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PLATONISME DES PÈRES'. LE MONDK INTELLIGIBLE


heureuses ? Origène, quand il nous raconte leur histoire, se souvient moins de la Bible que de la cosmologie néoplatonicienne, avec les développements ou les déformations que les gnostiques lui avaient infligés. Les intelligences créées et, par conséquent, capables de changement, se sont fatiguées de la contemplation de Dieu : d’où leur déchéance. Hefroidies, 'ry/p-xi. elles sont devenues des âmes, ipuycd, et ont été affligées, en punition, selon la gravité de leur faute, d’un corps plus ou moins épais, tandis que les anges recevaient une enveloppe plus subtile. Ainsi, pour tous les êtres, la vie présente a été précédée d’une autre vie dans un inonde supérieur, d’où ils sont tombés et où ils retourneront. Les âmes doivent redevenir esprits : ce sera le dernier stade de leur purification. De princ, I, viii, p. 95 sq. L’essai d’Origène pour christianiser la théorie du monde intelligible ne fut donc pas heureux. La préexistence, la chute, leretour à l’unité intelligible par la séparation de la matière sont autant d'éléments qui ne pouvaient se concilier avec le dogme chrétien.

Le pseudo-Denys et Scot Érigènc.

Jean Scot

Érigène, s’il faut prendre à la lettre ce qu’il dit, posait, entre Dieu et le monde, des intermédiaires créateurs, les « causes primordiales », qui constituent ce qu’il appelait la « seconde nature », à la fois créée et créatrice, c/ creatur et créât. De divisione naturee, t. I, P. L., t. cxxii, col. 442 B. Ces causes sont identifiées avec les « Idées », les formes, les raisons, secundum quas et in qui bus visibilis et invisibilis : nundus formaturet regitur … exempta quæ Pater in Filio fecit ; elles sont faites dans le Verbe, sans toutefois lui être tout à fait coéternelles : non enim faclori coxterna esse possunt, ibid.. II, 21, col. 561 CD ; elles sont immuables, non point pourtant parce qu’elles possèdent leur perfection de manière indépendante, mais parce qu’un désir sans défaillance les tourne vers celui de qui elles reçoivent leur forme : conversaformantur et [ormationem suam nusquam nunquam deserunt, II, 15, col. 547 BC (sur ce trait bien néoplatonicien, cf. col. 2348 sq.) ; elles ne sont point la Trinité, mais elles participent à la Trinité, summœ… ac sanchr Trinilatis participatione sunt ; ce sont donc des intermédiaires, mais qui touchent immédiatement à la cause universelle, nulla creatura inler ipsam et unam omnium causam interposita est. Telles, « la bonté en soi, l’essence en soi, la vie en soi, la sagesse en soi, la vérité en soi… » exemplaires participés et forces créatrices auxquels participe à son tour tout ce qui, parmi les êtres visibles ou invisibles, est bon. vivant, sage, vrai… Ibid., II, 36, col. 615 sq.

Pour se couvrir d’une autorité imposante, Jean Scot en appelait à Denys, dont il citait de longs extraits. De div. nom., xi, 6 ; v. Et, en effet, pour le pseudo-Denys lui aussi, entre Dieu et notre univers, se placent les Idées immatérielles, aù-ro^ojYj, aù-rotrocpia.., qui participent à la cause première et sont à leur tour participées, formes produites, mais éternelles, qui ne sont pas individuelles mais se communiquent à toutes les natures individuelles. Petau pensait que, pour PAréopagite, ces formes n’existent que dans les individus, après la création ; Non enim reipsa subsistentes sunt formse, sed ÈTTivoîa sola et cogitatione mentis, DeDeo, iv, 17, P. G., t. iii, col. 953 D, 956 A : mais les textes semblent imposer une interprétation plus réaliste, car si Denys précise, De div. nom., xi, 6, qu’il ne parle pas « d’essences ou d’hypostases productrices des êtres, àp/ixàç tcov ovtwv y.y.1 8ï)u.t.oupYixà< ; oôaîocç xai oton-à.aeiq, dont certains, sans les connaître — car elles n’existent pas — font des dieux et des créateurs du inonde (cf. Mùller, Dionysios, Proklos, Ptotinos, dans les Beitrage de Baumker, t. xx, fasc. 3-4 ; 1918, p. 47), c’est seulement pour rappeler que la bonté de Dieu donne l’existence à tout l’univers, aux êtres premiers et

à tout ce qui en dérive : xx’t, rôiv r : ç, o>-oy/ ocûr&v ô £yx60ç 'j7ïoa-T7.T7 ; ç eïvai, elra twv ^Xojv aÔTûiv, eïcx tôv

(jLSplXOJV X’JTtOV.

