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POUVOIR DU PAPE. LES PREMIERS SIÈCLES


nieront l’indépendance de l’Église à l’égard des empiétements du pouvoir civil.

Tandis qu’Hilaire de Poitiers († 366), dans son Ad Constantium Augustum (r, 1. 2) et Athanase († 373), dans son Apologia ad Consiantium imperalorem, rappellent à Constat ce que ses pouvoirs ne Lui permettent pas de s’immiscer indûment dans les affaires ecclésiastiques, Grégoire de Nazianze († 390) ne craindra pas dédire aux n agistrats que la loi du Christ les soumet . eux aussi, à l’évêque : « Nous aussi, évêques, nous exerçons l’autorité ; j’ajoute même, d’une manière plus éminente et plus parfaite ». Uratio ad cives Nazianz., P. G., t. xxxv, col. 1)75.

Dans le même esprit, Jean Chrysostome († 407), rappelle qu’il y a deux sortes de pouvoirs, l’un qui s’exerce dans la vie civile et l’autre, plus sublime, qui est, par rapport au premier, ce que le ciel est à la terre. In 71° m ad Cor., homil. xv, 3-5, P. G., t. lxi, col. 508509. Ou bien il dira que le temporel est inférieur au spirituel comme le corps est soumis à l’âme : Caro subesl, spiritus præest, et cet axiome traversera les âges en se fortifiant de jour en jour.

2. Saint Ambroise († 397) « est le premier évêque introduit dans le conseil de trois empereurs successivement, qui s’est trouvé avoir la mission de leur définir leurs devoirs envers l’Église ce que personne n’avait su faire pour Constantin ». Le premier, il pose nettement « la distinction des deux pouvoirs et des deux ordres, celui du spirituel et celui du temporel, ou, pour user des termes mêmes d’Ambroise, la rcligio et la res publica. Le droit public jusqu’à Constantin enfermait la religion dans la res publica et la soumettait au prince faisant fonction de pontifex maximus ; depuis Constantin, la religion, séparée de la rcs publica, devient un domaine réservé… En Occident, là démarcation est tracée par Ambroise, d’une main si ferme et si sûre, qu’elle devient un fondement du droit… Ambroise reconnaît à l’empereur la jurisdiclio, c’est à savoir la fonction de créer le droit… /n potestate ejus omnia. Mais Ambroise excepte aussitôt du domaine souverain de l’empereur le domaine de Dieu : Ea quee sunt divina impcralorice potestati non esse subjecta… Or, qui sont les administrateurs du domaine de Dieu, les interprètes de sa loi, les docteurs de la foi sacrée ? Ce sont les évêques. Ils rendront à César ce qui est à César, ils ne peuvent lui sacrifier ce qui est à Dieu, lui livrer le jus Ecclesiæ, trahir pour lui le jus sacerdotale ». P. Batiffol. Le Siège apostolique, Paris, 1924, p. 79 sq. L’empereur, du reste, est un fidèle, et Ambroise donne à sa pensée la formule destinée à devenir fameuse : Imperator inlra Ecclesiam non supra Ecclesiam. L’empereur ne peut donc sans les évêques traiter quelque affaire <]ui intéresse ensemble l’ordre public et la religion : in causa fidei, le prince chrétien peut être jugé par les évêques, tandis qu’il ne peut juger les évêques ; coupable, le prince pourra être séparé de la communion des évêques. L’on sait, que d’Arnbroisc à Théodose, ces déclarations ne demeurèrent pas lettre morte ; l’imposition de la pénitence à l’empereur, après le massacre de Thessalonique, aura un retentissement considérable dans les controverses du.Moyen Age.

Ambroise, qui rappelle l’exemple du Christ refusant la royauté terrestre, s’interdit de s’immiscer dans ks prérogatives du prince : Non indebitis me inlersero ; que l’empen ur, de son côté, n’entreprenne point sur le jus sacerdotale. Ambros., Epist., xviii ; xx, 2, 27 : xxi ; xli, 25 ; li, sq. ; Seimo contra Auxentium, de basilicis, 29 sq., P. L. t. xvi, col. 101 G sq.

Ces maximes politiques d’Ambroise sont de première importance en tant qu’elles sont les prémisses du droit public du Moyen Agé, celui qui cherchera la coordination des deux pouvoirs dans leur accord harmonieux », en sauvegardant l’indépendance propre

D1CT. DE TU KOI.. CATIIOL.

