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PLATONISME DES PÈRES. LA VISION DE DIKU

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dans cette image plus ou moins transparente, mais

toujours distincte de lui, qu’est l'âme purifiée. De beatitudinibus, orat. vi, P. G., t. xi.iv, col. 1269 C1272 B. Cf. les textes cités par Fr. Diekamp, Die Gotleslthre des heil. Gregor von Nyssa, p. 77-82 ; et saint Grégoire de Nazianze, Oral., xxviii, 3. P. G.. t. xxxvi, col. 29 AB.

Voir Dieu, ce peut être aussi, parfois chez les mêmes auteurs, tout autre chose. Cela consiste, dit encore saint Grégoire de Nysse. « en ce que celui qui lève son regard vers lui ne cesse pas de le désirer » ; « ne jamais trouver le rassasiement du désir, cela s’appelle voir Dieu vraiment ». De vita Moi/sis, P. G., t. xliv, col. -104 C. Pour saint Athanase. il s’agit, par la purification, de pénétrer la pensée des i théologiens ». et de comprendre ce qui leur a été révélé, Oratio de incarnalione Yerbi, P. G., t. xxv, col. 196, 197.

Sans doute, « voir Dieu », pour ces docteurs, ce n’est pas seulement cela, car ils parlent aussi d’une forme de contemplation plus élevée que la vision dans un miroir et en image ; il ne faut pas oublier pourtant qu’un vocabulaire sublime recouvre parfois d’humbles significations. Quant à la contemplation la plus haute — c’est elle qui doit nous retenir — a-t-elle ce caractère de connaissance immédiate qui est le propre de l’intuition et dans quelle mesure est-elle dépendante du platonisme ?

3° Les deux « visions de Dieu » chez Plotin. — Il faut insister sur un détail de ce qui a été dit plus haut : les philosophies néoplatoniciennes qui admettent audessus de l'âme plusieurs principes divins en hiérarchie ascendante, reconnaissent également plusieurs i visions de Dieu » plus ou moins parfaites. Dans les Ennéades où il y a trois hypostases divines, il peut être question, pour l'âme ou de voir l’Intelligence, qui est immédiatement au-dessus d’elle, ou bien, lorsqu’elle est spiritualisée et devenue elle-même Intelligence, de voir le premier Principe. Donc, deux espèces de contemplation, celle qui contemple l’Intelligence, c’est-à-dire le monde intelligible, les Idées, êtres véritables, immuables, éternels exemplaires des êtres sensibles et changeants ; et celle qui contemple l’Un, union parfaite et immédiate avec le Principe absolument simple de toutes choses.

Ces deux contemplations atteignent sans intermédiaire leur objet : dans le premier cas, l’Intelligence, à laquelle l'âme s’unit par sa partie supérieure qui est intelligence ; dans l’autre, l’Un auquel s’unit l’Intelligence par ce qui, en elle, est image et trace de l’Un qui l’a produite. C’est qu’en effet des êtres qui n’ont pas de corps ne sont séparés que par leurs différences. Lorsque la purification a fait disparaître ces différences, dès qu’ils se ressemblent, ils sont unis. VI, v, 2 ; VI, vii, 34, 35 ; VI, ix, 3, 4. 8. Plotin dit même qu’alors l’Intelligence et l’Un ne font plus qu’un : ëv èuTi ('ôa7Tsp xévTpM xév-rpov cruvâ'^aç. VI, IX, 10.

4° Souvenirs, chez les Pères, de la vision des idées divines ou du monde intelligible. — C’est parfois sous les espèces de la contemplation du monde intelligible, donc par l’effet d’un souvenir platonicien, que certains Pères décrivent la vision de Dieu, évidemment sans admettre que ce inonde intelligible soit un dieu de second rang.

Ainsi, selon saint Augustin, l'âme, adhérant à Dieu par la charité, contemple les Idées dont la vision la rend bienheureuse. Ces idées sont en Dieu, in ipsa mente Creatoris, puisqu’elles sont l’exemplaire de l’univers. Or, l'âme peut les contempler (intueri) par la partie supérieure d’elle-même, quand elle est sainte et pure : hiec asseritur illi visioni esse idonea. Par la pureté, elle s’approche de Dieu ; par la charité elle s’unit à lui ; lorsqu’elle lui est unie, elle est Illuminée et elle voit. IJb. de diversis qutestionibus

    1. LXXXIII##


LXXXIII, q. xi.vi.7Jc ideis, /'. /… t. xi„ col. 30 ; cf. De rcra religione, xxxi, .">7, I. xxxiv, col. 1 17.

