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2713 POUVOIR DU PAPE. LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE, XL ? SIÈCLE 2714

nistes. Rat hier de Vérone († 971) enseigne que les rois sont ab episcopis inslituli. Præloquia, iv, 2, P. L.,

1. ex xxvi, col. 249. C’est une anticipation significative. Plus couramment l’on entend affirmer la distinction

des deux autorités et l’alliance des deux glaives. Au concile anglais de 9C9, le roi Edgar, s’adressant à l’archevèque de Cantorbéry et aux prélats assemblés, leur dit : « Le temps est venu de nous lever contre ceux qui détruisent la loi de Dieu. J’ai dans les mains le glaive de Constantin et vous celui de Pierre. Joignons les mains, unissons le glaive au glaive, et rejetons les lépreux hors du camp pour purifier le sanctuaire de Dieu. » P. L., t. cxxxviii, col. 515-516. Cf. Hefele-Leclercq, Hist. des conciles, t. iv b, p. 830.

1 1. Le Moyen Age et la chrétienté (xie -xve siècle). — L’indépendancedel’Eglise reconnue par Constantin, la liberté et la fécondité du ministère apostolique dans le monde romain et dans le monde barbare, le rétablissement d’un empire d’Occident, conçu et construit selon les principes évangéliques, devaient avoir pour conséquence inéluctable la constitution d’une chrétienté où les pouvoirs confiés par le Christ à son vicaire auraient à s’exercer intégralement, jusque dans le. domaine temporel. Mais une lente préparation précéda* cet épanouissement. — 1. Période de préparation.

2. Période d’épanouissement. 3. Période de déclin.

I. PÉRIODE DE PRÉPARATION (xie -XIIe siècle). Au

deuxième tiers du xie siècle se dessine, dans l’Eglise, le vigoureux mouvement réformiste, qui se heurte non seulement aux mœurs privées des clercs et des laïques, mais encore aux abus de toutes sortes qu’entraînent les progrès de la féodalité. Pourtant l’Église n’aborde pas d’emblée les puissances politiques.

Les précurseurs de Grégoire VII.

Saint Pierre

Damien († 1072) présente le sacerdoce et l’empire comme les deux puissances qui gouvernent le monde suivant la double nature de l’homme, humanum genus per hos apices in ulraque substantiel regitur ; il se borne à faire des vœux pour leur concorde mutuelle, utilisant le texte de Luc pour prêcher l’union des deux pouvoirs nettement distincts : « Fclix si gladium regni cum gladio jungal sacerdotii, ul gladius sacerdolis mitiget gladium régis et gladius régis gladium sacerdolis… Ce sont là les deux glaives dont il est parlé dans la passion du Seigneur… La dignité royale s’accroît si le sacerdoce s’étend, l’un et l’autre sont grandement honorés, lorsqu’ils sont unis par une alliance heureuse et bénie du Seigneur. » Scrm., lxix, P. L., t. cxmv, col. 900.

Aux yeux du cardinal d’Ostie, le pontife romain n’a sur l’empereur d’autre supériorité que celle du père sur son enfant, ille tanquam parais paterno semper jure prœcmineat. Opusc. iv, t. cxlv, col. 80-87. S’il lui arrive de dire que le Christ a confié à Pierre lerreni simul et cselestis imperii jura, ibid., col. 68 B, cette formule fameuse, si souvent reproduite, entrée dans les collections canoniques sous le nom du pape Nicolas II, interprétée à contresens par lesdécrétistesdu xiie siècle et si exagérément exploitée par les théologiens du xive, « au profit de la suprématie temporelle du pape, n’a pu donner cette illusion qu’en étant détachée de son contexte et transposée sur un plan absolument étranger à l’esprit de son auteur. Replacée dans son cadre historique et logique, elle ne signifie nulle part autre chose que la ferme revendication des droits spirituels de la papauté. » Comme il a célébré la dignité de l’empereur : Eo superior quisquam in humano génère reperiri non polu il (Opusc, lvi, 4, ibid., col. 812), Pierre Damien a professé la prééminence du souverain pontife, « tanquam rcx regum et princeps impcralorum (Opusc, xxiii, col. 474), et l’on ne voit pas qu’il ait jamais entrevu — ou du moins exprimé. — ses droits en matière politique ». J. Rivière, Le problème de l’Église et de l’Élut…, p. 5 et 387-393.

