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PLATONISME DES PÈRES. LA TRINITÉ


des processions, par lesquelles la hiérarchie des êtres divins sort du Principe unique.

On pouvait entrer dans cette voie sans sortir de l’orthodoxie. Origène s'égara parce qu’il se souvint trop des « dogmes de Platon » ; Marcel d’Ancyre, qui lui fait ce reproche, remarque aussi que, de l’origine du Verbe, il a parlé « d’une manière trop humaine ». Dans Eusèbe, Cont. Marcellum, I. I, c. iv, n. 78, éd. Klostermann, p. 23, 1. G, il en a parlé, quelquefois du moins, à peu près comme Plot in de la naissance des dieux intermédiaires. Les Pères du iv c siècle, et spécialement les Cappadociens, malgré leurs sympathies pour Origène, ont su se préserver de ces errements ; si la philosophie leur a suggéré certains développements sujets à caution, elle n’a pas troublé leur sens très sûr de la tradition ecclésiastique : dans la Philocalie, Basile et Grégoire ne citent rien de la doctrine d’Origène sur la Trinité. D’autres théologiens utilisèrent pourtant les analyses qui, dans le néoplatonisme, décrivent la genèse de la première Intelligence, en les appliquant, non pas au Fils et au Saint-Esprit, mais aux intelligences angéliques. Saint Augustin fit cette tentative et Pierre Lombard le suivit.

Origène, les Cappadociens, saint Augustin, offrent donc l’occasion de considérer diverses attitudes de la théologie à l'égard du néoplatonisme dans la question présente. Cependant, comme l’exposé trinitaire des Pères de Cappadocea été influencé seulement parle réalisme des platoniciens et non par leurs idées sur les intermédiaires, on en parlera au chapitre suivant.

a) La spéculation néoplatonicienne menaçant le dogme ; Origine. — La théologie, dès ses débuts, avait essayé de décrire la génération du Fils en disant qu’il procède du Père par voie d’intellection, comme nous produisons nous-mêmes, lorsque nous pensons, un Aôyor. La comparaison était légitime, car elle écartait des images moins spirituelles, tout à fait indignes de Dieu. Mais, dès les débuts aussi, oubliant qu’il ne s’agissait, malgré tout, que d’une analogie lointaine et, voulant pousser trop loin l’analyse de l’intelleclion divine, quelques fervents de la gnose s'étaient exposés aux justes remontrances de saint Irénée : Id quod ab omnibus intelligitur transtulerunt in unigenitum Dei Verbum… quasi ipsi obstetricaverint, primæ generationis ejus prolationem et generationem enuntiant, assimilantes eum hominum verbo emissionis. Cont. hær., II, xxviii, 6, P. G., t. vii, col. 808 C sq. Ces spéculations téméraires et la distinction des deux Verbes insitum et prolatum, Irénée les rejette comme des imaginations dont la sainte Écriture n’a point parlé. « La vraie gnose est celle des apôtres. » Ibid., l, xxxi.i, 8.

La procession des hypostases dans la triade néoplatonicienne offrit un modèle plus attrayant et aussi dangereux. Bien que cette théorie fût connue avant Plotin — Origène subit déjà son influence - c’est dans les Ennéades qu’elle prend une forme systématique.

Pour s’en faire une idée exacte, il faut noter d’abord que, la simplicité « lu premier Principe étant incompatible avec toute opération même intellectuelle, l’Un agit non seulement nécessairement, mais sans penser : il n’a rien d’une intelligence qui, en pensant, produirait son Verbe. Le second dieu n’est donc pas la pensée immanente de l’Un, mais le produit de son activité ad extra : produit nécessaire, car c’est une loi absolue que tout ce qui est parfait rayonne hors de soi, en vertu de sa nature, un reflet de sa bonté ; produit inférieur à son Principe et par la dualité qu’il enveloppe, et par le devenir qu’implique la génération ; car c’est une autre loi également universelle : alors que l’Un demeure immuable dans son identité, les autres êtres naissent imparfaits et ne s’achèvent qu’en se retournant vers leur cause, poussés par un

désir qui est dans leur essence. Le second dieu est soumis lui aussi à cette loi de l’universel devenir. Dans un premier stade, il est seulement une matière spirituelle, une intelligence en puissance qu’une force innée porte vers son Principe qui est aussi sa Fin ; et cette tendance à la Fin est « contemplation ». Au second, grâce au mouvement de conversion par lequel il s’unit à son Père et le contemple, il trouve la perfection de sa nature : il devient intelligence, parce qu’il contemple. Sa genèse, bien que soustraite au temps, passe par deux moments : l’un, de désir et d’imperfection, l’autre de contemplation et d’achèvement.

