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POLITI. LA CONTROVERSE A NTIEUTIIÉ R I E N NE


largement les compétences du théologien célèbre, son ancien maître. Lancelot Politi fut nommé Ambroise Catharin pour placer sa vie religieuse sous les patronages du bienheureux Ambroise Sansedoni et de sainte Catherine, tous deux appartenant à Sienne et à l’ordre des frères prêcheurs. Il avait été continué dans sa foi et amené à sa sympathie envers les dominicains par la lecture de Savonarole et eu particulier du Triomphe de la croix. Le talent qu’Ambroise Catharin déploya dès son arrivée dans l’ordre, l’étendue de son savoir, une véritable maturité déjà acquise le tirent désigner par ses supérieurs, dès son noviciat, pour les travaux de théologie controversiste contre les luthériens. Il convient de signaler cette orientation décidée des autorités de l’ordre de Saint-Dominique contre les opinions de Luther dès la première période de leur apparition. Ambroise Catharin. sur l’injonction de ses supérieurs, aura rédigé son premier ouvrage contre Luther dès avant 1521. Il se trouvera être, concurremment avec un théologien dominicain alors réputé, Priérias (voir l’art. Mazolini), un de ceux qui dénonçaient avec violence Luther comme fauteur d’hérésies à des titres multiples. Son cas est important en ce qu’il nous permet de fixer la rapidité avec laquelle les théologiens traditionalistes, fussent-ils comme Catharin assez aventureux d’opinions personnelles, voyaient en Luther un ennemi, bien avant le développement, alors imprévisible, de l’extraordinaire destinée historique du moine augustin allemand. F. Lauchert, Die italienischen literarischen Gegncr Iuithers, p. 30-133.

Voici les caractéristiques des premiers travaux d’Ambroise Catharin contre Martin Luther, puis contre Bernardin Ochin passé aux opinions luthériennes. 1° Ad Carolum Max. imperatorem et Hispanianini regem F. Ambrosii Catharini 0. P. apologia pro veritale catholicm et apostoliae fldei de doctrina adversus impia ac valde pesli/era Martini Lulheri dogmata, Florence, décembre 1520, 192 pages in-folio. L’auteur reproche à Luther diverses thèses erronées sur la primauté du pape dans l’Église, les indulgences, le sacrement de pénitence, le purgatoire. — 2° Excusalio disputationis contra Lutherum ad universas Ecclesias, Florence, 1521, in-4°. — 3° Plus de seize ans après (c’est du moins ce que dit Ambroise Catharin, mais ce point lui a été contesté, comme beaucoup d’autres), à propos de l’agitation luthérienne causée en Italie par Bernardin Ochin, Catharin s’en prit à ce dernier, renouvelant contre lui sa polémique antiluthérienne qu’on avait jugée favorablement parmi les catholiques, spécialement chez les dominicains. D’où son Spéculum hæreticorum contra Bernardinum Ochinum, Borne, 1537 ; édition revue et augmentée en 1541.

Mais, au lieu de se plonger davantage dans de simples besognes de controverse, Ambroise Catharin s’efforça de construire un système cohérent de théologie. Il s’y essaie déjà dans ce que le langage du temps appelle des opuscules », mais qui sont en réalité des travaux originaux, d’une portée et d’une étendue assez considérable : De peccato originali et casu hominis…, De perfecia ju&lipcatione a fide et operibus… Il va sans dire que, dans ce qu’elle acquiert déjà de personnel et qui s’amplifiera en de nouveaux labeurs, en de nouvelles instances, Catharin se trouve construire sa pensée, moins dans les conditions d’une objectivité pleinement détachée, que dans la spontanéité passionnée d’une réaction pleinement sincère et toute personnelle contre le luthéranisme. Autant il était nécessaire de constater qu’avec ses premiers travaux de polémique Ambroise Catharin témoignait de la promptitude de l’orthodoxie dominicaine contre les thèses luthériennes, autant il est nécessaire de faire remarquer que, tout de suite, les réactions doctrinales qui lui sont personnelles entrent déjà dans la menta DICT. DE TIIÉOI.. CATHOL.

