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    1. PORPHYRE##


PORPHYRE. SA POLÉMIQUE

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il se pourrait que l’adversaire des chrétiens, en ces divers endroits, ne gardât pas à l’égard de Jésus une attitude aussi réservée que précédemment. Il devait trouver pour le moins étranges ces paroles du Sauveur : « Je ne suis pas venu apporter sur la terre la paix, mais le glaive », Matth., x, 34 ; « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? » Matth., xii, 48-49 ; « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Il n’y a de bon que Dieu seul. » Marc, x, 18. Il blâmait certainement sa réponse sévère au père de l’enfant lunatique : « O génération incrédule et pervertie… » Matth.. xvii, 16. Il semble enfin s’être servi de Joa., v, 31, pour mettre en doute la véracité du témoignage du Christ : « Je suis la lumière du monde. » Joa., viii, 12.

De fait, nous le savons par ailleurs, il n’hésite pas à mettre Jésus en contradiction avec lui-même. Certes, là encore, il tâche bien quelquefois de faire retomber sur les évangélistes cette incohérence. Ainsi, à propos de Pierre, Apocrit., iii, 19, appelé d’abord le fondement de l’Église, Matth., xvi, 18, ensuite Satan. Matth., xvi, 23. Peut-être aussi au sujet de Jean, qui n’est pas mort martyr, malgré la prédiction de Matth., xx, 23, dans Pacatus, Pseudo-Polycarpiana, n. 2, P. G., t. v, col. 1025 sq. Mais Porphyre n’use pas toujours de ces précautions oratoires. Pour lui, Jésus s’est contredit en plusieurs circonstances. Tantôt il le démontre avec l’habileté d’un sophiste. Par exemple : Apocrit., n, 9, le Christ a dit : « Dieu seul est bon », Marc, x, 18, mais il a dit aussi : « L’homme bon tire le bien du bon trésor de son cœur », Luc, vi, 45 ; ou encore dans saint Augustin, EpisL, en, 2 : le Maître menace de supplices éternels ceux qui ne croiront pas en lui, Marc, xvi, 16, et, d’autre part, il affirme qu’au jour du jugement on sera mesuré, Matth., vii, 2, c’est-à-dire puni avec quelque chose de borné. Cf. aussi Pacatus, Pseudo-Polyc, n. 4, à propos de Luc, xiv, 12-13, P. G., t. v, col. 1025 sq. Tantôt il suffît presque à Porphyre de citer les textes, Apocrit., iii, 7 : « Moi, vous ne m’aurez pas toujours », Matth., xxvi, 11, et : « Je serai avec vous jusqu’à la consommation du siècle », Matth., xxvin, 20. Jérôme, Adv. Pelag., ii, 7 : « Montez-vous, à cette fête ; pour moi, je n’y vais point », Joa., vii, 8, et « Lorsque ses frères furent partis, lui-même monta aussi à la fête », Joa., vii, 10. De là, la conclusion de Jérôme : Latral Porphyrius, inconstantiæ ac mutationis accusai.

Toutefois, cette accusation, chez notre philosophe païen, ne. paraît être qu’un procédé courant de polémique, destiné à mettre un adversaire dans l’embarras. Il y a dans la figure du Christ d’autres traits qui le déconcertent et le scandalisent bien davantage. Il y a surtout celui-ci qui les résume tous : une opposition fondamentale à l’idéal de la sagesse grecque. Les sages de ce monde, Jésus n’a pour eux que du dédain et il va jusqu’à remercier son Père, Matth., xi, 25, de leur avoir caché les mystères chrétiens pour les révéler aux petits. Apocrit., iv, 9. Il déclare même, Luc, v, 31-32, être venu sur la terre pour appeler non les justes, mais les malades et les pécheurs. Apocrit., iv, 10. Il se plaît avec les pauvres et les ignorants ; il s’adresse à eux en des termes obscurs et vulgaires, Matth., xiii : « Le royaume des cieux est semblable à un grain de moutarde, à un levain, à un marchand qui cherche de belles pierres ». Apocrit., iv, 8. Il est aux antipodes d’un vrai philosophe.

