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POLITI. OPINIONS THÉOLOGIQUKS SINGULIÈRES


commentateurs de saint Thomas, même de Cajétan, est délibérément scotiste sur certains points, toujours les mêmes, où s’attache sa pensée. Mais est-il, comme on l’a dit. un scotiste qui fut le père du molinisme. En tout cas, c’est une opinion reçue qu’Ambroise Catharin était « lu moins un pré-moliniste.. Il faut s’attacher à nuancer, à amenuiser cette opinion ; car il demeura toujours chez Ambroise Catharin un fonds de thomisme et même d’augustmisme. C’est plutôt par des questions de vocabulaire, par l’emploi de certains terme ; —, comme prédestination », dans un sens tout à fait spécial qu’il donnera le plus prise au développement de la pensée moliniste et aux références apparentes que le molinisme pourrait trouver dans certaines de ses formules, préalablement détachées de leur contexte augustinien.

On définit communément la théorie de la prédestination selon Ambroise Catharin comme un compromis bien étrange entre l’ancienne opinion augustinienne et les opinions nouvelles qui vont avoir plein cours à l’époque du concile de Trente et surtout après le concile. On considère volontiers que l’opinion d’Ambroise Catharin, malgré des concessions faites encore à l’ancienne thèse dominicaine, n’est pas une doctrine moins personnelle que celles qui vont être admises dans les temps modernes, en particulier parmi les théologiens de la Compagnie de Jésus. L’opinion ancienne ne paraîtrait en effet vraie à Catharin que pour une catégorie exceptionnelle d’hommes peu nombreux. En somme, Catharin étendrait à tout l’ensemble de la race humaine, quelques privilégiés mis à part, une doctrine analogue à celle de Molina. Ainsi, selon notre théologien, l’humanité se diviserait en deux catégories distinctes. D’un côté seraient ceux que Dieu élit et prédestine d’une manière spéciale. Ceux-là recevraient des grâces si fortes qu’elles ne sauraient manquer d’opérer leur elïet, sans que, néanmoins, les bénéficiaires de ces secours divins y perdent leur dignité d’êtres libres. Cette grâce — d’une prédestination augustinienne et traditionnelle, et qui pourra sembler parfois quelque peu janséniste avant la lettre — serait, selon Catharin, réservée seulement à un tout petit nombre : Vierge, apôtres, saint Paul, etc. Cependant, l’opinion de Catharin n’irait pas — comme une thèse ancienne dans l’Eglise qui sera reprise dans le jansénisme — à limiter le nombre des hommes finalement admis à la béatitude céleste. Outre ce que l’on pourrait nommer le petit nombre des » élus de la première catégorie, du premier choix divin », Ambroise Catharin ferait de la grande majorité des hommes ce que l’on pourrait nommer le grand nombre des appelés. Ceux-là ne seraient pas appelés au paradis par un décret immuablement et nécessairement opérant de la Providence. Mais le ciel ne leur serait pas fermé par une réprobation préjugée, tout à fait inadmissible parce qu’indigne de la bonté divine. Ainsi, à la plupart des hommes, latitude serait laissée. Leur salut serait suspendu à l’exécution d’une clause, à un quasi-contrat humanodivin : à savoir le bon ou mauvais usage que l’homme peut faire des grâces que Dieu lui a confiées. A en croire les historiens superficiels des doctrines théologiques, les grâces ainsi con fiées aux hommes seraient, dans la pensée de Catharin, comme des talents dont Dieu se détacherait. Ce serait le rôle du libre arbitre humain responsable d’enterrer ces talents ou de les faire fructilier, de se précipiter en enfer ou de monter au ciel, selon le souhait bienveillant que Dieu ne peut manquer de faire pour tous les hommes. Si Catharin pensait ainsi, il est bien évident que, sans l’assimiler directement à un moliniste partisan de la science moyenne, on ne pourrait manquer de voir dans sa doctrine le germe proprement dit de ces thèses largement humaines ou plutôt de ces humanismes théologiques,

