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POLYGÉNISME. LE PROBLÈME


un terrain extrascientifique, mais finirent pas se restreindre aux considérations scientifiques. Nous distinguerons donc deux périodes :

l re période. — En 1655, paraissait, sans nom d’auteur ni d’éditeur, un petit volume : PræadamiUc sive Exercitatin super versibus 12, 13, 14, capitis v epistolse D. Puuli ad Romanos, quibus inducuntur primi homines ante Adamum conditi, suivi d’un Sysiema theologicum ex pricadarnitarum hypothesi. Le scandale dut être grand car, dès le 3e jour de 1656, l’évêque de Namur condamnait ce livre comme soutenant des doctrines de Calvin et contredisant l’enseignement unanime des Pères. C’était Isaac La Peyrère, un gentilhomme protestant de l’armée de Condé, qui lisait dans saint Paul que l’humanité avait été créée en deux fois : le sixième jour, les préadamites, d’où seraient sortis les gentils ; ensuite, après le repos du septième jour, Adam et Eve qui auraient eu les juifs pour descendants. Par la suite, La Peyrère se convertit au catholicisme et se rétracta. Voir les art. La Peyrère et Préadamites.

Dans l’introduction à l’Essai sur les mœurs, oltaire, en vue d’attaquer la Bible, écrivait : « Il n’est permis qu’à un aveugle de douter que les blancs, les nègres, les albinos, les Hottentots, les Lapons, les Chinois, les Américains soient de races entièrement différentes. » Par « races », il entendait des espèces et suggérait le polygénisme.

En lb44, M. Calhoun, ministre des Affaires étrangères aux États-Unis, essayait de justifier l’esclavage en soutenant que le nègre et le blanc n’appartiennent pas à la même espèce.

2e période. — La science des êtres vivants fait de rapides progrès ; on s’efforce de les ranger dans une classification. Mais les esprits se divisent suivant les principes qu’ils adoptent pour grouper les êtres et séparer les espèces les unes des autres, comme nous le verrons en posant le problème de l’espèce. On peut distinguer trois phases dans les discussions entre monogénistes et polygénistes.

l’e phase. — Étudiant ce qu’on appelait les races actuelles : blanche, jaune, noire et rouge, certains natuialistes veulent y voir des espères. C’est l’avis de Yirey, Desmoulins, Bory de Saintincent, Gerdy, en France, de Morton, Nott, Gliddon, en Amérique. Leurs adversaires monogénistes sont d’une tout autre notoriété ; à la suite de Buflon, Linné, Lamarck, ce sont : Cuvier, Blainville, les deux Geoflro-Saint-Hilaire, lUùller, Humboldt et surtout de Quatrefages.

2e phase. — Le transformisme avait été plutôt favorable au monogénisme ; voilà qu’au xxe siècle il donne occasion à certains naturalistes de soutenir le polygénisme, en faisant descendre les diverse s races humaines actuelles, de diverses espèces de simi us.

3e phase. — La découverte d’une humanité préhistorique montra des squelettes si différents de ceux des hommes actuels, que plusieurs paléontologistes arrivèrent à compter au moins deux espèces d’hommes qui n’auraient d’autre parenté qu’une descendance plus ou moins lointaine, humaine ou préhumaine, mais à partir d’ancêtres purement animaux. Nous serions Vhomo sapiens, spécifiquement distinct de Yhomo Keanderthalensis, et peut-être de quelque autre homo encore mal connu ou à découvrir.

Nous reviendrons en détail sur ces théories scientifiques ; mais nous devons, au préalable, dire quelques mots de ce qui explique leur formation et qui permet de les juger, c’est-à-dire du problème de la détermination des espèces dans le monde des vivants.

II. Le problème de l’ « espèce ». — On appelle « espèce » le groupe des individus qui sont essentiellement semblables entre eux et ne présentent que des différences accidentelles, tandis qu’ils sont essentiellement dillérents des individus des autres groupes.

Il faut distinguer des espèces métaphysiques et des espèces scientifiques ou physiques. Un métaphysicien dira : les esprits sont essentiellement différents des corps ; la pensée est essentiellement différente du mouvement ; la raison est essentiellement différente de l’expérience. La philosophie met ainsi une ligne de démarcation absolue entre ces espèces ; non pas que l’une soit la négation de l’autre (l’être n’est pas contradictoire avec l’être ; les êtres les plus différents sont comme fondus dans la simplicité de l’être infini qui les contient tous d’une manière éminente) ; mais l’un est irréductible à l’autre, leur limite est infranchissable.

Le savant qui étudie le monde matériel ne peut pas pénétrer à de pareilles profondeurs. Le chimiste ne peut pas établir que l’oxygène et l’azote sont deux corps simples, rigoureusement irréductibles ; il est fort possible, et, depuis les dernières découvertes, il est fort probable qu’ils sont l’un et l’autre composés des mêmes éléments combinés dans des proportions et dans un ordre différent. De même, le botaniste et le zoologiste ne peuvent mettre, entre les espèces de vivants, que des cloisons incomplètes et provisoires.

Comment définir une espèce animale ? C’est, avait-on dit, l’ensemble des individus qui se ressemblent entre eux plus qu’ils ne ressemblent aux individus des autres groupes. Le naturaliste n’ose pas employer le mot « essence », ou, s’il l’emploie, lui donne un sens beaucoup moins profond que celui du métaphysicien. Mais cette définition s’inspire de celle que nous avions donnée tout d’abord.

Quand on veut s’en servir, les difficultés surgissent de toutes parts. Un chien-loup ressemble à un loup bien plus qu’à un bouledogue et, cependant, on le considère comme appartenant à la même espèce que le bouledogue et n’en étant différent que par la race. Les morphologistes qui veulent classer les vivants uniquement d’après leurs formes, ont eu des mésaventures : il est arrivé à l’un de mettre en deux espèces distinctes le mâle et la femelle, à un autre d’y placer les deux états d’un animal à métamorphoses.

A la considération de la forme, il a fallu, non pas substituer, mais ajouter celle de l’origine, tenir grand compte du phénomène si important de la reproduction et de ses effets.

Le petit d’une bête est de la même nature, de la même espèce que sa mère ; les petits d’une même mère sont également de la même espèce. Il y a entre eux à la fois parenté et ressemblance. Comme entre une cause et un effet, la parenté produit et explique la ressemblance ; la ressemblance révèle et prouve la parenté… La réalité est moins simple. Les enfants ont entre eux et avec leurs parents beaucoup de ressemblances, mais aussi des différences. Celles-ci sont plus ou moins profondes ; rien ne permet de leur préciser une limite infranchissable. Inversement, des causes extérieures peuvent amener des ressemblances qui feraient croire à la parenté là où il n’y en a pas.

Et, cependant, nous ne pouvons déterminer une espèce par le fait empiriquement constaté de la reproduction que pour un nombre fort restreint de vivants actuels. Pour tous ceux que nous n’avons pas vus naître, nous ne pouvons que dire : « Ils se ressemblent, . donc ils sont de la même espèce, et, si leur espèce vient toute d’un premier individu ou d’un premier couple, ils sont tous parents. »

Or, on a constaté un fait assez déconcertant au premier abord, ce qu’on a appelé une » mutation » : des graines d’une plante donnent d’autres plantes, fort différentes de la plante mère, et d’un type nouveau très caractérisé et très stable. La vie aurait comme des explosions. Après une succession régulière de formes semblables, apparaît soudain une forme nouvelle. Il semble que des virtualités cachées se sont accumulées