Passe encore sur sa naissance obscure, quoiqu’il se dût de descendre du ciel dans tout l’appareil de sa gloire ! Anastase le Sinaïte, Hodegos, 13. Mais, au cours de sa vie, c’est toujours la même absence de majesté. S’il recommande le courage à ses disciples, Matth., x, 28, il se laisse lui-même dominer par la crainte. Ainsi, lors de la tentation, Matth., iv, 6, quand il hésite à confirmer sa mission par un miracle de pre mier ordre, en se jetant du haut du temple en présence du peuple. Apocrit., iii, 18. De même, au Jardin des oliviers, Matth., xxvi, 39, où sa prière dénote un manque total de caractère en face de la mort. Apocrit., m, 2. Son silence durant la passion n’est pas moins répréhensible. Pourquoi n’a-t-il pas gardé son francparler devant ses juges ? Pourquoi surtout a-t-il supporté les insultes et les mauvais traitements sans élever une tière protestation ? On le dirait sorti de la lie du peuple. Apocrit., iii, 1. Et puis, ce prétendu Messie a été crucifié comme un criminel. « Pourquoi a-t-il accepté de subir le supplice de la croix et non tout autre châtiment ? » Méthode, éd. Bonwetsch, p. 503 sq. Au reste, ses paroles, au dernier moment, sont incohérentes ; elles attestent tantôt la confiance, Luc, xxiii, 46, tantôt le désespoir, Marc, xv, 34. Le Christ n’a pas eu la force morale nécessaire pour s’exprimer clairement. Apocrit., ii, 12. Enfin, après sa mort, au lieu d’apparaître à des gens de qualité, réunis en corps et absolument dignes de foi, par exemple à ses juges, comme il le leur avait promis, Matth., xxvi, 64, il se montre à de pauvres femmes dont le témoignage est sans valeur. Apocrit.. ii, 14. Quelle différence avec Apollonius de Tyanel Voilà un grand thaumaturge et un vrai philosophe ! Il s’explique en toute franchise devant l’empereur Domitien et, par une sorte de coup de théâtre, il quitte instantanément la cour impériale pour apparaître au loin quelques heures après. Apocrit., iii, 1 ; iv, 5 ; cf. Jérôme, Tract, de psalm. lxxxi, Anecd. Mared., t. m b, p. 80. Jésus, lui, n’a rien d’un sage, ni d’un homme divin.

L’opinion de Porphyre touchant la personne du Sauveur n’est donc plus celle de la Philosophie tirée des oracles. Sans doute, il se refuse toujours à le tenir « pour un Dieu, pour le Logos de Dieu, pour le créateur du monde ». Apocrit., ni, 3. Si Jésus était Dieu, il n’aurait pas manqué de le prouver clairement et il ne laisserait pas d’innombrables martyrs endurer les pires tourments à cause de lui, Apocrit., ii, 14 ; iv, 4 ; mais aujourd’hui Porphyre, imbu plus fortement qu’hier des préjugés de l’hellénisme et lancé davantage dans la polémique, va jusqu’à enlever au Christ cette auréole de sagesse qu’il se plaisait jadis à lui décerner. Néanmoins, il semble que cette belle figure lui en impose encore. A en juger par les quelques fragments que nous possédons, l’adversaire des chrétiens garde vis-à-vis de Jésus, malgré le scandale de la croix, une discrétion dans l’attaque, qui pourrait bien être la marque d’une estime et d’une sympathie à demi conscientes. Cf. l’opinion contraire de P. de Labriolle, Revue d’histoire de la philosophie, t. iii, 1929, p. 418 sq.

2. Les évangélistes.

A leur endroit, au contraire, Porphyre perd toute retenue. Il semble n’avoir ménagé le Christ que pour mieux les accabler. D’un mot, ce sont des faussaires. Ils ont embelli les faits, ils en ont même inventé de toutes pièces pour faire croire aux miracles. Ces menteurs (Porphyre en venait facilement aux injures, Eusèbe, H. E., Vf, xix, 2) ont écrit des contes à dormir debout pour les femmes et les enfants ; ce ne sont pas des historiens. Apocrit., ii, 12, 15 ; ni, 4 ; Jérôme, Epist., i.vn, 9 ; Quxst. in Gen., i, 10 ; Eusèbe, Dem. evang., III, v.

Il y a du reste des degrés dans leur fourberie et leur sottise. Apocrit., ni, 15. Le plus « niais » de tous est sans contredit saint Jean. Apocrit., ii, 13. C’est lui qui fait dire à Jésus, même avant le crucifiement, Joa., xvii, 4 : « J’ai achevé l’œuvre que tu m’as donnée de faire. » Pacatus, Pseudo-Polyc, n. 5, P. G., t. v, col. 1027 sq. C’est lui qui prête aux juifs cette erreur, Joa., ii, 20 ; « On a mis quarante-six ans pour bâtir le temple. » Pacatus, éd. Pitra, op. cit., p. lxii. C’est lui qui met sur le compte du Sauveur ces sornettes : Joa., v, 46 : « Moïse a écrit de moi », Apocrit., ni, 3 ; Joa., viii, 1 1 :