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PORPHYHK. JUC.IM l. I


gulier : elles y commandent en maîtresses et disposent à leur gré des dignités sacerdotales. Jérôme, In Is., m. 12. Hieit mieux, chefs spirituels et simples fidèles n’ont plus la foi, cette foi qui devrait transporter les montagnes. Matth., xvii, 10. Aussi bien, il y a dans un autre passage de l’Évangile, Marc, xvi, 17, un mode de scrutin tout indiqué pour choisir les élus du sacerdoce et surtout ceux qui ambitionnent l’épiscopat » ; « à chacun on offrirait un poison mortel et celui que le breuvage n’aurait pas incommodé serait préféré aux autres ». Apocrit., ni, 16, 17. On retrouve ainsi à chaque page, chez Porphyre, le ton haineux et les accents railleurs du persiflage voltairien. Toutefois, il ne peut contester ni le développement rapide et prodigieux de la religion nouvelle, Apocrit., iv, 3, ni la constance invincible des martyrs. Apocrit., ii, 14 ; iv. 4. Certaines de ses objections laissent même supposer qu’il est entré jadis en contact assez intime avec la pensée et la vie chrétienne. Apocrit., iii, 4, 6, 22. Sa haine contre l’Église renferme une aigreur particulière, qui semble révéler l’ancien amour d’un cœur ulcéré. Jusque dans ses sarcasmes les plus perfides, il y a comme un hommage involontaire rendu à la force grandissante du christianisme.

Ainsi donc, de l’œuvre de Porphyre, nous ignorons le plan et c’est à peine si nous pouvons juger de ses qualités littéraires. Nous sommes, à cet égard, beaucoup moins favorisés que pour l’étude du Discours véritable de Celse ou même du traité Contre les chrétiens de Julien l’Apostat. Toutefois, d’après quelques indices, il se pourrait que l’ouvrage du philosophe tyrien tint plus d’un commentaire détaillé des saints Livres que d’un large plaidoyer contre la foi chrétienne. L’aperçu que nous en avons tracé ne doit pas induire en erreur sur ce point. Il vise seulement à fixer, en l’état actuel des documents, les principaux traits de l’argumentation de Porphyre contre l’Église. Il permettra, en outre, d’en déterminer plus exactement la valeur.

III. Jugement sur l’œuvre antichrétienne de Porphyre. — Notre but n’est pas de la critiquer dans le détail, mais d’en souligner les qualités et les défauts caractéristiques.

Originalité.

De très bonne heure, le populaire

attribua aux chrétiens toutes sortes de crimes, même les plus infâmes, et, jusqu’à la fin du iie siècle, dans les milieux lettrés, les adversaires du christianisme ne firent, le plus souvent, que reprendre ces absurdes calomnies. Les gens cultivés, ajoutaient d’autres griefs un peu plus sérieux : les chrétiens se désintéressaient des affaires publiques, ils répugnaient au service militaire, ils se recrutaient parmi les parias de la société. Bien pis, ils avaient du succès, et c’était peut-être la chose que le monde des philosophes et des rhéteurs officiels devait le moins pardonner. Toujours est-il que, pendant longtemps, les défenseurs du paganisme n’ont pas étudié, de parti pris, les livres et la doctrine de l’Église. Les apologistes de la foi chrétienne, tel saint Justin, ont beau inviter leurs adversaires à une enquête personnelle ; des rhéteurs comme Fronton, des philosophes comme Crescens ou Lucien, ne consentiront jamais à faire effort pour s’élever au-dessus du niveau de l’opinion commune.

