Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.2.djvu/483

Cette page n’a pas encore été corrigée

2401.

PLETHON

2402

qui ne vise d’ailleurs, et ne peut viser, qu’au meilleur possible dans le monde. Quel est le sort de la liberté dans ce mouvement nécessaire ? Si la liberté, dit Pléthon, consiste dans l’indépendance complète, l’homme n’est pas libre et les dieux non plus, car ils se trouvent dans un enchaînement nécessaire et dépendent tous de Zeus ; mais l’homme est libre si, et c’est le fait, la liberté consiste dans la pratique et poursuite du bien, même sous la domination d’un autre. L’homme n’est donc libre que quand il est bon et il n’est méchant que malgré lui, car la méchanceté est la volonté du mal qui, au fond, est contraire à la nature. Mais alors pourquoi les châtiments ? Ils sont imposés par les dieux dans une intention de bonté, afin de ramener le délinquant au degré d’être et de bien qui lui convient sur l’échelle des êtres.

Ces châtiments, la législation pénale pléthonienne les veut sévères : les crimes contre nature, l’adultère, l’inceste, le viol conduisent le coupable droit au bûcher et, par un excès d’indulgence sans doute, Pléthon ne punit que par le feu les sophistes qui résistent aux doctrines de la nouvelle religion (par sophistes, Pléthon entend, presque toujours, les chrétiens).

La procédure criminelle, plus indulgente, semble faite pour tempérer ces violences et le synédrion d’archontes ne peut condamner qu’à la majorité des voix ; souvent, d’ailleurs, le passé du délinquant sera un motif suffisant d’absolution.

3. Liturgie.

Fondateur de religion, Pléthon ne pouvait négliger la liturgie. Elle occupe une large place dans le système, et, de ce qui nous reste et des titres des chapitres, nous pouvons conclure que toute une organisation religieuse était prévue. Si nous ignorons l’importance du sacerdoce, Lois, i, 22, nous savons que le prêtre présidait les assemblées et dirigeait la prière, iii, 36, qu’il servait même de directeur de conscience pour des cas plus exceptionnels, iii, 31. La vie monastique, tant abhorrée par Pléthon, ne trouva pas place dans la religion nouvelle. Par contre, elle prescrivait des sacrifices, iii, 37-39, le jeûne, iii, 36, l’examen de conscience à la fin du mois et même la confession, iii, 31, enfin le culte des morts, i, 26, 27. Au chapitre des jugements, iii, 31, le lecteur attentif surprend une allusion à une espèce d’excommunication, imitation grossière des usages chrétiens (Lspcôv <ru[i.Tt ! xvTcjv sïpYeaOaa).

Les prescriptions relatives au culte occupent une bonne partie du Traité des lois, i, 4, 21 ; iii, 33-40. Ce culte consiste, en grande partie, en prières faites en assemblée commune par le prêtre, ou, à son défaut, par le plus notable de l’assistance. D’après les spécimens que les fragments nous ont conservés, elles sont en prose ou en vers ; les premières, plus longues, à contenu d’ordinaire dogmatique, les deuxièmes, plus courtes, sont chantées sur des modes différents selon les jours, iii, 36, car.Gémistos grand pontife, a tout prévu et le calendrier pléthonien, i, 21, remarquable par son originalité et sa symétrie, a mérité l’attention des spécialistes.

Point de vue historique de cette doctrine.

Quand

on parcourt les œuvres proprement philosophiques de Pléthon, celles surtout qui l’opposèrent à Aristote, on n’est pas sans surprendre, à travers les reproches acerbes adressés au Stagirite, une pensée, quoique voilée, d’antichristianisme. L’on reproche parfois à Scholarios d’avoir été guidé, dans ses luttes antipléthoniennes, par des préoccupations purement apologétiques ; Scholarios avoue, en effet, lui-même, avoir plus attaqué le but poursuivi par Gémistos que défendu Aristote et son système philosophique. Lettre à l’exarque Joseph, P. G., t. clx, col. 633 B. Mais, quand on regarde de plus près, l’on constate que ces adversaires tombent d’accord sur un point capital, le fait de l’alliance d’Aris tote avec la religion chrétienne. Pour l’un comme pour l’autre, il est acquis qu’attaquer les doctrines d’Aristote c’est attaquer l’Église, et les attaques antipéripatéticiennes de Pléthon ne peuvent se concevoir que comme une attaque contre l’Église.