lité <h’la théologie qui sera propre à la période de la contre-réforme catholique. Cette ressemblance des premiers écrits de Catharin avec la littérature théologique qui va commencer est beaucoup plus grande que la ressemblance de ces écrits avec les préoccupations spéciales aux âges précédents. On n’était pas alors troublé par les nouveautés de Luther. On s’en était alors tenu assez communément à une mentalité augustinienne, en particulier chez les thomistes. D’ailleurs, Luther peut être considéré comme ayant finale ment exagère cette tendance augustinienne, d’oil le sens contraire de la réaction qui devait survenir.

Pendant un certain temps, Catharin semble vivre en France..1. Schweizer, grâce à des allusions de ses livres, suit sa trace à l’aris, Toulouse et Lyon entre 1532 et 1538. Après un voyage à Rome en 1538-1539, Catharin retourne en France jusqu’en 1513. On peut penser que, fréquentant les facultés de théologie que guettent les infiltrations luthériennes, il milite vivement pour les thèses traditionnelles..1. Schweizer, Ambrosius Catharinus Politus, p. 62-122.. Il manifestait déjà dans cette période de sa vie intellectuelle une grande liberté de pensée et d’allure. Mépris inconscient ou humilité plus consciente, il rejettait les offres de titres et de chaires officielles, qui lui étaient faites dans son ordre et dans l’Église. Échard, Scriptores, t. ii, p. 1 13. On le dirait tout occupé du grand travail de détachement doctrinal qui se produit en lui. Il est en train de s’éloigner en effet de ce haut « monisme » théologique qui caractérise, avec la primauté de saint Augustin, la longue tradition médiévale. Le maître général des dominicains et célèbre théologien, Cajétan, aux confins de l’averroïsme padouan, avait plus encore que d’autres reçu et exalté cet augustinisme traditionnel, si compatible avec l’apport doctrinal d’Albert le Grand et de Thomas d’Aquin. Cajétan est peut-être un peu tenté de se représenter le monde comme une machine bien réglée où Dieu préside et où le premier moteur divin fait marcher sans heurt toutes choses. Mais ne serait-ce pas fournir de loin un argument à l’hérésie nouvelle de Luther ? Ainsi pense Catharin qui publie à Paris, en 1535, des Annotationes in excerpta quædam de commentariis R. R. cardinalis Cajelani S. Sixti dogmata… Le voilà très indépendant du célèbre thomiste Cajétan. Certes, il ne sacrifie pas pour cela à un humanisme paganisant. Il voit dans les facilités littéraires, doctrinales et morales de l’érasmisme le germe des gauchissements théologiques de Luther. Il reste ce que les humanistes païens appelaient un « théologastre » ; et il écrit en propres termes dans son livre : Erasmus planlavit, Lutherus rigavil, diabolus autem inerementum dédit. On a reproché à tort à Ambroise Catharin d’être trop novateur dans ses théories personnelles et, au lieu de mettre l’accent sur la toute-puissance de Dieu, comme font des thomistes traditionnels pour ce qui touche la grâce, la justification et le péché, de s’être employé à accélérer le panégyrique des grandeurs et responsabilités merveilleuses de la liberté morale de chaque homme. Sans doute, dans l’éclectisme philosophique qu’il se met à adopter, Catharin ne verra parfois pas de difficultés à pousser le pluralisme libertaire jusqu’à un nominalisme décidé..1. Schweizer, Ambrosius Catharinus l’alitas, p. 235. Chaque homme deviendra si libre et autonome qu’à leur t<, ur les êtres de la nature paraîtront chacun différer de leur espèce.

Cependant, il faut bien marquer que la réaction antiluthérienne d’Ambroise Catharin ne s’étendra jamais, nous U’verrons, jusqu’à être une réaction contre un augustinisme, qui, dans ses thèses modérées et fonda mentales du moins, avait constitué l’armature essen lielle de la théologie traditionnelle et l’orthodoxie catholique depuis plus de mille ans. Si l’on pouvait

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