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PLATONISME DES PÈRES. LA CRÉATION


L’homme qui a été créé à l’image de Dieu était un exemplaire spirituel, sans corps, ni homme ni femme, un homme céleste, l’homme en général : àvOpcoTtoç o’jpâvioç, àv6pco ; ro< ; ysvixôç, Leg. alleg.. ii, 4, éd. Colin, p. 93, 1. 13 ; De opif. mundi, xlvi, p. 46, 1. 18 sq. Mais il importe de ne pas oublier le contexte, où Grégoire, craignant, scmble-t-il, d'étonner par la nouveauté de ses idées, prévient qu’il parle par approximations et en images, qu’il n’entend pas exposer une vérité certaine, mais proposer aux sages ses conjectures, en manière d’exercice. Col. 185 A ; cꝟ. 188 B. Il ne s’agit donc que d’une opinion personnelle, présentée comme un essai d’explication du texte sacré, et non pas comme la doctrine traditionnelle de l'Église.

3° Du moins cet essai d’interprétation se ressent du réalisme platonicien ; est-il permis d’en conclure que l'évêque de Nysse a tiré de là sa doctrine du salut ? Pour que cette conclusion fût justifiée, il faudrait qu’en fait la doctrine se déduisît des principes platoniciens ; mais, s’il est manifeste au contraire, comme l’a prouvé J. Rivière. Le dogme de la rédemption, Paris, 1905, p. 151 sq., qu'à côté des spéculations d’origine philosophique l'évêque de Nysse fait appel, comme les autres Pères, à l’enseignement de l'Écriture, de saint Paul en particulier, sur l’efficacité rédemptrice de la mort du Sauveur, si là se trouve en réalité la source principale de sa sotériologie, et non point dans l’idéalisme platonicien qui ne présente avec le dogme, dès qu’on dépasse les analogies verbales, que des oppositions et des contrastes, force est de reconnaître que les rapprochements avancés n’ont pas toute la portée qu’on leur accorde.

Et, en effet, si l’humanité du Christ devait être considérée comme une Idée à la manière de Platon, elle serait un exemplaire immatériel, supérieur à toutes les réalisations sensibles, et l’on ne voit plus ce qu’il resterait de l'Évangile. De plus, si cette humanité contenait les humanités particulières, ce ne pourrait être que comme l’Intelligence universelle, chez Plotin, contient toutes les intelligences, toutes unies entre elles et se pénétrant les unes les autres pour former l’unité du monde intelligible, ou comme l’Ame contient toutes les âmes. Mais cette conception suppose, c'était l’opinion de Plotin, qu’il y a une idée de chaque individu, elle suppose la préexistence des natures humaines individuelles et leur chute, de quelque façon qu’on l’imagine.

Or, rien n’est plus opposé aux déclarations expresses du saint docteur. De même qu’il croit de toute son àme que Jésus-Christ a été un homme comme les autres, qui est né, a grandi, a souffert dans sa chair, a été crucifié, 6 xup'.axôç àvOpcoTtoç, comme il dit, In S. Stephanum, t. xlvi, col. 725 B ; cf. Holl, op. cit., p. 225, il repousse aussi avec décision les erreurs de ceux qui ont disserté de principiis (il s’agit d’Origène), et imaginé un peuple d'âmes dans une cité préexistante. De hom. opij., c. xxvii, t. xliv, col. 229 B. Et puis, si tous les hommes avaient été déifiés à l’incarnation par le fait du lien « physique » qu’ils ont avec l’humanité du Sauveur, leurs œuvres devraient être tenues pour inutiles aussi bien que la grâce et l’action du Saint-Esprit. Et ceci encore est tout le contraire de ce qu’enseigne Grégoire de Nysse.

On ne peut donc pas admettre qu’il soit arrivé à sa conception du salut par la voie du platonisme, ni même qu’il ait exprimé ses idées sur ce sujet en transposant simplement un thème platonicien. Tout ce qu’on peut et doit dire, c’est que des images réalistes restent dans son esprit, quand il décrit le lien mis par l’incarnation entre le genre humain et le Verbe incarné, ce lien grâce auquel le Christ, homme comme les autres hommes, les offre tous en sa personne à son Père, et peut être appelé la cause universelle de leur

justification, parce qu’il sanctifie radicalement la nature humaine comme nature.

