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POLYGÉNISME. LES HYPOTHÈSES


MM. Pei et Young, les trouvailles de Chou-Kou-Tien. On a recueilli des restes de plusieurs individus et on a jusqu’ici étudié plus spécialement deux crânes, un d’adolescent et d’un adulte. Avec ces fossiles se trouvait une industrie abondante et une quantité énorme de cendres. Le sinanthrope était un artisan : il taillait le quartz (n’ayant pas à sa disposition le silex qui est le matériau le plus usité et le plus avantageux) ; il savait arranger l’os et le bois de cerf pour en faire des armes ou des outils, voire des coupes à boire, dont le bord est fortement lustré par l’usage ; enfin il allumait le feu.

Voilà pour ses œuvres ; lui-même, comment était-il ? L’abbé Breuil, Anthropologie, 1932, p. 1-17, le voit proche parent’du pithécanthrope, voisin de l’homme de Mauer et sans doute à l’origine des Néanderthaliens, tout en étant beaucoup plus ancien que ces derniers. Lui-même avait été précédé, en Chine, par un hominien du Sanménien de Nihowan, au début du pléistocène.

L’industrie du sinanthrope prouve-t-elle la raison et la liberté, c’est-à-dire une nature proprement humaine ? Certains esprits se hâtent de répondre par l’affirmative. Il est plus prudent de se demander si l’association des images, qui est une opération purement empirique et animale, sans rien de nécessairement rationnel, ne peut pas expliquer l’usage du feu, le travail de la pierre et du bois. Si cette explication est suffisante, il faut s’en tenir là ; frustra fit per majora quod fieri potest per minora. Homo faber n’est pas nécessairement homo sapiens. Nous voyons tous les jours les animaux accomplir des actes compliqués sans que nous soyons tentés de leur attribuer l’idée de cause et la croyance au principe de causalité, ce qui serait de la raison proprement dite. L’habitude de les voir agir ainsi nous empêche de voir l’ingéniosité de leurs actes ; c’est parce que les gestes du sinanthrope sortent de nos habitudes, que nous hésitons devant leur interprétation.

Mais l’abbé Breuil signale un fait, « profondément troublant » : à Chou-Kou-Tien, le sinanthrope est représenté jusqu’ici par deux crânes, des mandibules, des dents, mais par aucun os des membres ou du tronc ; tandis que les débris d’animaux, qui sont fort abondants, appartiennent, sauf pour les grands pachydermes, à toutes les parties du corps. Un crâne humain présente même une incision superficielle, large et longue, due à un instrument tranchant. On a l’impression que les crânes ont été portés là après avoir été dépouillés de leur chair. Ce traitement spécial dénoterait un psychisme spécial et sans doute une mentalité supra-animale.

Ainsi donc, en remontant le cours des siècles, nous voyons l’homme ou l’hominien présenter la forme voisine de Néanderthal plutôt que celle de sapiens. Nous sommes obligés de conclure que la science ne nous donne, en ce moment, aucune indication sur la manière dont on pourrait unifier les deux phylums humains : celui de Veoanthropus Dawsonii, de Piltdown, auquel se rattache sans peine l’homme moderne et celui du sinanthropus Pekinensis avec ses parents néanderthaliens.

Données complémentaires. — Le présent article avait été rédigé au début de 1932 ; voici ce qu’on peut y ajouter au début de 1934 :

En 1931-1932, une expédition anglo-saxonne a fait des fouilles en Palestine ; M. T. Me Cown, Américain et miss Garrod, Anglaise, en ont publié les résultats en 1932. Ils ont recueilli, dans une grotte du Mont-Carme ], huit squelettes moustériens qui unissent des caractères néanderthaliens à des caractères d’homo sapiens. Dans la revue anglaise, Nature, du 25 juin 1333, MM. Dudley Buxton et de Béer disent : « Les

crânes des jeunes néanderthaliens ressemblent plus à l’adulte d’homo sapiens qu’à celui d’homo Neanderthalensis ou même qu’à l’enfant d’homo sapiens. » « II semble, ajoute M. Vaufrey (Anthropologie, 1933, p. 646) qu’homo sapiens ait reçu du jeune homo Neanderthalensis ses caractères principaux, les spécialisations adultes d’homo Neanderthalensis ayant été écartées et bientôt perdues. »

Dans la revue française, La Nature (1 effet 15 janvier 1934), M. Joleaud, professeur à la Sorbonne, en un article sur les Récentes découvertes en paléontologiehumaine, dit : « De même qu’il y a des types intermédiaires entre les hommes et les singes, de même il y a des formes s’intercalant entre les Néanderthaliens et les autres hommes (homo sapiens)… » Des savantsanglais, « miss J. E. Salmons, L. H. Wells, Shore, J. C. M. Shaw, M. R. Drennan, ont montré, dans cesdernières années (1925-1932), qu’une série de caractères néanderthaloïdes s’observaient chez les Boschimans actuels… En résumé, les récentes découvertes, en paléontologie humaine ont contribué à réduire les hiatus séparant les différents grands groupes anthropologiques. .. La large extension géographique des Néanderthaliens en Asie et en Afrique, a eu pour conséquence la différenciation de formes secondaires de cette espèce, formes moins éloignées parleurs caractères, des hommes modernes que le type du troglodyte des grottes moustériennes d’Europe. »

Dans La genèse des espèces animales, 3e édition, . Paris, Alcan, 1932, p. 550, M. Cuénot dit : « Cette transformation du préhomme en homme s’est-elle produite, sur de nombreux individus, ou sur quelques-uns provenant d’une famille privilégiée, ou sur un seul ? La réponse à cette question dépend évidemment de l’opinion générale que l’on s’est faite au sujet de l’origine des espèces ; si l’on croit que la mutation est la forme unique de la variation évoluLve, on peut admettre qu’il n’y a eu d’abord qu’un ou deux êtres humains. »

IV. Le nombre des premiers hommes.

Enfin, il faut se placer en face d’une hypothèse fort en vogue dans lés milieux scientifiques actuels : d’une manière générale, les nouvelles espèces végétales, animales, et l’espèce humaine, comme les autres, auraient apparu par « buissonnement ». On entend par là que, dans une région plus ou moins vaste, pendant une période plus ou moins courte, les mutations se seraient produites simultanément ou à peu près et dans le même sens… Cela n’empêcherait pas que, dans une autre région et à une autre époque, un foisonnement analogue ait lieu et, par un phénomène de convergence, ait pour terme des espèces plus ou moins semblables à celles de l’autre pays.

Naturellement, on a appliqué cette hypothèse à l’homme. « La science laissée à elle-même, dit le P. Teilhard, ne songerait jamais (c’est le moins qu’on puisse dire) à attribuer une base aussi étroite que deux individus, à l’énorme édifice du genre humain. » Que faut-il penser du transformisme ? dans Revue des questions scientifiques, janvier 1930. De même, à l’article Transformisme, du Dictionnaire apologétique, le R. P. de Sinéty : « Si l’on prétend rester dans les limites de la vraisemblance scientifique, en appliquant à l’origine de l’organisme humain les lois générales de l’évolution, il faut, de toute nécessité, admettre que la genèse de ce type particulier s’est effectuée comme celle des autres espèces animales, c’est-à-dire qu’elle a abouti, à une époque donnée, à un certain nombre d’individus des deux sexes, présentant les caractères distinetifs de l’espèce nouvelle ; dans le cas qui nous occupe, il est inadmissible que, sans une intervention spéciale de Dieu, l’évolution d’une souche animale ait produit uniquement deux individus, l’un mâle,