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PLATONISME DES PÈRES. LA VIE INTÉRIEURE


Grégoire de Nazianze, Poemata de seipso, xlv, vers 2728, P. G., t. xxxvii, col. 1355.

Cela, mieux que personne, saint Augustin l’a exprimé car, par expérience, il savait ce qu’on trouve chez les néoplatoniciens (il exagérait même un peu), et ce qu’on n’y trouve pas. Leurs livres l’avaient renseigné sur l'être de Dieu, sa nature immatérielle, le genre d’union qu’il est possible d’avoir avec lui et l’inexprimable félicité de l'âme, enfin arrivée au terme de ses désirs. De tout cela, il ne doutait pas, mais comme il se sentait faible ! Il était de ceux qui voient où il faut aller, mais qui ne voient pas où il faut passer. Là-bas la vision de paix, là-bas la patrie bienheureuse, mais où était le chemin ? « Qui me rendrait capable de jouir de vous, ô mon Dieu ? » Il cherchait. Non enim tenebam Dominum meum Jesum, humilis, humilem. Il ne savait pas encore ce qu’il devait apprendre de l’infirmité du Dieu fait homme, qui a voulu s’abaisser pour guérir l’enflure de l’orgueil et nourrir l’amour.

La charité qui construit sur le fondement de l’humilité, voilà ce qui manquait aux livres néoplatoniciens ; il leur manquait Jésus-Christ : Ubi enim erat Ma œdificans caritas a fundamenlo humilitatis, quod est Christus Jésus. Hoc illæ litlerie non habent. Non habent illæ paginæ vtdtum pietalis hujus, lacrimas confessionis, sacrificium tuum, spiritum cuntribulatum… Nemo ibi cantat : « Nonne Deo subdita eril anima mea ? ub ipso enim salutare meum. t Nemo ibi audit vocantem : "Venite ad me omnes qui laboratis. » Dedignantur ab eo discere quoniam mitis est et humilis corde. Abscondisti enim hœc a sapientibus et prudentibus et revelasti ea parvulis. Conf., VII, xxi, 27, P. L., t. xxxii, col. 748. Cf. De civ. Dei, X, xxiv, xxvi, xxvii, xxviii, xxix, xxxii, t. xli, col. 300 sq., et dans les Rétractations, I, iv, 3, le passage où il regrette comme une offensio aurium religiosarum, d’avoir dit dans les Soliloques, I, xiii, 23, qu’il n’y a pas qu’une seule voie pour s’unir à la Sagesse, quasi alla via sit pra>ler Cliristum.

3° Le médiateur que réclament le dogme et la piété chrétienne n’agit donc pas à la manière d’un talisman qui, faisant jouer des lois nécessaires, obtient fatalement les effets dont il a posé la condition suffisante. On n’extorque pas les bienfaits de Dieu malgré lui ; nous les implorons en esprit d’humilité, avec l’aveu de notre insuffisance, convaincus que tout ce que nous faisons, bien que nécessaire, resterait inefficace si Dieu n’ajoutait, de son côté, gracieusement, ce qui restera toujours inaccessible aux forces humaines.

Pour trouver ici une conception magique (Harnack, Dogmengeschichte, 4e éd., 1. 1, p. 824-825), il faut oublier, en Dieu, l’amour qu’il a pour ses créatures et sa volonté de leur faire du bien qui rendraient la contrainte bien inutile si elle était possible, et dans l’homme, la foi, l’humilité, l’amour aussi, ou du moins le regret des fautes, c’est-à-dire les dispositions sans lesquelles il pourrait employer sans effet tous les rites et toutes les formules. « Si l’on ne fait rien comme il plaît aux dieux, disait Plolin, il serait ridicule de trouver son salut auprès d’eux. » Enn., III, ii, 8. C’est vrai, mais il ne s’ensuit pas que nous puissions nous passer du secours d’en haut. Notre Sauveur ne nous sauve pas malgré nous ; mais nous ne pouvons pas non plus nous sauver sans lui.

