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POUVOIR TEMPOREL DU PAPE. LES ORIGINES


temporel ne fait que s’étendre et s’affermir, au fur et à mesure que la tutelle des Grées s’affaiblit. Le peuple. qui est soumis à la juridiction spirituelle de l’Église et au prestige de sou pontife, successeur et vicaire de Pierre, s’attache de plus en plus à son autorité quasi souveraine dans le domaine civil et temporel, parce qu’il en apprécie de jour en jour la bienfaisance.

Ce sont les papes qui vont organiser, pour la défense de la ville, cette milice, cet exercitus romanus qui doit parer aux coups de force tentés par les Lombards ou par les Byzantins contre le duché de Rome et ses dépendances que bientôt l’on nommera la Respublira romana, la Sancta respublica, la Respublica sancti Pétri.

7. Désormais, les événements se précipitent. Ce n’est pas ici le lieu de les raconter par le détail, ni comment les papes de cette époque, en dépit du mauvais vouloir des empereurs iconoclastes, sauvèrent à plusieurs reprises l’exarchat de Ravenne par leur persévérant lovalisme. Voir ici les art. Grégoire II et Grégoire" III, t. vi, col. 1783-1784, et 1788-1789 ; Etienne II, t. v, col. 973-975 ; Paul I", t.xii, col.l sq., et Zacharie. « Alternativement, et quelquefois en même temps, remarque M. Goyau, les empereurs de Byzance et les conquérants lombards apparaissaient aux papes comme des ennemis de l’Apôtre. Son dogme était démembré par les premiers, ses patrimoines par les seconds. Entre eux, ils s’accordaient mal et, par un jeu de bascule, le pape s’appuyait tantôt sur les uns, tantôt sur les autres. Mais un jour que Pelage II avait imploré le secours de l’empereur contre les Lombards, celui-ci l’avait prié de s’adresser aux princes francs. La papauté tint compte du conseil. En 738, elle sollicita Charles-Martel de descendre en Italie ; Pépin, à deux reprises, Charlemagne ensuite exaucèrent ce vœu ; ils contraignirent les Lombards de restituer à l’Apôtre les domaines perdus, et les papes acquirent, sur les régions que couvraient en grande partie ces domaines, une sorte de souveraineté temporelle. Ce fut un nouveau service rendu par la race franque à la papauté. L’écrasement des musulmans, la victoire sur les Lombards, le concours prêté à Boniface étaient l’œuvre non point des souverains francs de la race mérovingienne, mais de la famille austrasienne des Pippinides : la papauté éleva Pépin au trône, et Charlemagne à l’empire. Le sacre du roi Pépin par Etienne II, la donation du pouvoir temporel faite aux pontifes par le roi Pépin, la confirmation de cet acte par Charlemagne et le couronnement de celui ci comme empereur par Léon III apparaissent comme des faits connexes. Il y a là autre chose qu’un vulgaire échange, dans lequel Pépin et Charlemagne auraient apporté leur épée, Etienne et Léon leurs saintes huiles. Nous avons observé, à propos de saint Grégoire le Grand, que les papes, en fait, exerçaient dans Rome les fonctions de souverain avant d’en posséder le titre. Et, pareillement, lorsque Pépin, héritier des maires du palais, et maire du palais lui-même, sollicita, au sujet de la couronne de France, une décision du pape Zacharie : « Il est juste, répondit celui-ci, que celui qui remplit l’office de roi en ait aussi le titre. » Enfin, lorsque Léon III confiait à Charlemagne, avec le titre d’empereur, le vicariat temporel des intérêts divins, il récompensait les constants efforts de la famille des Pippinides pour protéger contre l’Islam les frontières de la chrétienté ou pour les reculer aux dépens du paganisme saxon. Ces événements étaient une leçon vivante à l’adresse des puissants ; ils enseignaient que la souveraineté n’est point une sinécure et un privilège gratuit, mais une charge et une source d’obligations. La déchéance partielle infligée aux souverains de Byzance, la déchéance complète infligée aux Mérovingiens, ne furent pas des révolutions improvisées,

DICT. DE THÉOI.. CATHOL.

des coups d’État dus à une surprise, mais le résumé et la conclusion de l’histoire antérieure. » Goyau, Pératé et Fabre, <>i>. cil., p. 39-40.

