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    1. PORPHYRE##


PORPHYRE. JUGEMENT

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contingences politiques. La polémique de Porphyre vise à être un débat d’idées.

2. Sa critique prétend être objective.

Quel que soil l’adversaire visé : Moïse, Jésus-Christ, les apôtres, l’Église, c’est toujours sur le terrain positif qu’il entend porter les plus rudes coups. Pour détruire les « mythes » chrétiens, rien de mieux que de remonter à la, source, de s’en prendre à la Bible. Aussi la connaît-il de bout en bout. Gelse négligeait saint Paul, et Origène ne manque pas de souligner ce grave défaut. Contra Cels., i, 63. Porphyre n’a pas de ces lacunes. Il puise ses objections jusque dans le IVe livre d’Esdras, xiv, 21-47, Apocril., ni, 3 et dans l’Apocalypse de Pierre, Apocrit., iv, 6-7, qui devaient figurer dans son milieu parmi les livres canoniques. Au surplus, notre philosophe entend pousser son attaque à fond. A en juger par ce seul fait que le 1. XII de son ouvrage était consacré en entier à l’examen des prophéties de Daniel, il est déjà permis de supposer que son enquête devait être méticuleuse. Mais cette conjecture est amplement confirmée par les quelques bribes qui nous restent de son œuvre. Qu’il s’agisse de l’Ancien ou du Nouveau Testament, de l’histoire évangHique ou des épîtres pauliniennes, il discute les textes et tire objection des moindres détails ; il semble même parfois procéder verset par verset, au point de donner à son traité Contre les chrétiens l’allure d’un minutieux commentaire.

Un tel travail témoigne, par ailleurs, d’un certain sens critique qu’on ne manque pas de célébrer surtout à propos de Daniel. « Porphyre disait à peu près tout ce que les critiques modernes ont pensé découvrir » (Lataix) [Loisyj. L’éloge est sans doute excessif, malgré la restriction. Il l’est même d’autant plus que le philosophe païen pourrait bien avoir largement utilisé, en la circonstance, le 1. IX des Stromates d’Origène. N’empêche que, sur plus d’un point, son interprétation a aujourd’hui grande vogue : la petite corne, Dan., vu, 8, identifiée à Antiochus Épiphane et tout le récit de xi, 21-39 rapporté au règne de ce prince. Le critère qui lui sert à dater les apocalypses apocryphes paraît aussi très original pour l’époque. Bien que Porphyre ne l’ait pas toujours appliqué avec justesse, il n’en a pas moins « saisi, avec une rare pénétration, le sens véritable de plusieurs passages » de Daniel (Vigouroux).

Enfin, on ne peut refuser de reconnaître dans le Kxri Xpia-riavôiv le fruit d’un labeur remarquable. L’auteur y fait appel au témoignage des historiens profanes pour prendre en défaut le récit biblique. Nous savons notamment en quelle estime il tient la fameuse histoire de Sanchoniathon, traduite du phénicien en grec par Philon de Byblos. Il aborde aussi quelquefois les questions de philologie ; il s’intéresse aux problèmes chronologiques et topographiques, il semble avoir un goût particulier pour les synchronismes. A. von Harnack le soupçonne même de s’attaquer, touchant l’antiquité de la religion juive, au chronographe chrétien alors le plus réputé, Jules Africain. En somme, Porphyre prend son rôle au sérieux. Par l’appareil scientifique, son œuvre dépasse sans contredit les écrits de ses devanciers.

3. Le ton de sa polémique paraît aussi à l’ordinaire moins agressif. — On a dit : « Celse, tout à la raillerie et à l’invective, est le Voltaire du paganisme ; Porphyre en serait plutôt le Renan. » P. Allard, La persécution de Dioclélien, 1. 1, Paris, 1890, p. 75. Cette distinction, il faut l’avouer, n’est pas juste de tout point : on retrouve trop souvent dans le Kxrà Xpia-navcov les sarcasmes haineux à la Voltaire. Il reste que les attaques sont le plus souvent accompagnées de considérations historiques, morales ou religieuses qui en atténuent la violence. En outre, notre philosophe sait varier ses

