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POUVOIR TEMPOREL OU PAPE. PRÉPARATION


lions de defensor civitatis ; les évoques de Rome exercèrent ces magistratures dans des conditions de premier plan qu’expliquent non seulement l’importance de la ville, mais encore son éloignement de la nouvelle capitale. Par sa Pragmatique sanction de 554, Justinien augmente singulièrement la juridiction temporelle des papes, qui, désormais, exerceront un droit de contrôle fort étendu sur toute l’administration civile en général, sur la gestion financière en particulier, en même temps qu’une protection légale du peuple contre les exigences des soldats, les vexations du lise et les prévarications desjuges. Un pape, entre autres, déploya à cet égard une activité constante et énergique, c’est Pelage I er (555-5(51), qui sut utiliser son expérience des affaires politiques et administratives et qui peut être considéré comme l’organisateur, avant la lettre, du domaine pontifical.

Ce domaine était "considérable. Grâce aux dispositions juridiques inaugurées depu ! s l’édit de Milan, les souverains pontifes avaient pu, avec les oblations des fidèles, se constituer, au profit de leurs œuvres diverses, d’importantes propriétés foncières à Rome, en Italie, en Sicile, en Sardaigne : ce sont les patrimoines du Saint-Siège, qui, dès le ve siècle, font du pape, le plus riche propriétaire, le premier contribuable et la plus haute autorité morale et politique de la péninsule. Mais, loin d’être un objet de lucre ou de jouissance, ces possessions sont devenues les pièces d’un organisme social. Que des envahisseurs confisquent ou dévastent l’une de ces terres, une souffrance est aussitôt ressentie, une crise subie par tout un peuple, tant est fortement noué le lien économique entre ce sol et ceux qui le travaillent, tant la bonne administration de cette propriété est grosse de conséquences multiples.

5. Trois ans après la mort de Justinien, quand les Lombards descendent dans la vallée du Pô et, bientôt, poussent leurs entreprises jusqu’au sud de l’Italie, les Grecs ne peuvent qu’à grand’peine se maintenir dans le centre. C’est alors, en 584, que l’empereur Maurice nomme un exarque en résidence à Ravenne, chargé de défendre et d’administrer les provinces où n’ont pu s’installer les barbares. De l’exarque relèvent, outre les territoires vénitiens tout à fait au Nord, et le duché de Naples tout au Sud, avec la Calabre et le duché d’Otrante, le duché de Rome, c’est-à-dire la ville avec la campagne romaine, la Sabine, la Toscane méridionale, une partie de l’Ombrie et, au Sud, la Campanie ; en outre, au Nord-Est, l’exarchat de Ravenne et son territoire, avec la Pentapole. En droit, évidemment, c’estlebasileusquidemeurele souverain de ce domaine, mais à la condition toutefois qu’il exerce effectivement les devoirs aussi bien que les prérogatives de cette souveraineté.

En fait, que se passe-t-il ? L’ingérence impériale continue à se pratiquer dans les élections papales : à vrai dire, à partir de 685, par suite sans doute de la difficulté des communications, ce droit est dévolu à l’exarque de Ravenne. Par ailleurs, on peut dire que la carence de l’empire est à peu près totale : pendant 173 ans au moins, de l’invasion lombarde, en 5(58, à la mort de Léon l’Isaurien (741), il n’envoie que peu de secours efficaces à ses sujets italiens, qui se débattent sous les étreintes des barbares. Les règnes de Maurice, Phocas, Iléraclius, Constantin III se passent sans que ces princes aient le moyen de se soucier des angoisses de leurs sujets de l’exarchat, pressés qu’ils sont en Orient par de plus impérieux devoirs. En 608, il est vrai, Phocas vient à Rome ; mais c’est pour y recevoir des honneurs et y célébrer des fêtes. En 662, Constant II conduit enfin une armée en Italie ; mais c’est pour s’y faire battre deux fois, obligé de se replier sur Rome, il y est reçu splendidement, mais

emporte de la ville des quantités considérables de bronze arraché aux édifices publics. C’est ce même Constant II qui, neuf ans plus tôt, avait fait arrêter au Latran et exiler le saint pape Martin I er, coupable d’avoir condamné son monothélismc. Si les Romains n’avaient empêché l’exécution des ordres Impériaux, les papes Sergius et Jean VI auraient eu un sort semblable.