Le pouvoir temporel du pape, définitivement constitué, il n’y a ni justice, ni intelligence des faits à l’expliquer par l’ambition humaine et l’habileté politique des papes ou par la complicité de deux usurpateurs, le maire du palais, en France, et l’évêque de Home, eu Italie. D’autre part, l’histoire démontre que l’État pontifical, apparaît, à ses débuts et dés son premier patron carolingien, comme l’œuvre d’une rigoureuse nécessité. Une Église isolée et détachée des choses et des intérêts de ce monde, perpétuant dans une Europe bouleversée par les invasions la mission de Pierre et des apôtres, une papauté tranquille et pauvre, mais vénérée, libre et sûre de son lendemain, au viiie siècle, aux siècles suivants, c’était, à coup sûr, une irréalisable chimère.

II. LES PREMIERS TEMPS DE I.’EtAT PONTIFICAL.

De Pépin le Bref et Charlemagne a Grégoire VII (vme -xie siècle). — Les donations de Pépin et de Charlemagne assuraient-elles au pape une indépendance politique absolue ? Non pas, certes, mais seulement l’indépendance relative, la seule qu’il put désirer à cette époque. Le Saint-Siège, en effet, ne pouvait songer à un isolement splendide, alors qu’il avait à se défendre contre les entreprises des Grecs, les invasions des Lombards et, bientôt, des Sarrasins, ainsi que contre les surprises des seigneurs toscans et des ducs de Spolète. Il lui fallait une protection efficace, respectant l’autonomie du patrimoine de saint Pierre, sans avoir les inconvénients avérés de la domination byzantine. Le protectorat des Francs lui semblait répondre parfaitement à ce besoin ; la collation du titre de patrice au roi Pépin et à ses fils, le couronnement de Charlemagne comme empereur d’Occident, l’investissant de Vadvocatie de l’Église, ce sont autant de gestes significatifs. Mais de saint Pierre et des mains de son successeur le nouveau césar, en recevant la couronne, reçoit des droits qui sont en quelque façon subordonnés au pouvoir spirituel. Jusqu’à quelles précisions, dans l’esprit des papes du viiie siècle. s’élabore cette conception grandiose d’un Saint-Empire ? Cf. Léon Levillain, Le couronnement impérial de Charlemagne, dans Rev. d’hist. de l’Égl. de Fr., t. xviii, 1932, p. 5-19.

Ce qui paraît certain, c’est que l’empereur carolingien reste le protecteur bienfaisant, mais lointain, des États de l’Église et du pontife romain. Il ne peut être formellement question, en effet, de rapports étroits et précis de vassal à suzerain. Ni la papauté, instruite par l’expérience de quatre siècles, n’y aurait consenti, ni le roi franc, ambitieux, certes, mais sincèrement religieux, n’y aurait voulu prétendre ; et, du reste, le droit féodal s’ébauche à peine, en vertu duquel le suzerain choisira ou confirmera son feudataire, devra l’installer et pourra le déposer.

Il n’en demeure pas moins que la constitution du nouvel empire chrétien a des contours trop indécis. L’avenir en révélera bientôt les lacunes, et les papes ne tarderont pas à s’apercevoir que, réellement traités en vassaux, ils ont, en fait, de véritables suzerains.

1° Sous les Carolingiens (756-900). — Ce péril, Adrien I er ne l’a-t-il pas déjà pressenti, alors que Charlemagne, n’étant encore que patrice des Romains, entendait exercer les droits d’un titre qui, à ses yeux, n’était pas seulement honorifique ? Voir ici, art. Adrien I er. t. i, col. 418-150. — Du moins, peut-on reconnaître que l’union intime entre le Saint-Siège et la famille carolingienne produisit, en général, d’heureux effets. Elle maintint à Rome une paix relative ; elle y lit prédominer la force du droit, en protégeant l’indépendance du ministère apostolique. Sur la question du

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