traits suivant le personnage auquel il en a. S’il ne garde aucun ménagement pour saint Paul, il fait preuve, vis-à-vis du Christ, d’une singulière réserve. Celse traitait Jésus de magicien ; Porphyre a soin de transporter aux apôtres cette accusation. Chez l’un et l’autre il y a, sans doute, beaucoup de mépris pour la religion nouvelle, mais le second ne semble plus avoir la même superbe, ni la même confiance dans le succès final. En face des progrès immenses de l’Évangile, des efforts puissants des apologistes, de la constance merveilleuse des martyrs, le philosophe néoplatonicien, plus clairvoyant, a compris la situation grave de la religion païenne. Il pourrait même avoir eu le pressentiment de la force irrésistible du christianisme. Ajoutons enfin que les aspirations élevées de son âme, telles que nous les découvrons dans la Lettre à Marcello ou dans le Traité de l’abstinence de la chair, devaient tout naturellement le porter à mettre dans ses attaques des nuances inconnues jusqu’alors.

Ainsi donc Porphyre a composé une œuvre originale en beaucoup d’endroits. Il y a quelque chose de nouveau dans son point de vue, dans ses recherches, dans sa manière de présenter les objections. Bien mieux, cette triple originalité nous dévoile les trois principaux traits de son personnage : le penseur, l’esprit critique, l’âme religieuse. Le paganisme à son déclin ne devait plus rencontrer de représentant aussi autorisé. Selon le mot de von Harnack, « Porphyre a écrit le testament de l’hellénisme ».

Valeur intrinsèque.

- L’exposé que nous avons

fait des objections contenues dans le Kxrà Xpia-r’.avwv permet d’apercevoir les vices fonciers de la critique porphyrienne. On peut les grouper sous trois chefs principaux :

1. Porphyre, penseur et philosophe, reste un sophiste.

— A l’école de Plotin, il n’a pas oublié les leçons des rhéteurs d’Athènes et visiblement sa polémique témoigne d’un goût fort prononcé pour la plus détestable méthode de discussion.

Il ne fait aucun effort pour pénétrer le sens des paroles qu’il condamne. Il s’en tient souvent, dans l’examen des textes bibliques, à l’interprétation la plus mesquine, qui lui permet aisément de triompher. Comment le Christ a-t-il pu promettre la révélation des mystères aux « petits », Matth., xi, 25, c’est-à-dire à ceux qui tettent ? Apocrit., iv, 9. N’y a-t-il pas folie de la part de Paul à déclarer, I Cor., vii, 30, que celui qui possède doit être comme celui qui ne possède pas, Apocrit., iv, 1, ou à se glorifier, I Cor., ix, 19, de s’être fait l’esclave de tous ? Apocrit., ni, 30. Certes, il y a des chances que Porphyre n’ait réellement pas compris telle doctrine paulinienne, Rom., v, 20, dans Apocrit., ni, 34, ou tel passage évangélique, Joa., vii, 8-10, dans Jérôme, Dial. adv. Pel., ii, 17. Mais, plus d’une fois, cette incompréhension est intentionnelle. On ne peut expliquer autrement la manière dont le philosophe signale certaines contradictions dans les évangiles, par exemple, entre Marc, x, 18, et Luc, vi, 45, dans Apocrit. , ii, 9, entre Matth., xxvi, 11, et xxviii, 20, dans Apocrit., ni, 7, etc. On doit attribuer au même principe la fausse interprétation qu’il donne des passages bibliques les moins obscurs, Matth., xvi, 18 ; Act., . xvin, 9-10, dans Apocrit., iii, 22 ; iv, 4. Cette façon, censée ingénieuse, d’opposer ou d’interpréter les textes constitue une forme de discussion trop particulière pour qu’on puisse s’y méprendre.

Au reste, quand Porphyre développe ses arguments, soit scripturaires, soit rationnels, il emploie volontiers le même procédé. Ainsi, dans Apocrit., -iv, 7, il veut démontrer la fausseté de cette parole de Jésus : « Le ciel et la terre passeront. » Matth., xxiv, 35. A cet effet, il propose les quatre raisons suivantes tirées de l’Écriture : a) Dieu est le père du ciel, Matth., xi, 25,