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PLATONISME DES PÈRES. LA TRINITÉ


essent multa rerum gênera, quibus conficitur universitas, primas et secundas et deinceps usque ad ultimas ordinalas habens creaturas, et hoc est quod dicilar omnia. De dio. quæst, LXXXIII, q. xi.i, P. L., t. xi„ col. 27.

L’importance donnée à la hiérarchie des êtres est chez les écrivains postérieurs une trace d’influence platonicienne..Mais, dans le néoplatonisme, la transcendance de la Monade ou de l’Un exigeait, en outre, qu’il ne pût produire immédiatement toutes les créatures, pas plus qu’il ne pouvait être par elles immédiatement atteint, sa simplicité répugnant à tout contact avec la multiplicité, s oir ce qui a été dit plus haut de Philon. Plutarque, Maxime de Tyr, Numénius.

De là le rang à part assigné au premier intermédiaire, le seul que, dans sa solitude, produise le premier Principe, jxôvoç fxôvov, et qui, créateur du reste, est aussi un intermédiaire nécessaire sur la voie du retour, car il est le lieu des pures intelligences ; or, c’est quand on est devenu une intelligence purifiée voûç xsxaQapuivoç, un citoyen du monde intelligible, qu’on peut s’unir au Dieu suprême (jlovoç |i.6vw. Plotin, Enn., V, i, 6 ; VI, vii, 34. Cf. Numénius, dans Eusèbe, Præp. evang., t. XI, c. xxii, P. G., t. xxi, col. 905 C.

La hiérarchie dont parle le néoplatonisme est donc essentiellement descendante ; les degrés y sont le résultat d’une dégradation. Rien qui rappelle la Trinité chrétienne. Si ce thème philosophique a exercé une influence, ce n’est point sur la théologie orthodoxe, mais sur Eusèbe, Arius, Astérius, pour qui, « la création ne pouvant participer à la main toute pure du Père », Dieu « crée d’abord, seul, un être unique seul, u.ôvoç u.6vov, pour créer ensuite, par son moyen, tout l’univers ». Saint Athanase, Cont. arianos, oratio ii, n. 24, P. G., t. xxvi, col. 200 A. C’est sur Eunomius, qui voulait que toutes choses conservassent « les unes par rapport aux autres leur enchaînement sans le transgresser, -rôv stp ; j.ôv àTvœpaëaTov, il ne faut donc point les mêler et les confondre en leur faisant violence », et qui concluait : « Seule l’essence du Père est vraiment toute-puissante, y.'ipia, celle qui vient ensuite a moins d’autorité, axupoç, et la troisième moins encore, àxitpÔTspa. » Cité par Grégoire de Nysse, Contra Eunomium, t. I, P. G., t. xlv, col. 377 AC ; cf. col. 297. Tel était l’ordre néoplatonicien. Lorsque quelque chose s’en est glissé chez les apologistes et les alexandrins, leur doctrine, qui voulait rester fidèle à la prédication ecclésiastique, n’y a point gagné en clarté et en cohérence.

2° Et, cependant, c’est presque un lieu commun des critiques modernes de comparer avec cette « triade » néoplatonicienne le dogme de la Trinité et, tout en faisant des réserves, de multiplier les points de contact. La théorie des Idées, le Bien-Un qui la couronne, l’Ame universelle qui réalise les Idées dans le monde, tout cela, disait Alfred Fouillée, est résumé « sous des formes plus pures », dans le dogme trinitaire. La philosophie de Platon, t. i, 1. IV : Le pL.tonisme dans le christianisme, nouv. éd., 1922, p. 286. Selon F. Picavet,

la doctrine de la Trinité s’est constituée en partie avec celle des hypostases plotiniennes ». Essais sur l’histoire générale et comparée des théologies et des philosophies médiévales, Paris, 1913, p. 208 ; cf. du même, Hypostases plotiniennes et Trinité chrétienne dans Annuaire de l'école pratique des hautes éludes, 1917. J. Driiseke est d’avis que, du moins à partir du ive siècle, la doctrine de la Trinité a subi de façon durable l’influence du néoplatonisme. Keuplalonisches in des Gregorios von Xazianz Trinilcilslehre, dans Byzanlinische Zeilschri/I, t. XV, 1900, p. 141.