qui causeront bientôt de grandes disputes au temps de lianes et de Molina.. Il y a même plus. Si Catharin prétend rester essentiellement thomiste, c’est que, avant le développement spécial donné par Banès à la doctrine de saint Thomas sur la grâce, un thomiste au moins d’intention, comme Ambroise Catharin, pouvait tirer de la lecture des I ex les du maître toutes sortes de spéculations incompatibles avec cette prémotion divine physique à laquelle tiendront tant les commentateurs plus modernes. Il y aurait donc peut-être une réserve à faire sur la manière dont ces derniers ont interprété la pensée de saint Thomas, encore qu’un Cajétan, antérieur à Catharin, soit bien dans la ligne du quasi-monisme de la prémotion physique. Il est vrai que l’on pourra toujours dire que Cajétan, commentateur de saint Thomas, n’est pas saint Thomas.

Mais peut-on s’en tenir à l’interprétation habituelle de la doctrine d’Ambroise Catharin telle qu’elle est, un peu partout, exposée sommairement ? Les textes proprement dits de Catharin-Politi sont trop formels. Il se rallie sur la motion divine universelle immanente en tous détails des choses non seulement à la lettre de saint Thomas dans la I rc partie de la Somme théologique, mais au commentaire de Cajétan, q. xiv, a. 13. A cette question : Utrum scientia Dei sit fulurorum contingentium ? avec saint Thomas lui-même, il répond : …manifestum est quod contingentia infallibiliter a Deo cognoscuntur, in quantum subduntur divino conspeclui secundum suam præsenlialilalem ; et tamen sunt futura contingentia suis causis proximis comparala. Pour Catharin, comme pour Cajétan et Thomas d’Aquin, la cause de cette prescience absolue de Dieu, ou plutôt de cette science universelle et universellement présente de Dieu, est que la science de Dieu est cause de tout, que ce qui advient soit contingent ou non contingent. Sur cette thèse d’un thomisme largement augustinien (et nous pourrions même dire : pré-banésien) qu’il fait ainsi sienne, Catharin s’explique tout au long ; et, en une matière aussi controversée, il ne sera peut-être pas inutile de reproduire son témoignage de thomiste antérieur à 13anès :

Placet ergo ut non dicamus pnescientiam Dei, sed tantum scientiam, hsec Augustinus. Thomas autem qui et hoc idem perspicacissime vidit, similem doctrinam his verbis perstringit. « Considerandum est quod contingens potest dupliciter considerari, uno modo in seipso secundum quod jam est in actu, et sic non consideratur ut futurum, sed ut præsens, neque ut ad utrumlibet contingens, sed ut determinatum ad unum, et propter hoc sic infallibiliter subdi potest certae cogiiitioni, utpote sensui visus, sicut cum vidfo Sicratem sedere ; alio modo considerari potest contingens ut est in sua causa, et sic consideratur ut futuîum et ut contingens nondum determinatum ad unum quia causa contingens se habet ad opposita et sic contingens non subditur per certitudinem alicui cognitioni. Unde quicumque cognoscit effectum contingentem in causa sua tantum, non habet de eo nisi conjecturalem cognitionem. Dcus autem cognoscit omnia contingentia, non solum piout sunt in causis suis, sed ctiam prout unumquodque eorum est in actu in semetipso. Et licet contingentia fiant in actu successive, non tamen Deus successive cognoscit contingentia, prout sunt in suo esse, sicut nos, sed simul. « piia sua cognitio mensuratnr seternitate sicut eliain suum esse. ACternitas autem tola simul existens anihit totum tempus. t’nde omnia quæ sont in tempore sunt Deo ab aîterno pra"sentia, quia e.jus intuitus fertur al) reterno super omnia prout sunt in sua prsesentialitate. t’nde manifestum est quod contingentia et infallibiliter a Deo cognoscuntur in quantum subduntur divino conspectui secundum suam præsentialitatem ; et tamen sunt futura contingentia suis causis comparata. » Opuscula, p. 19-20.

De la part de Dieu, il existe donc, selon Catharin, une prémotion physique absolue en tout acte de l’homme, ou plutôt, puisque notre théologien entend