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    1. PORPHYRE##


PORPHYRE. JUGEMENT

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et un père ne peut tuer sou enfant ; b) du ciel nous viennent tous les biens..Joa.. iii, 27, la sainteté du ciel est donc la garantie de son éternité ; c) le ciel est l’habitation de Dieu, Dent., xxvi, 15 ; s’il venait à périr. Dieu n’aurait plus de demeure ; d) le ciel est -.on trône, la terre est l’escabeau de ses pieds, Is., i.xvî, 1 ; un monde qui rend de tels services ne peut donc disparaître.

Porphyre est non moins habile à déduire d’une maxime du Sauveur les conclusions les plus étranges. En se fondant sur Matth., xix, 24, il s’eiïorce de prouver que non seulement le salut est impossible aux riches, mais que tous les pauvres, quels que soient leurs crimes, seront sauvés. Apocrit., iii, 5. Il aboutit à un résultat semblable dans l’interprétation de Luc, v, 32 : seuls les gens de mauvaise vie sont appelés au salut ; les justes, eux, seront écartés du royaume. Apocrit., iv, 10. Il a beau jeu ensuite pour proclamer immoral cet enseignement de Jésus. Sa défense du diable « le calomniateur », à propos de Joa., viii, 4341. pourrait même passer pour un modèle du genre sophistique. Apocrit., ii, 16. A force de déduction, il en arrive à soutenir ce paradoxe : dans une calomnie, le plus coupable est celui qui y prête flanc, ensuite celui qui l’accueille, enfin celui qui l’emploie 1

Les attaques de notre philosophe prennent parfois un tour plus grave. Mais il paraît difficile de nier les conséquences déplorables d’une telle habitude d’esprit. Il y a chez Porphyre un mélange très particulier de critique inexorable et d’un grand manque de jugement. » Gefïcken, Zwei griechische Apologeten, Leipzig, 1907, p. 297. Plusieurs de ses objections en sont manifestement la preuve. Il nous montre les apôtres, tantôt comme de pauvres paysans plus ou moins ignorants et stupides, tantôt comme des personnages très malins, au point d’abuser de la simplicité de leurs auditeurs. Sa verve se donne libre carrière sur les vices honteux des premiers ouvriers de l’Évangile, ce qui ne l’empêche pas de trouver tout naturel le succès de la propagande chrétienne. Jusque dans ses remarques les mieux fondées, par exemple quand il relève l’emploi exagéré de la méthode allégorique par Origène, il donne prise aux observations les moins bienveillantes, puisque lui-même a usé et abusé de procédés semblables dans l’interprétation de la mythologie grecque. Cf. De antro nympharum, éd. Didot, 1858, p. 87-98. Bref, la polémique de l’adversaire des chrétiens dénote de l’aisance et de la subtilité ; elle manque de sérieux et de profondeur.

2. Porphyre, esprit critique, est trop souvent superficiel. — a) Il est facile de le constater à propos de l’Ancien Testament. Nous avons reconnu volontiers son ingéniosité dans l’interprétation de tel passage de Daniel, vii, 8, ou xi, 21-39. Toutefois, on s’aveugle lorsqu’on en fait du coup un exégète éminent. Passons sur les bévues de détail : il identifie « Maozim », xi, 38, avec Modin ; il prend le mot « palais », xi, 45, pour la ville d’Apedno ; la reine mère, v, 10, pour l’épouse du roi. Il commet des erreurs beaucoup plus graves. Par exemple, il voit Israël dans Dan., ii, 34-35, 44-45. Or, le texte dit expressément que l’empire en question ne sera administré par aucun peuple. En outre, l’exégèse de Porphyre dans Dan., vii, 7-8, 13-14, paraît inadmissible : les critiques reconnaissent à l’ordinaire, dans le quatrième animal, l’empire syrien, dans les dix cornes les dix prédécesseurs d’Antiochus Épiphane, dans les trois autres cornes Héliodore, Démétrius et Ptolémée Philométor. Quant au « fils de l’homme », personne n’y voit aujourd’hui la figure de Judas Macchabée.

