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POLYGÉNISME. LES DONNÉES SCIENTIFIQUES

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aux-Saints, qui semble être de la fin du moustérien, avait à côté de lui des os de rennes appartenant à vingt-deux individus ; le centre de la France devait avoir le climat de la Laponie actuelle.

La répartition géographique de l’homme de Néanderthal comprend la France, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, une bonne partie de l’Europe centrale ; elle s’est singulièrement agrandie par la découverte de deux crânes près du lac de Tibériade, d’un autre en Crimée et d’un autre à Broken-Hill, en Rhodésie. Cependant, ce dernier est rattaché par certains naturalistes aux Australiens ; s’il est néanderthaloïde, comme le croient de bons connaisseurs, il serait un des derniers survivants de sa race et pas très ancien, car il est peu fossilisé.

Les conclusions de Boule sur la race de Néanderthal ont été acceptées par le monde savant. On ne signale guère que deux critiques de M. Vialleton et une de M. Sergi : 1° les caractères anatomiques du cerveau déduits de quelques empreintes de la face endocranienne ne sont pas suffisantes pour légitimer les conclusions qui en ont été tirées (Vialleton invoque ici Symington) ; 2° l’individu de La Chapelle aux-Saints n’avait pas nécessairement les jambes fléchies, mais pouvait avoir une attitude parfaitement droite ; 3° la reconstitution du bord du trou occipital laisserait à désirer. Mais il reste certain que, des pieds à la tête, sauf le nez qui est ultrahumain, tous les organes ont quelque chose de simien, quoique restant près de la forme humaine. A son étude scientifique, M. Boule ajoute des considérations philosophiques qui en sont séparables et qui se ressentent un peu trop de son incompétence en ce domaine.

Quoi qu’il en soit, à propos des deux groupes que nous venons de distinguer, le problème se pose : y a-t-il entre eux une différence de race ou une différence d’espècel Dès 1911, M. Boule répond formellement qu’entre le premier groupe, ou homo sapiens, et le second groupe, ou homo Neanderthalensis, il y a une différence d’espèce. M. l’abbé Breuil et le R. P. Teilhard de Chardin, S. J., sont du même avis, pour des raisons d’anatomie comparée appliquée aux données paléontologiques. Partagent cette opinion, MM. Dubois, le « découvreur » du pithécanthrope de Java, H. Martin, Montandon, Vaufrey, Vallois, etc. Toutefois, à propos d’une étude de M. Morant sur les crânes néanderthaloïdes et leurs rapports avec les crânes modernes, dans l’Anthropologie, 1929, p. 147, M. Boule écrit : « L’hypothèse de travail que l’homme moustérien présente sensiblement les mêmes rapports avec toutes les races de Yhomo sapiens est la plus satisfaisante dans l’état actuel de nos connaissances. Dans ce cas, il est impossible de décider que Vhomo Neanderthalensis est ou n’est pas dans la ligne ascendante directe des hommes actuels. Seule la découverte de formes de transition pourra trancher la question. »

M. Boule reconnaît donc que la barrière n’est pas infranchissable. On peut penser que les formes de transition sont inexistantes ou tout au moins rares, s’il y a eu mutation. Le mélange de caractères des deux types pourrait être un indice d’interfécondité, de parenté.

Écoutons maintenant l’opinion des savants monophylétistes et signalons quelques faits qui peuvent lui donner quelque appui.