Avec Celse il en va autrement. Dans le Discours véritable, on ne retrouve guère les sottes accusations populaires contre les chrétiens. En fait, l’auteur a pris soin de recueillir quelques renseignements auprès des fidèles eux-mêmes ; il a consulté la Bible ; il a lu divers ouvrages d’apologétique chrétienne. En particulier, dans sa critique des évangiles, il ne se borne pas à relever les récits suspects, il lui arrive quelquefois de comparer les documents et de tirer parti de leurs variantes. Cette façon de recourir aux textes montre

dict. de théol. cathol.

qu’il comprend toute l’importance de l’histoire biblique. A dire vrai, il reste encore bien superficiel. Ses attaques contre la religion chrétienne en reviennent toujours aux difficultés intellectuelles et aux répugnances sentimentales dont était pénétré son esprit païen. Mais, chose rare à l’époque, il ne condamne pas en bloc : il ne craint pas de faire une exception pour la morale de Jésus. Sa polémique tourne même finalement à l’exhortation chaleureuse : le Discours véritable se termine par un appel aux chrétiens pour qu’ils renoncent à leur isolement dans l’État et travaillent, de concert avec les autres citoyens, à la grandeur de la patrie romaine.

Cent ans plus tard, avec Porphyre, nouvelle transformation dans la manière d’argumenter contre l’Église. Certes, la chose n’apparaît pas de prime abord. Le traité du philosophe néoplatonicien est parvenu à la postérité sous forme de fragments trop maigres pour qu’on ait de suite l’impression d’une œuvre originale. Il renferme d’ailleurs beaucoup de traits qui rappellent la polémique antichrétienne des siècles précédents. A. von Harnack, Marcion, 2e édit., Leipzig, 1924, Beilagen, p. 70, 77, 101, 336 sq., en signale plusieurs qui ne sont pas sans analogie avec les objections des marcionites. En outre, les ressemblances avec le Discours véritable, sans être littérales, sont si nombreuses qu’on a pu croire à une dépendance de Porphyre vis-à-vis de Celse : mêmes difficultés touchant certaines paroles de Jésus, Apocrit., iii, 5 et Contra Cels., vi, 16 ; Apocrit., iv, 8-9 et Contra Cels., i, 62, son agonie au Jardin des oliviers, Apocrit., iii, 2 et Contra Cels., ii, 24, sa douceur durant la passion, Apocrit., m, 1 et Contra Cels., ii, 35, l’épisode du coup de lance, Apocrit., ii, 13 et Contra Cels., ii, 35, les apparitions aux saintes femmes, Apocrit., ii, 14 et Contra Cels., n, 63, etc. D’autre part, les attaques contre les dogmes de l’Église, « les mythes étrangers » : la création, l’incarnation, la fin du monde, la résurrection des corps, ainsi que les accusations de plagiat portées contre les juifs et les chrétiens, tout cela n’ajoute pas grand’chose aux arguments de là polémique antérieure. Ce sont des armes rouillées et empruntées par habitude au vieil arsenal des écoles philosophiques. Il y a même dans le Kocxà XpiCTTtavwv comme un relent des calomnies populaires : l’allusion aux festins de Thyeste, Apocrit., iii, 15, et le rappel des calamités publiques « depuis que Jésus est l’objet d’un culte ». Eusèbe, Præp. evang., V, i.

Néanmoins, un examen attentif des divers fragments de l’ouvrage révèle, dans la manière de Porphyre, trois aspects nouveaux :

1. Son point de vue n’est pas étroitement national. — Notre philosophe se pose avant tout en défenseur de l’hellénisme, et les intérêts de l’empire ne le préoccupent que par contre-coup. Il reste, sous ce rapport, le disciple du maître qui estimait sans importance la ruine de sa propre patrie, Ennéades, I, iv, 7, et qui demandait aux adeptes de son école de ne pas participer aux affaires publiques. Vita Plotini, 7, 12. La doctrine néoplatonicienne élargissait ainsi les horizons bornés du Discours véritable. Celse n’a que mépris pour les Juifs, les Orientaux, pour tout ce qui n’est pas foncièrement romain. Ses arguments se ramènent à la raison d’État et il est à croire que le « couvent » de Plotin lui eût été un scandale. Porphyre, lui, possède, de toute évidence, une autre formation qui lui fait envisager sous un jour différent le conflit avec le christianisme. Sa confiance dans les destinées de l’empire ne pouvait être que médiocre et il ne songe pas à reprocheraux chrétiens une attitude qui devait lui paraître légitime à tant d’égards. Il croit, si l’on peut dire, à « la primauté du spirituel ». Il se soucie bien plus des principes de la sagesse grecque que dis

T.

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