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PLATONISME DES PÈRES. CONCLUSIONS


Dei, VIII, v-vin, t. xli, col. 229 sq. Dans la ligne des spéculations proprement philosophiques sur l’union à Dieu, les présupposés qu’elle exige et les dispositions qui y préparent, la nostalgie de la vie qui demeure, le désir de la lumière, une recherche de la vérité intimement unie à l’amour de la beauté morale, le néoplatonisme fut l’excitant le plus efficace que la pensée grecque ait inventé, un témoignage de l'âme naturellement religieuse et du noble idéal qu’elle peut concevoir, laissée à ses propres forces.

Sur les sommets de la métaphysique où il aime à se jouer, il a trouvé ou fixé des formules définitives, pour exprimer la simplicité, l'éternité, l’immensité divine, formules qui apparaissent définitives, surtout quand on les détache d’un contexte où l’exagération de la transcendance 'confine à l’agnosticisme.

2° Et cependant, comme Harnack le notait, le platonisme a été plutôt un esprit qu’un corps de doctrines. Il a fait briller une grande lueur, mais, dans cette lueur, peu d’objets distincts.

Il enseignait que la vie est faite pour gagner Dieu. On voit bien le but, gémit Augustin, mais où est la route ? Nous ne sommes pas emprisonnés dans ce monde qui passe, car la cime de notre âme est apparentée avec Dieu. Noble pensée, exaltante ; mais quelle est donc la nature de l'âme ? Sur ses relations avec l’au-delà, s : i préexistence et sa chute, sur la manière de comprendre le problème du salut et celui de la purification, la vie religieuse et morale, la séparation de la matière, l’illumination, la vision du monde intelligible, quand on demande des précisions, les obscurités surgissent. Cela est vrai surtout de Platon ; mais lorsque, dans le platonisme postérieur, la doctrine se fit plus systématique, ce fut dans une ligne où le plus souvent des chrétiens ne pouvaient s’engager. Et si, malgré tout, certains voulurent le prendre comme guide pour explorer le dogme, surtout lorsqu’ils essayèrent de retrouver chez lui la vérité révélée, ce ne fut pas sans compromettre l’intégrité de la foi.

3° Le rôle des apologistes du dehors se borne à préparer les voies au christianisme ; ils renversent quelques obstacles ; ils créent une sympathie. On peut les suivre jusqu'à la porte, mais là il faut les abandonner ; ou, si l’on persiste à les écouter, une fois entré, ce doit être à condition de contrôler tout ce qu’ils disent en s’en référant au seul maître infaillible. Cf. saint Thomas, In Boelh. de Triait., q. ii, a. 3. Sinon, après avoir été un secours, ils deviennent un danger. Ce fut le sort du platonisme. « Je regrette de bonne foi, écrit Tertullien, que Platon ait été l’assaisonnement de tous les hérétiques. » De anima, 23, P. L., t. ii, col. 729 A. Le regret ne manque pas de saveur sous la plume du farouche polémiste ; malgré tout, la sentence reste sévère, trop môme. Disons, pour être juste, que le platonisme a rayonné sur plusieurs hérésies un peu de son noble idéalisme, la séduction de son incomparable poésie, le pouvoir magique de ces « grands mots » que Grégoire de Nysse reprochait à Eunomius de lui emprunter pour tromper le bon peuple fidèle.

Dès les premières spéculations sur le Verbe, il a été une tentation de subordinatianisme pour les apologistes et les alexandrins. Quand il pénètre, le dogme trinitaire perd de sa netteté ; quand il domine, cel li-ci risqua d'être supplanté. Dans les controverses christologiques, sa psychologie prépare l’apollinarisme et le monophysisme. Les théories sur la capacité naturelle de l'âme à l'égard de l’union à Dieu ont fait pencher de façon inquiétante vers le panthéisme des imitateurs trop complaisants. A toutes les époques, le mépris exagéré de la matière et la tentative illusoire de se séparer de tout ce qui est sensible ont séduit bien des

faux mystiques et laissé parfois quelques traces chez les vrais. La piété chrétienne était menacée par la conception d’une vie intérieure exclusivement contemplative, où il n’y avait place ni pour l’humilité, ni pour la vraie liberté des âmes.