Là, cependant, ne se bornent pas les interventions byzantines. Par tous les moyens, les exarques s’emploient à préparer les élections pontificales au gré du basileus, en sorte que, fréquemment, ce sont des Orientaux qui montent sur le siège de Pierre. Si l’on songe qu’aux viie et viiie siècles la cour de Constantinople est à plusieurs reprises hérétique (monothélite ou iconoclaste), il est légitime de conclure que le régime grec est de sa nature intolérable pour les pontifes romains. Tout comme jadis l’Hénotique de Zenon et VÉdit de Justinien, l’Ecthèse d’Héraclius et le Type de Constant II constituent non seulement des ingérences dogmatiques abusives, mais encore des instruments d’oppression. On en dira tout autant de la pression de la cour byzantine pour faire accepter des papes le concile Quini-Sexte.

Quant à l’administration civile sous la domination byzantine, elle témoigne en général de son impuissance à assurer la prospérité matérielle de la péninsule. Tout languit et tombe à la fois : l’agriculture, l’industrie, le commerce, les lettres et les arts.

6. Tout au rebours de ces procédés, « l’Église romaine… fut la grande pourvoyeuse, qui fit vivre Rome. Sous l’Aventin, le long du Tibre, elle avait ses greniers ; à défaut du blé impérial, la population se nourrissait du blé papal… Le palais du Latran était le centre d’une vaste organisation charitable… Une étroite solidarité, affermie et précisée par l’expérience de plusieurs générations, unissait les intérêts du Saint-Siège et ceux des Romains. Ils voulaient le bien du pape qu’ils considéraient comme le leur, parce que les biens du pape étaient en définitive les leurs. Quatre siècles durant, Rome fut défendue contre la misère par les domaines de l’Apôtre, de même qu’elle avait été défendue contre les barbares par la personne de l’Apôtre. L’empereur était loin et semblait sourd ; l’exarque était près et se montrait impuissant ; le pape apparaissait comme le serviteur, présent et efficace, des nécessités publiques. Or, telle est précisément la définition que le christianisme donne du souverain. Retenons cette coïncidence féconde qui nous permettra d’expliquer l’histoire ultérieure. » Goyau, Pératé, Fabre, Le Vatican ; La papauté et la civilisation, 2e éd., Paris, p. 29-30, 32-33.

Une lettre que saint Grégoire écrivait le 1 er juin 595 à l’impératrice Constantia nous révèle en raccourci son budget. Jafîé, Regesta, n. 1352. Le pape doit prendre à sa charge non pas seulement l’entretien de ses églises, de son clergé, de ses monastères et de ses pauvres, mais encore, et par surcroît, les dépenses de l’État, la solde des troupes, l’approvisionnement de la population et les tributs à payer aux Lombards. « L’évêque de Rome, dit P. Batifïol, fait figure de banquier du basileus, à cela près qu’il n’est jamais remboursé de ses avances. » Saint Grégoire le Grand, Paris, 1928, p. 68. Ne nous étonnons pas qu’à son avènement Grégoire se soit effrayé devant le poids et la complexité de tant d’affaires extérieures, de tant de préoccupations politiques et sociales, au point de se demander « si être pape en ce moment, comme il l’écrivait, c’est être un pasteur spirituel ou un prince temporel ». Episl., t. I, ep. xxv, P. L., t. lxxvii, col. 476-477. « Les papes, dit Lavisse, sont dès lors les vrais maîtres de Rome. » Lavisse et Rambaud, Histoire générale, t. I, p. 231. Après saint Grégoire, leur pouvoir