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PLATONISME DES PÈRES. LA VIE INTÉRIEURE
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vait en douter. Car, si elle consiste dans une contemplation qui exige une culture savante, c’est-à-dire non seulement le Ions ; entraînement d’une dialectique puri liante, mais des spéculations que leur caractère abstrait interdit au vulgaire, elle doit être considérée connue réservée à une élite du savoir, à quelques penseurs qu' une masse de travailleurs manuels —, « foule méprisable. libère des préoccupations de la vie matérielle, pour leur permettre de se consacrer tout entiers aux exercices de la vie intérieure. Enn., II, ix, 9 et 10. Platon déjà, dans la République, réservait la connaissance des Idées aux deux premières classes de la société.

Les premiers alexandrins chrétiens étaient trop épris de l’idéal de la gnose pour rester insensibles à ce rêve aristocratique. Cf. Lebreton, Les degrés de la connaissance religieuse d’après Origène, dans Recherches de se. relig.. 1922, p. 256-296 ; Le désaccord de la foi populaire et de la théologie savante dans l'Église chrétienne du ///<e siècle, dans Revue d’hist. eccl., 1923, 1924. Ils étaient chrétiens pourtant et ne pouvaient oublier complètement que le Christ qui veut le salut de tous les hommes et qui n’exclut personne de son invitation à la vie parfaite, semble avoir une préférence pour les petits et les humbles. Origène l’ait même un mérite à la doctrine chrétienne de se rendre accessible à tous, car plus utile est le médecin qui rend la santé à un grand nombre que celui qui ne veut soigner que quelques clients choisis. C.ont. Cels., VII, lix, P. G., t. xi, col. 1504 C ; VII, lx, col. 1505. Cf. Vôlker, Das VolILcmmenheilsideal des Origenes, Tubingue, 1931. La vie parfaite est une contemplation, dit Grégoire de Nazianze, soit ! Mais alors, la contemplation est pour tout le monde.

5° Par le fait même, les jugements du néoplatonisme sont profondément modifiés. Quelle que soit l’excellence de la contemplation, comme genre de vie considéré en soi. il reste que celui-là est plus saint qui, en quelque genre de vie que ce soit, aime Dieu davantage.

Lue vie d'œuvres, fussent-elles très vulgaires, si elle est animée de cet amour, est un moyen très apte de s’assimiler à Dieu ; c’est par ces humbles sentiers que le Fils de Dieu fait homme a voulu passer. Dès lors, si la contemplation est une chose bonne, l’action est bonne aussi : xaXôv Gewpîa xal xaXôv 7tp5cÇiç. C’est Grégoire de Nazianze qui dit cela, Orat., xiv. 4, de pauperum amore, P. G., t. xxxv, col. 864 A, et qui le répète, Poem. moral., xxxiii, t. xxxvii, col. 928, vers 1, 3, 4, après Clément d’Alexandrie, Strom., VII, xvi, t. ix, col. 541 A. Il va jusqu'à dire — et il ne pouvait se séparer plus catégoriquement du néoplatonisme — que la contemplation n’est pas la voie la meilleure, qu’une certaine « contemplation effrénée », dont les eunomiens ont donné l’exemple, conduit à l’abîme. Orat.. xxxix, 8, t. xxxvi, col. 344 A. Heureusement, pour aller à Dieu, il n’y a pas que le chemin de la contemplation : ce serait chose bien dangereuse de la conseiller ! il y a des voies plus humbles et plus sûres : la crainte de Dieu, l’observation des commandements, l’imitation de la vie pauvre et souffrante du Sauveur, Oral., xxxii. 33, t. xxxvi, col. 212 BC, la charité aussi et le dévouement pour le prochain.

Ce n’est donc pas renoncer à la vie parfaite que se mettre au service des autres, dùt-on trouver dans cette vie, extérieurement très occupée, moins de loisir pour la contemplation des vérités éternelles. Au contraire, le don de soi à des frères qui sont les membres de Jésus-Christ, avec l’abnégation pénétrante qu’il requiert, avec la charité qu’il suppose et qu’il fait croître, est une voie très sûre pour arriver à l’illumination et à l’union, car il s’agit moins de connaître que d’aimer, irpâÇlç y*P 8ea » p£aç -pô ; svoç. Saint Grégoire de Nazianze. Oral., xi., 37, col. 412 C.

