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POUVOIR TEMPOREL DU PAPE. L’AFFERMISSEMENT


Itur Chaldworum, et dicilo : « quia oportel me et aliis civitatibus evangelizare. » I’uto nec pœnitebit exsilii, orbe pro urbe commutato. Ibid., ciii, n.7, 8, P.L., t.cLxxxii, col. 77( ;. Cependant, autant qu’homme de son temps, saint Bernard accorde une valeur à la Donation de Constantin ; mais il est loin de ces canonistes ou théologiens qui font grand état du principat civil du Saint-Si £ge. Il s’offusque de la pompe impériale et toute mondaine des papes : In his successisti non Petro, sed Constantino. Ibid., c. iii, n. 6. Mais il ne faut pas oublier que c’est un maître, un maître de haut ascétisme et de pastorale, qui s’adresse à un disciple chéri, Eugène III, dont il envisage avant tout la primauté spirituelle et dont il stimule le zèle apostolique, en dehors des contingences sociales et politiques.

4. En réalité, les papes du Moyen Age ne pouvaient se tenir à l’écart du fait et du droit de la féodalité. S’ils luttent de toutes leurs forces pour échapper à la suzeraineté de l’empereur, ils luttent aussi, pour défendre leur suprême autorité dans la collation du titre impérial : s’ils se refusent à être désignés ou même confirmés par les césars germaniques, ils entendent bien que ceux-ci tiendront leur couronne du pontife romain. D’autre part, souverains féodaux, les papes ont leurs vassaux, en Italie et ailleurs. C’est le cas pour les États normands de la péninsule, pour l’Espagne, pour l’Angleterre et pour la Hongrie, la Croatie-Dalmatie, le duché de Kiev. Évidemment, un tel état de choses pouvait servir le ministère apostolique ; mais, en fait, il le desservait souvent, par les conflits que provoquait ce mélange du spirituel et du temporel.

5. Du reste, le xme siècle, si impérieusement inauguré par Innocent III, est loin d’être sans ombres pour le pouvoir temporel. Grégoire IX (1226-1241) a eu beau déclarer (1240) « que l’État romain est le reste et le symbole de la domination universelle qui lui appartient et dont il a voulu confier à l’empereur une partie » (.1. Rivière, Le problème de l’Église et de l’État, p. 38), ses successeurs Innocent IV (1243-1254), Alexandre IV (1254-1261), Urbain IV (1261-1264), Clément IV (1265-1268), subirent plus d’une fois la loi du vainqueur et ne jouirent pas de la paisible possession du Patrimoine de saint Pierre. Il est aisé de constater que cette situation gênait singulièrement l’exercice de leur juridiction spirituelle.

On comprend dès lors la raison d’être de cette constitution Fundamenta mililanlis Ecclesise, rendue le 18 juillet 1278 par Nicolas III (1277-1280), instruit par les fâcheux précédents créés par Charles d’Anjou. Elle interdit, sauf permission spéciale du Saint-Siège, à tout souverain, empereur, roi ou seigneur, l’accès aux magistratures urbaines ou aux fonctions municipales de Rome. Le motif allégué expressément, c’est la nécessité pour le chef de l’Église d’être libre en ses actes, lui et ses conseillers, les cardinaux, surtout en cas de promotion ou d’élection.

Enfin Boniface VIII (1294-1303), qui, par ailleurs, de ses démêlés avec la France vit sortir l’autorité pontificale sensiblement amoindrie, put maintenir à Rome son pouvoir temporel, en dépit des difficultés constantes que lui suscitaient les intrigues et les violences des Colonna ; et, pourtant, c’est l’attentat d’Anagni qui hâtera sa fin.

2° De Benoît XI à Innocent X (1303-1655). — Cette période verra s’affirmer de plus en plus le progrès des nationalités et la sécularisation de la politique, tandis que disparaîtra l’organisation féodale de la chrétienté.