Un fait plus impressionnant : beaucoup parmi les anciens écrivains de l'Église insistent volontiers, loin d’en être gênés, sur les ressemblances entre la Trinité

DICT. DE THÉOL. CATIIOL.

chrétienne et la trinité platonicienne. Thomassin, Dogm. theol., De Deo, t. II, c. v, cite non seulement Eusèbe, Prwp. evang., I. XI, c. xvii, xix ; t. XIV, c. v, qui est sujet à caution, dit-il, car lui-même n’a pas eu sur ce dogme des idées correctes (on pourrait ajouter, en faisant des réserves semblables, l’empereur Constantin, Oratio ad sanctorum catum, n. 9) ; mais Clément d’Alexandrie, Slromala, V, Diaynic, De Trinitate, 1. U.c. xxvi, saint Cyrille d’Alexandrie, Cont. Julian., 1. I et VIII, Théodoret, Grœc. affection, curât., serin, n ; parmi les Latins, Claudien Mamert, De statu animée, II, vii, 3, et, pour ce qui concerne la consubstantialité du Père et du Fils, saint Augustin, Confess., VII, ix, 14 ; cf. De civ. Dei, X, xxiii. Thomassin lui-même admire, que trois cents ans avant l’incarnation, des philosophes aient pu pénétrer si profondément dans le mystère divin, tam aile introspicere et penetrare poluerint in arcana Deitatis et in ipsas divinarum personarum origines. Dogmata theologica, De Deo, t. II, c. ii, n. 11.

3° Clément d’Alexandrie croyait, en effet, reconnaître le Père dans le démiurge du Timée lorsqu’il interpelle les dieux inférieurs : « Dieux, fils des dieux, dont je suis le Père… » (Tim., 41 b). Il reconnaissait le Père et le Fils dans la sixième lettre attribuée à Platon, lorsque Erastos et Coriscos (il oublie Hermias) sont invités à prendre comme témoins et garants de leur bonne entente « le dieu, chef de toutes choses présentes et futures et le père tout-puissant du chef et de la cause » (cf., sur le même texte, Origène, Cont. Cels., VI, viii, P. G., t. xi, col. 1301 B, 1304 A) ; les trois personnes enfin dans la deuxième lettre, où Platon écrit à Denys de Syracuse : « Je te parlerai en énigmes, afin que, s’il arrive à cette lettre quelque accident sur terre ou sur mer, celui qui la lira ne puisse comprendre… Voici ce qui en est… Autour du roi de l’univers se trouvent tous les êtres, autour du second les seconds, autour du troisième les troisièmes » ; sur quoi Clément fait ce commentaire : « Pour moi c’est la sainte Trinité qu’il veut signifier ; le troisième est le Saint-Esprit ; le Fils le second ; et celui qui a tout fait parce qu’il l’a voulu, c’est le Père ». Strom., V, xiv, P. G., t. ix, col. 156 AB. Saint Justin, Apol., i, 60, P. G., t. vi, col. 420 A. et Eusèbe, Præp. evang., t. XI, c. xv, t. xxi, col. 888 A, interprétaient « l'énigme » de la même manière.

Au ve siècle, saint Cyrille d’Alexandrie écrit encore, à propos de Plotin cette fois : « Nous trouverons chez les philosophes grecs eux-mêmes la connaissance de la sainte Trinité. Ils disent en effet que les trois natures sont étroitement unies entre elles, sans aucun intermédiaire et que l’Ame qui occupe le troisième rang est avec l’Intelligence qui occupe le second dans le même rapport que l’Intelligence avec le premier. » Cont. Julian., t. VIII, P. G., t. lxxvi, col. 920 C.

Une circonstance digne de remarque est que des écrivains orthodoxes parlent ainsi, même après le concile de Nicée, même lorsque les controverses trinitaires sont terminées et les formules dogmatiques définitivement établies. Ce qu’ils croient voir dans le platonisme, ce n’est pas, comme certains critiques modernes, une doctrine intermédiaire, un acheminement sur la voie de l’orthodoxie, d’où le dogme se serait dégagé peu à peu ; c’est le dogme lui-même, parfois la formule de la consubstantialité, et ils expliquent cet accord par l’influence sur les philosophes de la doctrine révélée ou du Logos divin, révélateur de cette doctrine. L’historien Socrates s'étonne même qu’un prêtre arien, un certain Georges, reste dans son erreur, alors qu’il étudie avec tant de zèle Platon. Hist. eccl., VII, vi, P. G., t. i.xvii, .col. 749 A.

Que disaient donc les « platoniciens ? » Il convient de l’exposer plus en détail.

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