Les formes dionysiennes sont les êtres premiers Ta 7rpa>T6>ç ovtx, les premiers à recevoir l’existence, qu’elles possèdent ainsi ^poiTcoç, xt : oX’Jtù>ç v.tx àp/r ( yiy.wç. Distinctes de Dieu, elles ne se confondent pas non plus avec les essence, angéliques, qui participant aux Idées comme les autres êtres. De. div. nom., xi, (i. col. 953 CD.

En Denys et en Scot Érigène, Platon eût reconnu des héritiers de son esprit. S’ils ne s’expriment pas avec clarté sur la nature des Idées et leur rapport avec le Verbe, ils ont pourtant admis — la chose ne peut faire aucun doute — un monde d’essences intermédiaires entre Dieu et la création visible ou invisible.

Saint Augustin.

1. S’il rétracte ce qu’il avait

écrit, De ordine, ], xi, 32, P. L.. t. xxxii, col. 993, que le Christ en disant : » Mon royaume n’est pas de ce monde », voulait opposer aux choses périssables celles que l’intelligence seule peut percevoir et non les yeux du corps, Augustin ajoute que, toutefois, Platon était irrépréhensible en admettant l’existence d’un monde intelligible, car il appelait ainsi, semble-t-il, « la raison éternelle et immuable par laquelle Dieu a fait l’univers ». Retract., i, iii, 2 ; cf. Boyer, L’idée de Vérité dans la philosophie de saint Augustin, p. 71, 72. Il se le représente lui-même comme « la Vérité souveraine, la Sagesse et Forme suprême des choses par laquelle tout a été fait, et que nos saintes Écritures proclament le Fils de Dieu ». Epist., xiv, ad Nebridium. Les Idées sont donc les « formes principales, les essences stables, immuables… contenues dans l’Intelligence divine. De div. quæst. LXXXin, q. xlvi. De ideis. 1-2, t. xl, col. 29-30 ; car tout ce qui est créé se trouve dans le Verbe, et tout ce qui se trouve dans le Verbe est vie : quidquid per eum factum est, in ipso vita est et vita ulique creatrix. De Gen. ad litt.. II, vi, 12. t. xxxiv, col. 268.

2. Cette doctrine n'était pas celle de Platon, ni même celle de Plotin. Il n’est guère vraisemblable que le saint docteur s’y soit trompé ; il a bien vii, en effet, que si l’Intelligence plotinienne existe de toute éternité, elle est cependant une créature, que si on l’appelle le second dieu, c’est par un abus, car on ne peut pas l’assimiler à la seconde personne de la sainte Trinité : non enim habet informem vilam Verbum Filius. De Gen. ad litt., i, v, 10, t. xxxiv, col. 249 ; cf. Confess.. XII, xv. Augustin l’a si bien vu qu’il applique tout ce que dit Plotin de cette Intelligence non pas au Verbe divin mais à la nature intellectuelle et spirituelle qui est la première des créatures et qu’il appelle « le Ciel du ciel ». Et dans l’insistance avec laquelle, il répète que c’est une créature, on sent qu’il veut prévenir une confusion. C’est « une créature spirituelle qui, sans cesse, contemple la face de Dieu », Confess., XII, xvii, c’est « le ciel intellectuel », ibid., XII, xiii, la cité sainte, la maison où habite la gloire divine, une maison, ou plutôt une cité, un univers spirituel. « la pure intelligence où s’unissent dans la concorde et la paix, les saints esprits ». Ibid., XII, xi : Domum tuam contemplantem delectationem tuam… mentem puram, concordissime unam stabilimenlo paris Sanctorum Spirituum ; cf. ibid., xv, où cette nature spirituelle qui est aussi la sagesse créée est appelée mens rationalis et intelleclualis cast ; » caritatis tuse.

Il s’agit donc d’un monde céleste, habité par des esprits créés ; d’un monde de lumière et de béatitude, mais d’une béatitude participée et d’une lumière qui est descendue, reflet d’une autre lumière créatrice à qui tout, en ce monde intelligible, doit sa nature intellectuelle, qiin intelligibilité/- illuminante intelligibilité ! lucet. De civ. Dei. X, ii, t. xi.i. col. 279. Ce développe-