivant les inspirations du démon, est la cause et le principe de tous ces maux… C’est vous, évêques, qui êtes les coupables, car, puisque vous n’avez pas, comme il convient à des évêques, la fermeté de vous opposer à ces violences, vous vous en rendez participants par votre connivence. » Ibid., col. 303. Si, en fait, Philippe I" ne fut pas déposé, ce n’est pas que Grégoire ne s’en soi i pas reconnu le droit aussi bien que sur l’empereur, puisqu’il écrivait : Quod si nec hujusmodi districlione volucril rcsipiscerc, nulli clam aut dubium esse volumus quia modis omnibus rrc, em Franciæ. de cjus occupatione, adjuvante Dco, tenlemus cripere. Ibid., col.’Mo.

En somme, le pape, juge suprême des consciences, au nom de Dieu, a le droit et le devoir de prononcer sur les mérites ou les démérites de chacun, de régler souverainement Je régime, la répartition des autorités, des propriétés, des fonctions civiles aussi bien que des dignités ecclésiastiques. Dignum est enim ut qui studei honorcm Ecclesiæ imminuere, ipse honorem amitlal quem videtur habere, est-il dit dans les considérants de la première, sentence rendue contre Henri IV, en 1076. P. L., ibid, col. 790.

Ce sont bien les mêmes principes que le pontife rappelle à Sanche d’Aragon en cette simple formule : Petrus apostolus quem Dominus Jésus Christus rex glorise principem super régna mundi constitua, ou à Guillaume le Conquérant, auquel il est dit que Dieu a partagé le gouvernement du monde « entre les dignités apostolique et royale, plus excellentes que toutes les autres », mais qui apprend aussi que religio sic se movet christiana ut cura et dispensatione aposlolic’v dignitatis post Deum gubernetur regia. P. L., ibid., col. 339, 568-509.

La réaction impérialiste.

En ce tumultueux

xie siècle, le pontife romain apparaissait comme le représentant le plus autorisé des droits de la conscience contre l’absolutisme royal ou impérial ; les subtiles théories des légistes et des politiques modernes ne sont pas encore organisées et « l’alternative s’imposait entre la suprématie pontificale et ce droit divin des empereurs qui servit toujours de voile aux pires empiétements… Il n’en faut pas davantage pour justifier, s’il en était besoin, le mouvement de légitime défense si énergiquement inauguré par Grégoire VII. » J. Rivière, op. cit., p. 14. Il n’en faut pas davantage pour expliquer sa théorie, d’une logique si hardie, qui étend au maximum l’autorité pontificale, surtout si l’on considère qu’en cette féodalité qui, laborieusement s’organise. les bénéfices ecclésiastiques et les fiefs séculiers se superposent et se compénètrent étrangi ment et qu’à la faveur de ces complications les princes se font les protecteurs des pires abus.

Plus que des étonnements il y eut des résistances. Sans doute, le pape avait été pressé d’intervenir contre l’empereur par ses vassaux saxons. Mais Henri IV eut aussi ses partisans et ses défenseurs. En 1076, il écrit aux évêques de Germanie pour dénoncer la criminelle folie d’Hildebrand, qui a usurpé à la fois la royauté et le sacerdoce : « Ce faisant, dit-il, il a méprisé la sage disposition de Dieu qui a voulu que les deux dignités du sacerdoce et de la royauté reposent principalement sur deux têtes et non pas sur une seule, comme nous le donne à entendre, lors de sa passion, le.Maître et Sauveur lui-même, sous le symbole de deux glaives qu’il déclare suffisants… Voilà l’économie établie par Dieu, et qui a été di truite par la folie d’Hildebrand. » Mon. Germ. liist., Consiil. et acla, l. i, p. 112-113. Distinc-