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    1. PLATONISME DES PERES##


PLATONISME DES PERES. LE MONDE INTELLIGIBLE

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gibles et des Idées. Il ne faut p ; is s’en étonner, puisque les platonici eux-mêmes n'étaient pas tous du même avis.

Tandis que Platon, préoccupé avant tout du problème de la science, voyait dans les Idées l’unique moyen de mettre en sûreté la valeur de la connaissance, le platonisme postérieur leur confère un rôle de plus en plus cosmologique et religieux : Dieu, principe premier et fin dernière, devient la clef de voûte du système ; les Idées ne sont plus seulement des exemplaires, mais des puissances et des forces intermédiaires par lesquelles est créé l’univers et grâce auxquelles de ce monde d’apparences l'âme retourne à sa vraie patrie.

Des théologiens platonisants essayèrent, avec plus ou moins de bonheur, de christianiser cette théorie ; car, de la recevoir telle quelle, même sous la forme que lui avait donnée Plotin, il ne pouvait être question, et parce qu’elle multipliait les principes divins, et parce qu’elle refusait de reconnaître dans la première cause une Intelligence. Dans leurs essais, l’inspiration platonicienne reste pourtant manifeste, comme on va le voir.

Elle apparaît clairement aussi dans leur manière de concevoir les rapports des Idées et des choses. Selon le réalisme platonicien, l’universel n’est pas une idée abstraite n’ayant d’existence que dans l’esprit humain, mais une réalité d’ordre supérieur, et cette réalité, en se multipliant dans les êtres de même espèce, reste réellement une : c’est pourquoi elle est, dans la multitude des individus, un principe d’unité : à[i.£piaTco< ; èuxptwÔY), dira Synésius de Cyrène. Hymn., i, vers 80, P. G., t. lxvi, col. 1589. Cette théorie ne pouvaitelle pas s’appliquer aux mystères de la sainte Trinité et de la rédemption, la Divinité se communiquant comme les Idées sans se partager et restant une en trois personnes ; le Fils assumant l’humanité, et en elle tous les hommes qui participent à la même nature, c’est-à-dire à la même idée, en tous identiquement la même, et ce serait le principe de leur salut et de leur divinisation dans le Christ ? Ces formules n'étaient pas sans danger, danger de trithéisme d’un côté, si les personnes divines sont non seulement distinctes mais comparables à trois individus de même espèce ; danger d’un certain panthéisme de l’autre, si nous sommes divinisés par le seul fait de notre participation à la nature humaine, cette nature restant réellement une et ne se multipliant que par manière de dire dans la multitude des hommes. Dans quelle mesure, les Pères cappadociens les ont-ils adoptées ? et sont-ils arrivés, comme quelques critiques le prétendent, à transformer ainsi, sous des influences platoniciennes, l’essence même du dogme ?

Le néoplatonisme enseignait aussi que l'âme, qui tend vers Dieu, passe, comme par un relai nécessaire, par la contemplation du monde intelligible ; ce serait un acheminement vers la vision et l’union parfaite. Les descriptions qu’il en fit ont été connues et utilisées dans la littérature ecclésiastique. (Sur cette dernière question, voir le dernier chapitre.)

I. l.ICS IDÉES BT LE MONDE INTELLIGIBLE. ESSAIS D’ADAPTATION PAR DES ÉCRIVAINS CHRÉTIENS.

— Si tous les platoniciens affirment avec une enthousiaste conviction l’existence d’un au-delà, c’est que le monde sensible, dans son écoulement perpétuel, ne peut être le lieu où se fonde l’immuable Vérité. Cet au-delà n’est pas, selon la conception première, un monde d’esprits, mais le lieu des formes, des Idées, que participent tous les êtres, visibles ou invisibles. Où sont ces Idées ? Assez vite, on répondit qu’elles doivent être dans une Intelligence. Mais, comme dira Plotin, une multiplicité ne saurait avoir en elle-même sa raison d'être : avant la multiplicité, il y a l’unité ; ni

les Idées, ni l' Intelligence qui les contient ; ne sont plus l’ultime raison des choses. Causes créatrices, causes exemplaires et des âmes et des corps, elles ont ellesmêmes un principe, qui est l’Un. Il faut donc distinguer deux conceptions : l’une proprement platonicienne qui considère les Idées comme les raisons dernières ; l’autre néoplatonicienne, où les Idées qui constituent le monde intelligible, intermédiaires entre le Principe premier et les choses sensibles, sont créatrices comme l’Intelligence dont elles font partie, mais, comme l’Intelligence aussi, sont produites et n’occupent que le second rang dans la hiérarchie divine.