1. Benoît XI (1303-1304) est considéré parfois comme le premier des papes modernes. Son règne est surtout une transition. Le xive siècle, si funeste pour le Saint-Siège, s’ouvre sous le signe des légistes et s’achève sous celui des théologiens férus de la primauté . du Concile. Que devient le pouvoir temporel sous le

pontificat des papes d’Avignon (1305-1377) ? Nous n’avons pas à narrer en détail l’histoire de ces soixante-douze années, les usurpations des princes italiens qui se pressaient aux frontières, la félonie des seigneurs qui devaient au pape une fidélité de vassaux ou de sujets, les équipées du tribun Rienzi, les guerres entreprises pour reconquérir les villes et les provinces perdues, les victoires du cardinal Albornoz couronnées par la politique habile de Grégoire XI (1370-1378). Il nous sullira de caractériser cette période du point de vue qui doit retenir notre attention.

Les pontifes romains, durant leur séjour en Avignon, manquaient-ils de l’indépendance que réclame leur ministère spirituel ? Sans doute, Clément V (13051314) obéit trop docilement aux injonctions et aux désirs de Philippe le Bel ; et quant à ses successeurs, principalement Benoît XII (1331-1312), ils eurent bien des complaisances d’ordre financier, politique et diplomatique, pour les rois de France. Mais, à cet égard même, il convient de les laver tous du reproche de partialité indigne et de honteux servilisme. Jamais leur attitude ne fut gravement ou longuement répréhensible dans l’ordre religieux proprement dit et, s’ils eurent quelques faiblesses, ils firent preuve, le plus souvent, d’une réelle liberté apostolique. C’est malgré le roi Charles V que Grégoire XI, reprenant la tentative d’Urbain V (1362-1370), rentra à Rome.

Ajoutons néanmoins que, malgré la souveraineté qu’elle exerçait sur le Comtat-Venaissin, la papauté y était beaucoup moins chez elle que dans ses États italiens, et qu’elle y paraissait nécessairement moins universelle. Les Anglais ne voulaient pas entendre parler d’un pape français et ils menaçaient de lapider ses légats, s’ils mettaient les pieds en Angleterre. Le Comtat, sans doute, était un apanage du Saint-Siège ; mais Avignon avait pour suzerains les princes d’Anjou qui avaient, comme Capétiens, partie liée avec les rois de France. Enfin, si la turbulence de leurs sujets et vassaux rendait Rome difficilement habitable pour des pontifes débonnaires et mal secondés, il reste vrai de dire que la Ville éternelle offrait aux papes plus qu’Avignon -le prestige international que requiert l’exercice de leur charge. On peut dire que le Grand Schisme d’Occident fut facilité par cet exil volontaire sur les bords du Rhône : « deux capitales préparaient deux têtes ». L. Salembier, Le Grand Schisme d’Occident, 3= éd., Paris, 1902, p. 23. Déjà, en 1328, Louis de Bavière, qui vient se faire couronner à Rome par deux évêques excommuniés, ouvre la voie, en déposant Jean XXII et en nommant un antipape soutenu par les fraticelli.

2. Si l’on jette un regard sur les États de l’Église à cette triste époque, où la chrétienté se vit partagée en deux puis en trois obédiences, on constate d’abord que le pape de Rome conserve, malgré tout, sur ses rivaux, l’avantage du prestige et que, s’il avait été le seul pontife unanimement obéi, il eût plus aisément reconquis, avec le gouvernement incontesté des domaines de saint Pierre, la liberté nécessaire pour mener à’bien la réforme de l’Église dans toutes les nations catholiques et peut-être prévenir le protestantisme.

3. Au contraire, et à la faveur des événements qui ébranlent la papauté, les esprits entrent en fermentation, les théories les plus subversives ont cours.

Déjà « l’idole des jurisconsultes », François Accurse (1182-1260), de l’école bolonaise, dans sa Glossa ordinaria (1220) avait semblé mettre en question la légitimité du principat civil du vicaire de Jésus-Christ. Au début du xive siècle, l’auteur anonyme de la Quæslio in utramque partent discute, non seulement la Donation de Constantin, mais le principe même du pouvoir temporel du pape ; le légiste Pierre Dubois, qui prétend réformer l’Église, préconise, entre autres