Vers la même époque, du reste, saint Léon IX (1040-1051) usait d’expressions toutes semblables : Vobis salisfactum esse debuit de lerreno et cœlesti imperio, immo de regali sacerdolio sanctw romaine et aposlolicæ Sedis. EpisL, c, 13, P. L., t. cxliii, col. 752. Ici encore, replacé dans le contexte intégral, le texte veut tout uniment affirmer que la juridiction de Pierre, selon la promesse du Sauveur, atteint à la fois le ciel et la terre. Mais ces formules ne sont-elles pas singulièrement prégnantes ? Sans énoncer encore expressément le droit de l’Église sur le temporel, elles nous mettent sur le chemin qui devait y mener.

Au Moyen Age, la doctrine apostolique sur le caractère divin du pouvoir et sur son caractère ministériel prenait un sens catégorique ; le royaume de Dieu se trouvait, à tous les yeux, réalisé dans l’Eglise ; le pape vicaire du Christ, suprême pasteur des âmes, était regardé comme ayant, du chef de sa mission, non seulement la souveraine direction de l’économie chrétienne, mais encore une intendance universelle sur les personnes et les choses d’ici-bas, toutes ordonnées et hiérarchisées, en vue et en destination du ciel. Jusqu’à quel point cette idée était-elle un reflet de l’organisation féodale de l’Occident ? c’est ce qu’il n’est pas facile de préciser.

Déjà le cardinal Humbert, le bras droit de Léon IX, ne craint pas de faire des déclarations fort significatives. Non seulement il attribue à l’Église la prééminence sur l’État, comme à l’âme sur le corps, Sacerdolium in prsesenli Ecclesia assimilari animse, regnum autem corpori, à moins qu’il ne préfère la comparaison du soleil et de la lune, mais il en conclut pour l’Église à un haut pouvoir directif… ex quibus sicut prseeminel anima elprœcipilcorpori, sic sacerdotalis dignilas regali ; et encore : sacerdotium tanquam anima præmoncat quæ sunt agenda… ; sic enim regum est ecclesiasticos sequi. Adv. simoniacos, ni, 21, P. L., t. cxliii, col. 1 175.

L’application de tels principes devait conduire les papes juqu’à l’exercice d’une juridiction réelle et effective sur la cité terrestre. Mais il faut remarquer que ce fut tout d’abord par une réaction autoritaire contre l’assçrvissement abusif du clergé aux princes temporels et contre la méconnaissance de la primauté spirituelle du pontife romain.

2° Grégoire VII (1073-1085). — Ce grand pape veut guérir la chrétienté des plaies que cette situation lui a infligées ou qu’elle a envenimées : la simonie et le nicolaïsme. Délibérément, il s’attaque à la cause du mal. Son action ne sera pas celle d’un despote qui nourrit des intentions féodales de domination temporelle et qui veut faire de tous les princes, sans en excepter l’empereur, autant d’humbles vassaux soumis à l’hommage et à la fidélité envers le pape, suprême et universel suzerain. Mais c’est l’effort persévérant d’un pontife qui veut réformer et sanctifier le sacerdoce envers et contre l’empire. Car l’obstacle c’est surtout l’empereur Henri IV, prince violent et cruel, qui s’est, par ses exactions, aliéné nombre de ses sujets et barons. Parce qu’il ne cesse d’entreprendre sur les libertés ecclésiastiques et de favoriser les élections simoniaques, Grégoire commence par lui adresser des remontrances et des reproches ; il l’excommunie enfin en 1070 et le prive de son titre impérial. La sentence vise directement l’ordre temporel et politique ; les anathèmes spirituels ne viennent qu’eu dernier lieu :

Bienheureux Pierre, prince des apôtres, dit le pape, je crois que par toi m’est venu de Dieu le pouvoir de lier et de délier dans le ciel et sur la terre. Aussi, confiant en cette foi, de la part du Dieu tout-puissant et en vertu "de ton pouvoir et de ton autorité, j’enlève au roi Henri le gouvernement de tout le royaume d’Allemagne et d’Italie, je délie tous les chrétiens des liens du serment qu’ils lui ont fait on qu’ils lui feront, et j’interdis que personne le reconnaisse pour roi. Et,