IV. la prièhe — 1° Il ne faut pas se flatter, dit Platon dans la République et les Lois X, 905 d-907 b), si l’on ne purifie son âme, de fléchir les dieux par des sacrifices ou « des prières qui les enchantent », car jamais ils ne se feront complices de l’impiété et ne trahiront la justice. On a voulu voir dans ces paroles un désaveu de la prière. Non, elles condamnent seulement l’audace impie des méchants qui espèrent, sans

changer de vie, se concilier et, pour ainsi dire, acheter par leurs offrandes la faveur divine. Il reste pourtant que, dans les questions qui touchent à la destinée de l'âme et à ses relations avec l’au-delà, il est difficile, impossible même de réduire à l’unité les diverses assertions de Platon et surtout celles de Plotin, car ce qui parle en eux c’est tantôt l’instinct religieux, et tantôt l’esprit de système. Dans le premier cas, l'âme naturellement religieuse se sent responsable et n’est pas ébranlée, par la vue du mal, dans sa croyance en une Providence juste et bonne et dans son horreur de l’injustice, quels que puissent être ses apparents triomphes ici-bas. Les seuls biens qu’elle demande à la divinité, ce sont la raison, l’intelligence, l’opinion droite, Lois, III, 687 d-688 b, et sa prière ressemble à celle de Socrate dans le Phèdre, 279 b c, qui demandait seulement la beauté intérieure et que, chez lui, le dehors répondit au dedans.

Mais quand parle le philosophe avec ses tendances rationalistes, dominé par la vision de l’ordre du monde qu’enchaînent les lois de la nécessité, alors la raison universelle qui gouverne tout, sans hésitation, sans erreur, sans retouche, impose à chacun son rôle ici-bas, dirige les âmes au lieu qui leur convient et où elles seront traitées selon leurs mérites ; la responsabilité individuelle s’efface aussi bien que la Providence personnelle. A quoi pourrait, dès lors, servir la prière ? Notre destinée n’en dépend pas, puisqu’elle est fixée irrévocablement par la loi des choses. « Dans les combats, on trouve son salut dans la bravoure et non dans les prières ; on n’obtient pas de récoltes en priant, mais en prenant soin de la terre » ; on est mal portant si on néglige le soin de sa santé. Enn., III, ii, 8.

2° Ce que l’on peut attendre de la prière dans cette conception déterministe, Plotin l’explique en distinguant la prière vocale, ce bavardage de la matière, et celle de l'âme ou de l’intelligence. (Cf. Synésius, llymn., iv, vers 80-87 : « Je te prie par ma voix et par le silence de l’esprit. » )

1. La prière qui s’exprime par des formules rituelles. — Elle est pour Plotin une forme de la magie ; celui qu’on invoque est fasciné comme par la vue d’un serpent, " IV, iv, 30, en vertu de la sympathie qui règne entre les différentes parties du monde. IV, iv, 40. Chez Plotin du moins cette action magique n’a de pouvoir que sur les êtres sensibles, en raison de leur matière ; et c’est pourquoi, si elle peut capter la bienveillance des astres, IV, iii, 1 1 ; IV, iv, 38, 40, 41 et 42, elle est impuissante, quoi qu’en disent les gnostiques, sur les êtres suprasensibles, II, ix, 14, et même sur le philosophe qui, replié sur lui-même par la contemplation, s’est rendu invulnérable à toutes les séductions ; à plus forte raison est-elle impuissante sur l’Un, dont la parfaite indépendance plane au-dessus de toute détermination possible.

Puisque l’Un reste immobile, nous n’avons pas le droit d’espérer qu’il se penchera vers nous, pour nous unir à lui, c’est à nous à tendre nos âmes ; cette « conversion » vers l’Intelligence et vers l’Un est une prière bien supérieure, qui, sans passer par la bouche', dans le silence et le recueillement, élève l'âme à son Principe.

2. La prière silencieuse de l'âme. — Proclus en a exposé le fondement et la nature à peu près dans les mêmes termes que Plotin (cf. A. Bremond, Un texte de Proclus sur la prière et l’union divine, dans Recherches de science relig., oct. 1929). Le fondement ontologique de cette prière est double : d’abord la présence du divin à tout ce qui procède de lui, car ce qui en serait séparé par le fait même n’existerait plus ; ensuite une loi de nature également nécessaire qui' pousse ce qui procède des dieux à se retourner vers eux selon le rythme ternaire exposé plus haut, à l’exemple des