Le philosophe païen n’est pas plus heureux dans l’interprétation de Dan., xi, 40-45 ; xii, 1-3. Son dessein de prouver à tout prix que l’horizon de Daniel ne

s’étend pas au delà d’Antiochus l’a égaré dans une mauvaise voie. Saint Jérôme a beau jeu pour lui remontrer combien est précaire son application historique des textes. Le savant docteur triomphe non moins facilement à propos de la langue originale de Daniel, en distinguant entre le livre hébreu, i-xii, et la partie deutérocanonique, xm-xiv. D’une façon générale, Porphyre n’a pas saisi l’importance messianique de cette apocalypse. Ne va-t-il pas jusqu’à prétendre que l’auteur de la prophétie mentait pour soutenir l’espérance de ses compatriotes ? Notre polémiste n’est rien moins qu’un psychologue. Il reste confiné dans des remarques érudites. Sa perspective est étroite et il ne semble pas avoir compris la portée du genre apocalyptique. Il a cru embarrasser l’apologétique chrétienne en rapportant nombre de faits à Antiochus. La réponse de saint Jérôme reste toujours vraie : Porte enim hœc dici de Antiocho, quid nocet religioni nostræ ? In Dan., xi, 44-45, P. L., t. xxv, col. 573.

b) Au sujet du Nouveau Testament, l’exégèse érudite de Porphyre n’est pas moins sujette à caution. Le nom de « mer » donné au lac de Tibériade par les évangétistes est une simple expression d’origine hébraïque et non une façon détournée d’embellir le récit. Il y a d’ailleurs de réelles tempêtes sur ce lac. En outre, sur sa rive orientale, en Décapole, où la majorité des habitants était païenne, la présence d’un nombreux troupeau de porcs est très vraisemblable. De même, dans l’histoire de la passion, il suffit de situer exactement les deux épisodes de la boisson, Marc, xv, 23, et 36, et de bien entendre les paroles du Sauveur, Matth., xxvii, 46, et Luc, xxiii, 46, et l’on voit disparaître toute contradiction. Au vrai, il faut un certain parti pris pour présenter, comme Porphyre, des objections aussi puériles.

En tout cas, on comprend mieux, dès lors, son incompétence en face de problèmes plus difficiles. Il ignore que l’addition’Haa’tou dans Matth., xiii, 35, n’est pas une leçon critique. Il n’a pas vu que la citation empruntée à Malachle, iii, 1, dans Marc, i, 2 a toutes les apparences d’une glose. Il accuse trop facilement d’erreur la généalogie du Christ dans Matth., i, 11-12, sans se rendre compte du caractère très spécial de ce morceau. Il n’a pas saisi le sens eschatologique de la prédiction de Jésus devant le grand prêtre. Matth., xxvi, 64. Il dénonce sans raison un plagiat dans Act., xv, 30. Pour dénigrer Pierre, il interprète Act., xii, 3-Il avec la plus grande fantaisie. A l’égard de Paul, c’est bien pis encore. L’apôtre des gentils n’a jamais prétendu que l’état de mariage fût mauvais ; il le considère seulement comme moins parfait. S’il permet d’user de viandes offertes aux idoles, il réserve toujours la question de scandale. Et ainsi du reste ; toutes les accusations de Porphyre ne résistent pas à un examen impartial des textes. Autant qu’on en peut juger sur de simples extraits, le philosophe néoplatonicien n’a aucun droit à figurer comme maître de la critique.

Il possède, il est vrai, de vastes connaissances : à tout propos il en fait étalage dans son traité Contre les chrétiens. Mais cette pointe de pédanterie, loin d’abuser le lecteur, doit le mettre plutôt en défiance. En tout cas, il est arrivé trop souvent à notre encyclopédiste de tomber dans des erreurs grossières. Rien que dans un passage cité par Eusèbe, Hist. ecd., VI, xix, 7-8, on peut en signaler plusieurs : la conversion d’Origène au christianisme et sa formation intellectuelle par les traités de Longin. Au surplus, et la chose est d’importance, l’érudition de Porphyre ne va pas sans une certaine inaptitude à comprendre la pensée de l’adversaire. Il manque à coup sûr de cette finesse d’observation et de cette indépendance de jugement qui sont la marque des grands esprits.