La charité est un trait nouveau ; car Augustin l’entend tout autrement que le désir physique cl nécessaire des plaionici : mais il s’inspire d’eux, quand il parle de la vision des Idées divines, ou de la » forme immuable de la justice » que nous voyons en Dieu, De Triait, 1. VIII. c. ix, 13 ; t. IX, c. vii, 12, P. L., t. xlii, col. 960, 967, ou de ces « choses stables », de ces êtres vraiment véritables, qiiw verissime vera sunt , qui lui semblent parfois aussi présents, écrit-il à son ami Nébridius, qu’il l’est lui-même à lui-même. Epist.. iv, 2, t. xxxiii, col. 66. Où est donc la « vérité éternelle et immuable » dans laquelle se fait cette connaissance ? Elle nous dépasse, c’est sûr : ubi quæso, id videmus ?… in ipsa quie supra mentes noslras est, incommutabili verilale. Cf. De libero arbitrio, II, xiii, 36, t. xxxii, col. 1260. On peut dire de cette vérité ce que dit ailleurs AugusWn des raliones incorporales et sempiternx, qu’elles ne seraient pas immuables, si elles n'étaient supra menton humanam. De Trinit.. I. XIII. c. ii, 2, t. xlii, col. 999.

Et, pourtant, bien qu’elles soient au-dessus de nous, il y a quelque chose qui est nôtre et qui les atteint ; car nous ne pourrions pas secundum eas… judicare de corporulibus ; his nisi subjungeretur aliquid nostrum. De Trinitate, ibid. ; De diversis quæstionibus. i.xxxiii. q. i.iv. P. L., t. xi., col. 38. Ce « quelque chose », c’est notre intelligence, quand elle est illuminée.

Ces formules et d’autres semblables, dont les outologistes ont abusé, sont imputables à la persistance des descriptions plotiniennes de la vision des Idées dans l’Intelligence divine par l’intelligence de l'âme purifiée. Ce monde intelligible, pour Plotin aussi, est.la vérité essentielle, r ôvtwç àX/jŒiot. V, v, .2. Pour Plotin aussi, c’est quand l'âme contemple le inonde intelligible qu’elle possède ses idées, V, i, 3 ; V, i, 11, quand elle est devenue voûç, olov vow6eïcr7. xal èv -roi totco) tô> voyjtû yevo|j.év/j. VI, vii, 35. Remarquer chez Augustin des expressions comme : veritatem fixam, stabilem, indeclinabilem, ubi sunt omnes raliones rerum omnium creatarum, Scrm., cxli, 1 : vidi qualicumque oculo animée meæ, supra eumdem oculum anima' meee, supra mentem meam, lucem Domini incommutabilem… Qui novit veritatem, novit eam, Conf., VII, x, 16 ; in Mo vero mundo intelligibili. quamlibet parlem lanquam tolum pulchram esse atquc perjectam. De ordine, II, xix, 51.

Sous l’influence de ces idées, Origène disait De princ, II, xi, 7, P. G., t. xi, col. 247 A ; Koetschau. p. 191, 1. 20 en note : Cumque in tantum profecerimus ut nequaquam carnes et corpora, forsitan ne anima' quidem fuerimus, sed mens et sensus ad perfectum veniens, nulloque perlurbalionum nubilo caligans, intuebitur rationabiles intelligibilesque substantias jacie ad jaciem (selon la version de saint Jérôme, Ep. ad Avitum, vu) ; cf. De princ, II, viii, 3, ibid., 221 A ; et Plotin, Enn., VI, vii, 34, 35. Lorsque l’homme n’est plus chair et corps, il faudrait même dire lorsqu’il n’est plus âme mais esprit purifié, il voit face à face les substances intelligibles.

Augustin, certes, ne disait pas cela. Il ne faut pas oublier non plus qu’il enseignait qu’on peut connaître Dieu par ses œuvres, comme ex arte arlificem, Serm.. cxli, 2, t. xxxviii, col. 776, que l’immuable vérité, on ne peut la voir naturellement, si ce n’est comme les philosophes de ce siècle, de longinquo, enfin que. même surnaturelle et issue de la charité, cette vision n’est jamais parfaite chez l’homme qui reste soumis aux conditions de la vie présente. De doctr. christ.. II. vu, 11, t. xxxiv. col. 40. C’est un point qu’il faut examiner de plus près.