M. Verneau croit que l’Australien — un sapiens — descend de Néanderthal. Un Allemand, Robert Bonnet, admet que les individus d’Obercassel viennent d’un croisement entre Néanderthal et Chancelade. Voici ce que nous relevons dans Y Anthropologie : en 1926 (p. 176), un crâne de Londres semble indiquer une forme intermédiaire entre Néanderthal et sapiens et pourrait remonter au moustérien. En 1926 encore

(p. 335), un crâne de Piatigorsk serait un intermédiaire analogue. Toujours en 1926, à propos de l’étude de Weinert sur le crâne du Moustier (p. 562), M. Luquet écrit les lignes suivantes : Ses caractères (de ce crâne) ne sont pas assez tranchés pour s’opposer à ce qu’il soit l’ancêtre de l’homme de Combe-Capelle et, par son intermédiaire, de nous-mêmes. » En 1928 (p. 359), M. Paul Sarazin émet cette opinion : « La réapparition des caractères néanderthaliens, dans toutes les variétés de sapiens, en particulier chez les Européens, qui peut être considérée comme atavique, autorise (avec les analogies psychiques) à considérer Vhomo sapiens comme descendant de Néanderthal, bien qu’on n’ait pas trouvé de forme de transition qui les relie. » Ce serait par les nègres que se serait fait le passage. L’Américain Hrdlicka (1929. p. 289, et 1931, p. 56 4) est en somme du même avis, mais M. Vallois le critique vivement. Une recension de M. Boule sur le squelette de Gibraltar se termine ainsi (1928, p. 570) : « Au total, l’enfant de Devil’s Tower a une face et des mâchoires du type de Néanderthal, mais la calotte cra îienne est plutôt de style moderne ; ce qui peut s’expliquer de plusieurs manières et notamment parce que nous serions ici à l’extrême limite des différences individuelles. » Le moulage endocranien diffère également beaucoup des pièces analogues de la race de Néanderthal. Le crâne de Broken-Hill est rattaché par Dubois aux Australiens, donc à Vhomo sapiens, par Montandon à Néanderthal, et Boule paraît bien être de ce dernier avis. En 1924 (p. 192), Fritz Sarrasin trouvait chez les Néo-Calédoniens certains caractères plus primitifs que ceux de Néanderthal, voyait dans le groupe austromélanésien le plus primitif des homo sapiens et l’apparentait à Vhomo Rhodesiensis. Aussi, à l’occasion d’une étude de Bonin sur ce même Rhodesiensis et son mélange de primitif et de moderne, M. Vallois conclut que le Rhodesiensis a dû rester très près de la souche qui a donné sapiens et Néanderthal. On peut en rapprocher ce que dit M. Black, le savant qui étudie le sinanthropus (1931, p. 557) que le sinanthropus adolescent se placerait non loin de l’hominien d’où sont issus Néanderthal, Rhodesiensis et sapiens. Mais M. Vaufrey conteste cette conclusion. Dans un article du savant hollandais Kippers, M. Boule (1930, p. 119) relève comme donnée intéressante que l’on observe une transition réelle entre pithécanthrope, Néanderthal et sipiens, mais avec des différences marquées notamment dans le développement de l’opercule frontal. Versons encore au débat le crâne de Saccopastore, près de Rome, étudié par M. Sergio Sergi (1931, p. 241). Ce nouvel exemplaire de la race de Néanderthal a une petite capacité crânienne, 1 200 c™ 3 ; il doit être d’une femme, mais il est brachycéphale, ce qui est rare, et très prognathe. Le fait le plus remarquable, c’est que le trou occipital est nettement tourné vers l’avant comme chez l’homme moderne et non vers l’arrière comme chez le singe et chez beaucoup de sauvages actuels. En cela, il n’était pas, sans doute, une exception. Du reste, il Se rapproche surtout de Gibraltar que nous avons vu mélangé de moderne.

En somme, la question reste ouverte ; toutefois, il est prudent d’envisager qu’elle pourrait être tranchée scientifiquement dans un sens polyphylétique.

M. Vallois, que nous avons vu si ferme sur le monophylétisme des races actuelles, reconnaît que la paléontologie est favorable à un polyphylétisme, mais qui pourrait être intérieur au groupe des hominidæ. Les phylums que nous voyons parallèles les uns aux autres pendant le quaternaire, se rattacheraient, dans le lointain du tertiaire, à une souche unique : humaine ou préhumaine. Une origine unique mais préhumaine n’est guère conciliable avec la donnée dogmatique du