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POSSESSION DIABOLIQUE

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conscience de lui-même. La crise passée, il est incapable de dire ou de se rappeler ce qu’il a dit ou l’ait ou senti au cours de la crise.

Œsterreich cite (p. 70-73) la lettre du P. Surin au P. Achille d’Atlichy, en date du 3 mai 1635. Le P. Surin raconte que, quand il exerce son ministère d’exorciste, il arrive que le diable passe du corps de la personne possédée dans le sien, le possédant plusieurs heures comme un énergumène. « Je ne saurais, ajoute-t-il, vous expliquer ce qui se passe en moi durant ce temps, et comme cet esprit s’unit avec le mien sans m’ôter ni la connaissance, ni la liberté de mon âme, et se faisant, néanmoins, comme un autre moi-même, et comme si j’avais deux âmes dont l’une est dépossédée de mon corps et de l’usage de ses organes, et se tie.nl à quartier regardant faire celle qui s’y est introduite. Ces deux esprits se combattent en un même champ qui est le corps, et l’âme même est comme partagée et, selon une partie de soi, est le sujet des impressions diaboliques et, selon l’autre, des mouvements qui lui sont propres ou que Dieu lui donne. » Le P. F. Cavallera, qui a inséré toute la lettre dans Lettres spirituelles du P. Jean-Joseph Surin, Toulouse, 1926, t. i, p. 126 sq., a soin de noter : « Dans la possession, l’énergumène est privé de l’usage de ses facultés, et, après les crises, ne garde aucun souvenir de ce qu’il a dit, fait ou entendu. L’obsession, au contraire, laisse, pendant la crise comme après, le libre usage des facultés. Aussi les exorcistes qui adressèrent en commun et signèrent une lettre au duc d’Orléans pour lui rappeler les faits dont ils avaient été témoins à Loudun, font-ils observer que le P. Surin n’était pas possédé mais seulement obsédé. » Disons en passant que M. Henri Delacroix se montre bien hâtif en ne voyant dans le cas du P. Surin qu’un mélange d’hystérie et de lypémanie. Éludes d’histoire et de psychologie du mysticisme, Paris, 1908, p. 328-344.

VI. Distinction d’avec l’obsession. — Le terme obsessio (obsessi), nousl’avons vii, est employé fréquemment, surtout par les anciens auteurs, pour désigner toute action diabolique sensible sur l’homme. C’est peu à peu que le mot possessio (possessi) entra dans l’usage, et qu’on distingua nettement obsessio et possessio.

De nos jours, le mot obsession a pris une extension de plus en plus large : il désigne toute idée fixe. Si bien que J. Smit, à la suite de quelques auteurs, se refuse à l’employer, en matière démoniaque, et propose de le remplacer par circumsessio, investissement. L’obsédé est comme une place que l’ennemi assiège sans y être encore entré ; le possédé est la place où l’ennemi a pénétré et qu’il occupe. Op. cit., p. 56. Cette double métaphore marque exactement la différence entre l’un et l’autre état. Mais il est difficile d’éliminer du langage théologique le mot obsession, que l’usage a consacré. Il suffirait de dire obsession démoniaque.

L’obsession est soit physique soit psychologique ; elle peut être tout ensemble l’un et l’autre. L’obsession physique consiste ou dans des violences exercées par le démon sur le corps, ou dans des manifestations extérieures, bruits, clameurs, voix, apparitions effrayantes, hideuses ou lascives, ou dans des déplacements d’objets, produits à la fin manifeste d’importuner, de troubler le patient, comme il est raconté du saint curé d’Ars et, par la tradition, de saint Antoine au désert. Si ces bruits, apparitions, déplacements d’objets se produisent en un lieu communément, sans viser telle personne, on dira qu’il y a in/cstalion.

L’obsession psychologique consiste dans des suggestions violentes et tenaces : idées fixes, images expressives et absorbantes, mouvements profonds d’émotivité et de passion, par exemple dégoûts, amertumes, ressentiment, haine, angoisses de désespoir, ou, au

contraire, inclination vers quelque objet illicite, ou inclination déréglée dans son mode.