Un chrétien pouvait-il appliquer telle quelle cette analyse à la génération du Fils de Dieu ? Évidemment, il ne le pouvait sans blasphème. Y trouvai ; -iI du moins les éléments d’une analogie ? En omettant le premier stade de tendance qui ne convient qu'à un être indigent, ne pouvait-il retenir la « conversion » et la « contemplation », et y chercher quelque lumière sur la génération divine ?

Origène l’a cru, comme le prouve un texte souvent cité mais dont on n’a pas relevé toutes les attaches avec la philosophie du temps. « Le vrai Dieu, y dit le savant alexandrin, est ô ©sôç (avec l’article). Les autres qui sont dieux à sa ressemblance sont comme les images d’un premier exemplaire. Et l’exemplaire de ces nombreuses images est le Logos, ô TCpôç tôv ©sôv èan Aoyoç, qui. parce qu’il est toujours Ttpôç tôv ©sôv, était Dieu dès le commencement, et qui ne serait pas Dieu (6eôç, sans l’article) s’il n'était npbç tô ; ©eôv, et qui ne resterait pas Dieu, s’il ne persévérait dans l’indéfectible contemplation des profondeurs de son Père. » In Joan., ii, 2, P. G., t. xiv, col. 109 B ; Preuschen, p. 55, 1. 5. Bien que le contexte se réfère au prologue du quatrième évangile, il y a, dans cette description, un trait peu remarqué qui est nettement platonicien : c’est la conversion qui tourne le Logos vers Dieu dans une contemplation sans fin, origine de sa divinité ; il ne continuerait pas à être Dieu, s’il ne persévérait pas dans sa contemplation.

Telle est, en effet, l’interprétation que donne Origène du verset de saint Jean : ô Aôyoç tjv Tcpôç tov ©sôv. Verbum erat apud Deum. Être 7tpôç tôv ©sôv, pour lui, c’est contempler les profondeurs du Père. La chose est évidente, si l’on juxtapose ces deux formules, toutes deux dans le même texte :

tco eîvoa 71pôç TÔV ©SOV àel jzsvcov ©sôç

oùx àv (i.eivaç ©sôç,

sî (X7) roxps(i.si.ve tî ; àStocXsî TtTW USX TOÙ TOXTpiXoC

fiàOouç.

Ce n’est donc pas seulement être auprès de Dieu au repos, mais se rapporter à lui, être comme en mouvement vers lui, et s’efforcer de le saisir en le contemplant. Or, c’est grâce à cette contemplation que le Logos est Dieu. Origène suggère qu’il s’empare ainsi comme de vive force de la divinité : tco npbç tôv 0eôv slvou aTtàaaç xîjç 6sôty)toç sic éccjtÔv. Ibid., col. 109 A ; Preuschen, p. 54, 1. 35. Le Fils est, à proprement parler, celui qui connaît le Père ; il cesserait d'être Dieu s’il cessait de le contempler.

Pourquoi saint Jean dit-il d’abord que le Logos était TTpôç tov ©sôv, et ensuite que le Logos était ©sôç? C’est, répond Origène, afin de faire comprendre que le Logos est devenu Dieu parce qu’il est Trpôç tôv ©sôv, i’va 8'jV7)6yj àrco toû 7rpôç tov ©sôv slvai 6 Aôyoç vo/)67)vai yivôjvsvoç ©sôç. In Joan., ii, 1, P. G., t. xiv, col. 108 B ; Preuschen, p. 54, 1. 9. On ne peut d’ailleurs pas dire que le Logos ait jamais existé sans contempler, et qu’il soit passé ànb toû lat) Tuyyâvet.v îrpôç tôv ©sôv èrà tco rcpôç tôv ©sôv s ! vat, col. 105 C ; Preuschen, p. 53, 1. 22 : cf. n. 12, col. 145 D, 148 A. C’est de toute