Pourquoi donc cette hostilité ? Moins qu’à tout autre l’agonie de l’empire byzantin ne pouvait échapper à Pléthon. Mais, tandis que, pour d’autres, le salut ne pouvait venir que de l’Occident et d’une alliance achetée au prix d’un compromis religieux, Pléthon s’attacha avec force aux espérances d’une nouvelle réorganisation sociale du pays. Déjà en 1415, n’avait-il pas, dans son mémoire à l’empereur, préconisé des mesures qui rappellent d’assez près les conceptions modernes sur la nationalisation de l’armée, du commerce, de l’agriculture, de toute la vie du pays ? La décadence manifeste de l’empire réveilla dans son âme toutes les résistances nationales et son génie se leva avec force contre tous les éléments étrangers. Devant la décadence du sentiment religieux, suite des circonstances et de l’incurie des chefs ecclésiastiques d’Orient, il ne sut pas distinguer entre l’Église et l’autorité exercée dans l’Église, et le christianisme fut classé parmi les éléments étrangers dont l’empire avait jusqu’ici vécu mais dont aussi, selon lui, il se mourait. Dans ses luttes contre le christianisme, préparatoires aux doctrines nouvelles, sa tactique consista à opposer Platon à Aristote. Il connaissait d’ailleurs assez l’histoire pour savoir que les grandes luttes intellectuelles contre l’Église avaient jadis été entreprises au nom de Platon par des coryphées tels que Porphyre, Plotin, Proclos, et que, en plein xie siècle, les réactions patriotiques, qualifiées d’antichrétiennes, de Psellos, Jean Italos et des autres s’étaient étayées sur la philosophie platonicienne.

Il va sans dire que l’organisation nouvelle ne pouvait que porter un caractère national. Pléthon présenta en effet son système sous ces couleurs et, comme pour lui prêter une solidité quasi éternelle, il l’imagina dérivé de la pensée antique à travers les sages et à travers les oracles : c’est un courant de pensée riche, jailli des sources les plus reculées de l’antiquité, soigneusement dirigé par les brahmanes des Indes, les mages de Médie, le grand philosophe Zoroastre et toute cette pléiade de sages dont le sol de la Grèce a été si prodigue ; et, n’étaient les sophistes, c’est-à-dire les chrétiens, ce courant serait parvenu jusqu’à nous après avoir vivifié tous ceux qui nous ont précédés. Scholarios a reproché à Pléthon d’avoir donné Zoroastre comme un couvre-nom, dans le but de dissimuler des doctrines inspirées d’ailleurs. P. G., t. clx, col. 639 BC. Il est improbable, en effet, que Pléthon se soit mis à l’école du philosophe perse ; l’examen de son système nous conduit, au contraire, à d’autres sources et nous savons qu’outre Platon et Aristote, Gémistos fréquenta Plutarque, Alexandre d’Aphrodisias, Ammonius, Asclépius, Damascius, Simplicius, Jean Philopon et principalement le grand maître de l’école d’Athènes Proclos, qu’il n’étudia d’ailleurs que transposé en Psellos, le philosophe du xie siècle.

On s’est demandé (F. Tæschner, Georgios Gémistos Pléthon, dans Der Islam, t. xviii, 1929, p. 236-243, et Byz. Neugr. Jahrbuch. t. viii, 1930-1931, p. 100-113) si la naissance et l’évolution de cette idée antichrétienne chez Pléthon n’était pas due à une influence musulmane, par le mouvement des confréries qui, très intense alors, battait en brèche toute religion positive et à contenu dogmatique. Pléthon se défend explicitement de toute influence de théories ou doctrines nouvelles, Lois, i, 2, et il semble répugner eh effet que, se posant en défenseur de la patrie, il ait puisé chez ses ennemis les principes de la défense nationale : mais le fait d’une influence indirecte et inconsciente