A la différence du possédé, l’obsédé garde la disposition de ses actes extérieurs, quoique avec une liberté souvent amoindrie. Il garde le pouvoir de réagir contre les suggestions du dedans, par exemple les suggestions de blasphème. Il garde le pouvoir de juger de la valeur morale de ces suggestions, par exemple de les estimer impies et abominables. De là, ce dédoublement dont il est question plus haut. Sans doute, la possession ne pénètre pas jusqu’à l’intime de l’âme ; conséquemment elle ne peut dicter, imposer au possédé un acte personnel d’intelligence, ou de volonté. Mais l’action diabolique arrive à neutraliser, à empêcher l’exercice de l’intelligence et de la volonté, de sorte que le possédé devient incapable de connaître, de juger, de vouloir tout ce qui se passe et s’agite en lui. L’obsédé se défend contre le Malin ; il défend contre son emprise ses « armes », c’est-à-dire ses facultés. Aussi arrive-t-il que ces bouillonnements laissent le fond de l’âme paisible. Le P. Surin ajoute, après les paroles que nous avons rapportées : « En même temps, je sens une grande paix sous le bon plaisir de Dieu, et, sans connaître comment, une rage extrême et aversion de lui qui se produit comme des impétuosités pour s’en séparer qui étonnent ceux qui les voient, en même temps une grande joie et douceur, et d’autre part une tristesse qui se produit par des lamentations et cris pareils à ceux des damnés. »

VIL Conduite a tenir. — Mais chacun comprend qu’ici les illusions sont faciles. Les auteurs ascétiques s’accordent à signaler le danger qu’il y a de confondre avec les obsessions diaboliques la mélancolie, la dépression nerveuse ou, au contraire, l’exaltation hallucinatoire qui prête une réalité aux images formées par le cerveau. Ils recommandent au directeur de conscience de s’aider de l’avis d’un médecin expérimenté. C’est la recommandation formelle faite par le rituel romain au sujet de l’exorcisme des possédés. Voir Exorciste, col. 1785.

Il ne faudrait pas croire, d’ailleurs, que la prudence, en cette matière, date de nos jours. « Quoique Philippe Néri, dit le cardinal Capecelatro, estimât que les personnes que l’on croit possédées du démon sont, pour la plupart, ou malades, ou mélancoliques, ou folles, néanmoins, jugeant vraiment possédée une certaine Catherine, noble dame d’Averser, il la délivra de ce terrible mal. » Vie, t. i, p. 468.

Dans une lettre, adressée en 1545, aux PP. Alvarez Alphonso et Pierre Canisius, le P. Le Fèvre, un des premiers compagnons de saint Ignace, blâme les exorcismes faits par le P. Corneille Vischaven : « Je n’approuve nullement, dit-il, que maître Corneille s’occupe à chasser les démons des possédés. Je désire qu’il sache combien en ce ministère se trouve de tromperie. » Fabri monumenta, Madrid, p. 331. Le P. Pierre Canisius, de son côté, estime qu’il ne faut user de l’exorcisme que dans le cas de grande nécessité et avec une prudente circonspection. Il rappelait que saint Ignace n’avait jamais, que l’on sache, pratiqué l’exorcisme. Et le sentiment de François de Borgia, qu’il consultait, était que les Pères de la Compagnie de Jésus devaient s’employer à chasser le démon des âmes plutôt que des corps. Pour lui, il l’invitait à ne pas perdre une heure de temps en ce ministère. Il jugeait sans doute que, dans l’Allemagne envahie par le luthéranisme, il y avait des besognes plus pressantes. Beati Pétri Canisii epistulæ et acta, édit. Braunsberger, t. vi, Fribourgen-B. , 1893, passim.

Le premier soin du P. Surin, quand il fut chargé de la Mère Marie-desvnges, fut de modérer les exorcismes et de s’appliquer avant tout à la réforme intérieure. Le R. P. Mutius Vitelleschi, en envoyant à Loudun des