Dès lors qu’il ne reconnaissait qu’un seul Dieu et rejetait tout intermédiaire créateur, un philosophe chrétien devait, pour conserver quelque chose de ces doctrines, les transformer profondément et opter entre deux interprétations : ou situer les Idées en Dieu, dans le Dieu unique, créateur du ciel et de la terre ; ou bien, ces Idées étant des esprits, les faire déchoir de leur rang divin et les assimiler aux anges. Si certains se flattèrent de pouvoir faire place aux Idées subsistantes, ils furent en cela plus fidèles à Platon qu'à l’enseignement de l'Église. Selon l’adaptation la plus fréquente, les Idées sont les exemplaires que Dieu contemple quand il produit le monde, comme chez Platon ; mais ces Idées sont dans l’Intelligence divine, comme chez Plotin, et non pas subsistantes en soi, comme le voulait Platon ; de plus, cette Intelligence, à la différence de Plotin cette fois, n’est pas un dieu inférieur, c’est le Verbe, le Fils qui n’est avec le Père qu’un seul Dieu.

Une opinion répandue voulait que, pour Platon déjà, l’Intelligence divine fût le lieu des Idées. Cette interprétation, qui n'était pas celle d’Aristote, est admise par Clément d’Alexandrie, Strom., IV, xxv, P. G., t. viii, col. 1364 C (cf. Sénèque, Epist., lxv, 7). En réalité, c’est seulement dans un platonisme postérieur, chez Philon, puis chez Albinus, chez Atticus, que les Idées, conçues par le fondateur de l’Académie comme subsistantes, deviennent les Idées de Dieu ; pour Philon, ell.es sont dans le Logos divin, pour Plotin, dans l’Intelligence, qui est le second dieu. Enn., V, v.

Cette thèse, combattue même à l’intérieur de l'école néoplatonicienne, comme en témoignent les longues hésitations de Porphyre et l’opposition durable de Longin (Porphyre, De vita Plotini, c. xviii), fut accueillie avec faveur par les théologiens platonisants. Elle se retrouve plus ou moins modifiée chez Origène, le pseudo-Denys et Jean Scot, saint Augustin.

1° Origène — Le maître alexandrin rejetait avec énergie les Idées subsistantes, qui ne sont, disait-il, qu’imaginations sans consistance. Les Idées existent, mais dans la Sagesse, en qui, selon le psaume, Dieu a tout fait. De princ., II, ii, 2, Koetschau, p. 30, 1. 2. Par malheur, comme on l’a vii, cette Sagesse, ce Logos, ce Fils, Idée des Idées, trop ressemblant à l’Intelligence néoplatonicienne, ne possédant déjà plus la pure unité du premier Principe, faisait figure d’intermédiaire inférieur à son Père. (Ci-dessus, col. 2333 sq.) Origène admettait, en plus des Idées et distinct d’elles, un monde autre que celui que nous voyons et beaucoup plus parfait præclarius aliquid et splendidius quam iste præsens est mundus, De princ., II, ni, 6, p. 121, 1. 21 sq., monde invisible, y.6a[xoç àôpotTOç, intelligible, votqtoç xôa(j.oç, où habitent des êtres qui ne tombent pas sous les sens, dont la beauté est accessible seulement à ceux qui ont le cœur pur. In Joan., xix, 22, Preuschen, p. 323, 324. Les habitants de ce monde transcendant, qui sont-ils ? Origène les appelle encore oùaîat, Suvdefxeiç, des essences, des puissances, vôsç, des esprits, dont l’occupation est de contempler Dieu. Seraient-ce les anges ? les âmes bien-