Un passage de Plotin permettra de mesurer la distance entre les deux « spiritualités ». « Le sentiment d’amitié, disent les Ènnéades, I, iv, 15…, c’est d’abord envers soi-même que le sage 1 éprouve, et s’il témoigne de l’amitié aux autres, c’est en raison de sa clairvoyance intellectuelle. » En vérité, peut-on parler encore d’amitié ou de charité? Chacun pour soi : la ligne qui conduit à l’Un ne s’embarrasse pas en des interférences qui mêleraient notre destinée à la destinée des autres hommes. L’unité des êtres dans le monde intelligible comme la sympathie du monde sensible est un résultat des lois de la nature. Le sage l’entrevoit et la contemple, mais, comme elle existe nécessairement, il n’y trouve rien qui le stimule à l’action ; il arrive à la perfection en restant enfermé dans un égoïsme intellectuel très proche de la dureté du cœur. « Je vous donne un commandement nouveau, avait dit le Christ, Aimez-vous les uns les autres. » Même les ennemis ? — Oui. C’est à cela que l’on reconnaît ses disciples.

/II. l’intermédiaire dans l'œuvre du salit et la grâce. — 1° L'âme déchue se relève-t-elle elle-même ou bien a-t-elle besoin d’une intervention surnaturelle ? C’est encore un point où le néoplatonisme diffère du christianisme.

Car, dans la doctrine néoplatonicienne, ou bien la chute et le relèvement sont le développement de la loi essentielle des êtres et, par conséquent, ne manifestent que leur nature, ou bien, si l’effort individuel qui purifie et tourne vers Dieu semble soustrait au déterminisme cosmique, comme il arrive parfois en des textes inspirés de l’orphisme, il reste la condition suffisante de l'élévation la plus ambitieuse ; pour voir Dieu, il suffit, ici encore, de mettre en jeu les énergies que recèle la nature ; quand on a fait ce qu’il faut, la lumière divine apparaît. Même quand Plotin parle d’une influence éclairante et fortifiante de l’Un sur l'âme qui contemple, c’est d’une influence naturelle, c’est d’un don nécessaire, si bien qu’il peut promettre qu’infailliblement, . à qui se sépare, Dieu se montrera. L’homme est l’artisan de son salut et de sa perfection.

2° Pour un chrétien, au contraire, le salut et la perfection sont œuvres surnaturelles auxquelles tous les efforts de l’homme sont disproportionnés. Laissés à eux-mêmes, ils sont vains et le but qu’ils se flattent d’atteindre, illusoire. A qui désire s'élever jusqu'à Dieu, le médiateur divin est indispensable.

Croire que l'âme, en se retournant sur elle-même, va par cette conversion et de son propre mouvement arriver à la contemplation béatifiante, c’est un rêve orgueilleux. Le salut est en Jésus-Christ et, pour l’obtenir, les hommes doivent compter par-dessus tout sur les mérites de sa passion, sur la prière et l’humble attente de la grâce qui soutiendra leurs essais impuissants.

Les docteurs de l'Église ont toujours insisté sur la nécessité de ce secours. L’homme a besoin d’un médiateur pour se sauver, dit saint Justin. Clément, qui compare pourtant l’attitude du martyr à celle du sage néoplatonicien, sait bien que ce qui fortifie le chrétien en face de l'épreuve, c’est la foi en la Providence et la confiance en le secours d’en haut, il sait bien que même la continence, ÈYXpxTei.a, est un effet de la grâce divine, et cela n’est pas platonicien. Strom., III, vu ; IV, vu et xi, P. G., t. viii, col. 1161 A, 1260 A, 1289 A. Une grâce est nécessaire pour prier comme il faut, pour vaincre les tentations, pour persévérer dans la vertu, car tout cela dépasse les forces humaines. Origène, De orat., 1 et 2, P. G., t. xi. col. 416 A, 421 ; De princ, III, ii, 3-4, ibid., col. 308 B. C’est par le Christ que l'âme s'élève à Dieu. Saint