C’est moins des Idées de Platon que Grégoire de Nysse se souvient alors, que des théories néoplatoniciennes sur la communauté et l’interpénétration des intelligences ou des âmes au sein du monde suprasensible, sans d’ailleurs emprunter le détail de ces spéculations, sans absorber dans le Christ notre propre individualité, sans concevoir la justification comme un artifice magique ; mais, en sauvegardant la nécessité, pour chacun, d’une régénération spirituelle qui l’unit de fait au Christ et d’une collaboration à l'œuvre du salut, pour que lui soient appliqués de façon efficace les mérites de la passion rédemptrice.

4° Il faudrait faire les mêmes remarques au sujet de saint Athanase et de saint Cyrille d’Alexandrie, chez qui l’on a prétendu retrouver quelque chose des mêmes influences. Ilarnack, Dogmengeschichte, t. ii, 4e éd., p. 167 ; cf. J. Rivière, Le dogme de la rédemption, p. 187 sq. ; Adolf Eberle, Die Mariologie des heiligen Cyrillus von Alexandria, Fribourg-en-B., 1921, p.59sq.

En résumé, il est certain que le réalisme platonicien a influé sur la pensée de plusieurs écrivains ecclésiastiques, que, lorsqu’ils parlent des vérités éternelles, ils se souviennent souvent de la théorie des Idées, qu’ils conçoivent à la manière platonicienne la participation des individus à une même nature, que les spéculations sur le monde intelligible ont été utilisées pour la description de la cité céleste.

Mais que le dogme de la Trinité ou celui du salut par l’incarnation ait été inspiré ou modifié par cette philosophie, c’est une affirmation insoutenable. Si, parfois, la philosophie vient se mêler aux données de la révélation, c’est pour un essai d’explication qui n’a d’autorité que celle de son inventeur. L'Écriture sainte et la tradition restent la règle de la croyance ; c’est là que l'Église a appris le mystère d’un Dieu en trois personnes comme l’intime solidarité qui unit le Christ avec le genre humain.

III. La création et le platonisme.

1. Le fait de la création. 2. Le « comment > de la création (col. 2350). , 3. L’acte créateur chez Plotin et chez saint Augustin (col. 2355). 4. Adaptation de la doctrine (col. 2358). 5. L’omniprésence de Dieu (col. 2359). 6. Conclusion (col. 2361).

Quelques textes. — Saint Justin, Apol., i, 10, 59 ; P. G., t. vi, col. 340 C, 416 BC ; DiaL, 56, col. 596 D-597 A ; — Saint Théophile d’Antioche, Ad Autolycum, n. 22, ibid., col. 1088 ; — Origène, De principiis, prœfatio, 4, P. G., t. xi, col. 117 B ; Kcetschau, p. 10, 1. 6 sq. ; De principiis, I, ii, 10, III, v, 3, col. 138 C, 327 B ; p. 41 et 42 ; Cont. Celsum, VI, lx, ibid., col. 1390 ; Koetschau, t. ii, p. 130, 1. 21 sq. ; — Saint Athanase, De decretis Niceenæ synodi, n. 7, 8, 9, P. G., t. xxv, col. 428 B sq. ; Oratio il contra arianos, n. 24 et 25, P. G., t. xxvi, col. 197 C, 200 A sq. ; — Didyme, De Trinilate, t. I, c. viii, t. xxxix, col. 276 C, 277 B ; — Saint Grégoire de Nazianze, Orat., xlv, n. 5, t. xxxvi, col. 629 A ; — Saint Augustin, Confess.,

IV, xii, 18 ; XII, xix, 28 ; XIII, xxxviii, 53, P. L., t. xxxii, col. 700, 836, 868 ; De Genesi ad litt., i, i, 9 ;

V, v, 16 ; III, xx, 31, t. xxxiv, col. 249, 326, 292 ; — Pseudo-Denys, De divinis nominibus, iv, 1, P. G., t. iii, col. 693 B ; — Jean Scot Érigène, De divisione naturæ, t. III, 17, P. L., t. cxxii, col. 678 B.

I. le fait de la création.

1° Les platonici ont parlé comme il faut des rapports de Dieu et du monde, c’est encore une raison pour laquelle saint Augustin les préfère aux autres philosophes ; en particulier, ils ont reconnu en Dieu le Créateur de cet univers changeant qui, justement parce qu’il est changeant, a son orig ne dans un être immuable. De cio. Dei, VIII, vi, P. L., t. xli, col. 231.