4° On ne peut donc parler du « platonisme des Pères)., qu’en faisant de nécessaires distinctions. Ce serait une erreur non seulement de prétendre qu’ils ont retrouvé, dans le platonisme, tout ou partie des doctrines révélées, mais encore de croire que le platonisme se présentait à eux comme la seule philosophie capable de s’accorder avec le dogme, auquel il s’opposait, au contraire, par ses tendances profondes. En effet, que le Verbe se soit fait chair, que la Vérité se soit rendue palpable et visible à des yeux corporels, cela, pour un platonicien, ne pouvait être que folle rêverie et c’est le dogme fondamental du christianisme ; comment le mystère de Dieu pouvait-il se révéler aux hommes par l’intermédiaire d’un Verbe incarné, si la recherche même de la vérité suppose, comme condition indispensable, la séparation de la matière et du corps ? Ce qu’il y a de plus chrétien est aussi ce qu’il y a de moins platonicien.

Mais, si l’on veut dire seulement qu’un certain nombre de nos docteurs ont subi fortement l’influence platonicienne, c’est un fait indéniable dont témoignent non seulement leur vocabulaire, mais plusieurs thèses de philosophie naturelle qui portent très nette la marque d’origine et, plus encore, une certaine tournure d’esprit idéaliste, un fonds commun de tendances et d’inquiétudes, qui leur donnent avec Platon et Plotin comme un air de famille. C’est en contribuant, plus que toute autre école, à créer cet état d’esprit, que le platonisme a exercé son action la plus efficace : il a été surtout une préparation des âmes, que souvent il a détachées et orientées, éveillant en elles le désir de Dieu et leur faisant ressentir de façon pressante le besoin d’une révélation. En ce sens, Pascal a raison : « Platon, pour disposer au christianisme ». Pensées, édit. Brunschvicg, n. 219.

I. I.E PLATONISME DES PËRES EN GÉNÉRAL. E. Vache rot, Histoire critique de l'école d' Alexandrie, 3 vol., Paris, 1840-1846 (t. iii, p. 1-84 : Du néoplatonisme cliez les Pères de l'Église) ; Gratry, Lettre à M. Vacherot, reéditée la même année sous le titre : Une étude sur la sophistique contemporaine, Paris, 1831 ; dans le même volume (p. 277), Réponse de M. Vacherot au journal « l’Univers », où il se défend de soutenu - cette thèse « désespérée (c’est un mot de J. Simon, repris par le P. Gratry), « que la doctrine chrétienne est une sorte de plagiat du néoplatonisme » ; D. Becker, Pas philosophische System Platos in seiner Beziehung zum christlichen Doqmi, Fribourg, 1862 ; J. Drseseke, Zum Plalonismus der Kirclienvàier, dans Zeilschrift jiir Kirchengeschiclite, t. vii, 1885, p. 132-141 ; Hatch, The influence of greek ideas and usages upon the Christian Church, 1890 ; G. Schmidt, Plotin’s Slcllung zum Gnosticismus und kirchlichen Christentum, dans Texte und Untersuchungen, nouv. série, t. v, fasc. 4, Leipzig, 1901 ; K. Krogli-Tonning, Essays. i. Platon als Vorldujer des Christentums, Kempten et Munich, 1906 ; P. Wendland, Die hellenislisch-rômische Kultur m ihrcn Beziehungen zu Judentum und Christentum, Tibingue, 1907 ; C. Elsee, Neoplatonism in relation to cliri.stiunity. An essay, Cambridge, 1908 ; C. Sauter, Der Xeuplalonismus, seine Bedeutung fur die antike und mittelall. Philosophie, dans Philosophisches Jahrbuch, t. xxiii, 1910, p. 183 sq. ; Cl. Bâumker, Die patrislische Philosophie, dans Kultur der Gcginuarl, éd. par Paul Hinneberg, Leipzig et Berlin, 1923, p. 264 sq.

II. Travaux particuliers et monographies.

Engelliardt, De Dionysio plolinizanle, Erlangen, 1821 ; A. Jahn, Basilius mnqnus plolinizans, Berne, 1838 ; B. Aube, Saint Justin, philosophe et martyr. Essai de critique religieuse, Paris, 1861 ; A. Jahn, S. Methodius platonizans, Halle, 1865 ; C. Siegfried, Philo von Alexandria als Ansleger des alten Testaments, léna, 1875, p. 303-399 ; G. Lœsche, De Augusiino plolinizanle in doctrina de Deo disserenda, léna, 1880 ; H. Bestmann, Origenes und Plotinos, dans Zeitschrijt fiir