à chacun d’eux. Il n’est pas jusqu’à la maxime selon laquelle le prince est soumis aux évêques ratione fidei et peccati qui, avec ses conséquences, ne soit une maxime d’Ambroise. 1 latifïol, op. cit., p. 82 ; cf. J.-R. Palanque, Saint Ambroise et l’Empire romain, Paris, 1934.

Nécessairement, ces idées progressaient dans la pratique comme dans la théorie. Si, dès les débuts de l’empire chrétien, Lactance pouvait montrer comment le monothéisme rénovait la vie sociale et la vie morale en fondant la justice et en donnant toute sa vigueur à la loi de nature célébrée par Cicéron dans le De republica, il pouvait encore opposer aux vieilles Inslilules païennes ses Instilutes divines (Institutions diviniv), rédigées vers 307-311, dans lesquelles s’ébauche déjà le nouveau droit chrétien.

3. Saint Augustin.

Ces idées, il appartenait à Augustin († 430) de les développer, principalement dans son De civitale Dei. Par droit de nature, affirmet-il, l’homme n’a aucun pouvoir sur l’homme ; sa puissance s’arrête aux choses et aux animaux. De civ. Dei, XIX, xv, P. L., t. xli, col. 643. D’autre part, « il n’y a pas de gouvernement possible sans la vraie justice ». Ibid., II, xxi, 4, col. 68-69. Sans la justice, les royaumes ne sont que de grands brigandages, et il n’y a pas de justice dans le paganisme, où Dieu n’est pas servi. Ibid., IV, iv, col. 115 ; XIX, xxi, col. 648. Mais « je vous demande : comment voyez-vous que telle chose est juste ? Où voyez-vous la justice de cette règle d’après laquelle vous taxerez le contraire d’injustice ? D’où vient ce je ne sais quoi qui éclaire votre âme, malgré l’obscurité qui l’enveloppe de toutes parts, ce je ne sais quoi qui verse le jour dans votre esprit ? D’où découle pour vous, comme de son unique source, cette justice qui vous aide, à discerner le juste, alors que, de tous côtes, vous êtes injustice et folie ?… La source de la justice est en Dieu. » Enarralio in psalm., lxi, 21, t. xxxvi, col. 744.

L’autorité ne saurait donc venir que de Dieu : « Dans sa volonté réside le souverain pouvoir : c’est lui qui aide les bonnes volontés des esprits créés et qui juge les mauvaises et les ordonne toutes. C’est elle, cette volonté souveraine, qui donne le pouvoir à quelques-unes et qui ne l’accorde pas à d’autres. Car, comme il est le Créateur de toutes les natures, il est l’auteur de tous les pouvoirs. » De civ. Dei, V, ix, t. xli, col. 151 sq.

Ainsi, le saint docteur ne fait nulle difficulté d’admettre les droits des pouvoirs établis, et il leur promet soumission de la part de la cité de Dieu : « Tant qu’au sein de la citéterrestre elle vit captive et passe le temps de son exil, soutenue par la promesse de sa rédemption et par les dons spirituels qu’elle a reçus comme gage de cette promesse, elle n’hésite pas à obéir aux lois de la cité terrestre, d’après laquelle s’administre tout ce qui est approprié au soutien de cette vie mortelle ; et, puisque la mortalité est commune à l’un et à l’autre côté, elle veut donc, en ce qui a rapport aux intérêts présents, conserver la bonne harmonie entre elle et la cité terrestre. » Ibid., XIX, xvii, col. 645. Cette bonne harmonie suppose une réelle distinction des pouvoirs. Commentant le c. xiii de I’épître aux Romains, Augustin est fort explicite en ce sens : « L’Apôtre prévient ceux qui, dans leur orgueil, pensent que, appelés par le Seigneur à la liberté en devenant chrétiens, ils n’ont plus, dans le cours de cette vie, à observer la régie ni à se soumettre aux autorites supérieures chargées du gouvernement des choses temporelles. Car, puisque nous sommes composés d’une âme et d’un corps, aussi longtemps que nous demeurons dans cette vie temporelle, nous aurons besoin de choses temporelles pour l’entretenir. ! l nous faut donc, pour autant, être soumis aux autorités, c’est-à-dire aux hommes-constitués en dignité qui gouvernent lest humaines. Mais, pour autant que nous croyons en Dii que nous sommes appelés à son royaume, nous n’avonsâ tire soumis à aucun homme qui tenterait de détruire le don

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