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PLATONISME DES PUEMIEKS APOLOGISTES


Aussi à l'égard de la sagesse grecque, si quelquesuns font preuve d’un esprit d’opposition systématique — cet esprit ne vaut pas toujours un brevet d’orthodoxie, comme le prouve l’exemple de Tatien et de Tertullien — la plupart laissent paraître beaucoup de bonne volonté dans la recherché d’un terrain d’entente.

Ils y sont portés souvent et par leur formation et par, 1e but qu’ils se proposent. Plusieurs ont été philosophes : en quête de la vérité, ils ont passé par diverses écoles, tour à tour séduits et déçus, mais conservant de leurs expériences malheureuses le souvenir d’une culture raffinée, la culture d’Athènes, d’Alexandrie ou d’Antioche, dont ils ont subi plus ou moins la fascination. Dans ces milieux cosmopolites où se rencontraient toutes les races et toutes les religions, où elles se heurtaient parfois, c'était pourtant la tolérance mutuelle qui prévalait, encouragée dans des vues politiques par les représentants de l’empire. Devenus chrétiens, ils y sont restés inclinés. Et puis, ils « font d ? l’apologétique », c’est-à-dire qu’ils tachent de gagner des fldMes à la foi chrétienne ou du moins de la faire agréer ; par nécessité professionnelle, ils sont conciliants, cherchant le point de contact et la porte d’entrée. Pour attirer l’estime à la doctrine qu’ils représentent, quo eam vendibiliorem facerenl, comme dit Petau, Theolog. dogmata. t. ii, prref., c. ii, n. 3, ils consultent un peu le goût du jour. A d’autres époques, pour se faire écouter, il faudra parler de la Science ou de la Raison ou de la Vie ; alors, il fallait parler gnose et philosophie, et la philosophie, c'était avant tout Platon, o Platon et Pythagore », qu’on ne sépare guère, « ceux qui sont devenus pour nous comme le rempart et le soutien de la philosophie ». Justin, Dial., 5, P. G. t. vi, col. 489 A. De là, dans les ouvrages que ces apologistes adressaient aux savants, une allure plus profane, parfois une orthodoxie moins vigilante.

3. Il ne faut pas perdre de vue cet état d’esprit si l’on veut comprendre l’apparente incohérence de leur attitude, car tantôt ils protestent : « Pourquoi nous mépriser alors que nous disons ce que Platon a dit » ; ils voudraient, semble-t-il, faire oublier les différences. Justin, Apol., i, 20, col. 358 C ; Athénagore, Legatio, 6, col. 901 BC ; Origène, Contr. Ce/s., VII, lix, t. xi, col. 1504 C. Et tantôt, comme on l’a vii, ils se redressent, affirmant la supériorité du christianisme, la seule vraie sagesse, et ils insistent sur ce qui sépare.

Lorsqu’ils veulent échapper au reproche d'être des barbares, pour trouver des points de contact avec l’hellénisme, il leur arrive d’aller fort loin. Grâce à l’interprétation allégorique mise à la mode par le stoïcisme et qui avait entraîné les esprits à cet art facile et dangereux de solliciter les textes, dont Plutarque, Numénius, Maxime, Celse, offrent tant d’exemples, on se permettait d'étranges rapprochements, à la faveur desquels tout le platonisme sortait des Ecritures. Même ses Idées séparées, exemplaires immatériels des choses, Platon les avait empruntées à Moïse à qui Dieu ordonnait en ces termes de construire le tabernacle, Exod., xxv, 40 ; xxvi, 30 : Secundum formant libi in monte monstrtttam, ita faciès. Pseudo-Justin, Cohort. ad Grœcos, 26-29, P. G., t. vi, col. 288-296, après Philon. Leg. alleg., iii, 31 ; De somn., i, 35. Et saint Augustin, pendant quelque temps (il se rétracta dans la suite), crut reconnaître le monde intelligible dans le « royaume » du Christ « qui n’est pas de ce inonde ».

La même ingénieuse allégorie retrouvait dans Platon toute la doctrine chrétienne, même le jugement et les peines qui, pour les méchants, suivent la mort. même la résurrection des corps. Ps. -Justin, Cohort., 27, col. 292 A ; saint Augustin, De civ. Dei, XXII, xxviii, P. L., t. xli, col. 795 : Nonnulli nostri… amantes Plalonem dicunt eum aliquid simile nobis etiam de

resurrectione sensisse. On y retrouvait même, il faudra y revenir, la génération du Verbe, et la Trinité.

Attitude complexe mais qui n’est pas contradictoire, car, comme Justin l’explique, Apol., ii, 13, col. 46.") 15 : Les enseignements de Platon ne sont pas entièrement étrangers à ceux du Christ, mais ils ne leur sont pas tout à tait semblables », pas plus que ceux dis stoïciens et des poètes. Laissés à eux-mêmes, les philosophes s'égarent ; s’il leur arrive d'être d’accord avec la vérité, c’est en vertu do la semence du Logos divin qu’ils ont reçue en partage. Aussi tout ce qu’ils ont dit de bien nous appartient à nous chrétiens. » Il est permis de le leur reprendre, sans perdre le droit de mettre en évidence leurs inconséquences et leurs erreurs. Cf. P. de Labriolle, Histoire de la littérature latine chrétienne, Paris, 1924, introd.

2° Le platonisme des écrivains chrétiens aux diverses époques : doctrines platoniciennes et vocabulaire platonicien. — La philosophie chrétienne reprit donc son bien. L’exposé du platonisme, sous ses différentes formes, a déjà relevé un bon nombre de ces reprises qui valent à certains Pères le nom de « platoniciens.. Ce phénomène de pénétration est surtout sensible à certaines époques et dans certaines écoles.

1. Les premiers apologistes et le platonisme. a) Influence platonicienne. — Peut-on parler d’une influence platonicienne sur les débuts de la théologie chrétienne, au milieu des luttes violentes qui mettaient alors aux prises hellénisme et christianisme, à l'époque de Crescent, de Celse, de Porphyr ?, qui écrivit en quinze livres un réquisitoire contre les chrétiens, ou de l’empereur Julien, qui tenta contre l'Église uns restauration du paganisme ? Contre un tel achani-'inent (et l’on ne parle pas ici des persécutions sanglantes), toutes les énergies chrétiennes devaient, semble-t-il, se tendre dans une attitude défensive et se fermer à toute pénétration.

Et, cependant, toutes les oppositions n’excluent pas les contacts, ni même les échanges ; il reste, au fond de certaines inimitiés, un sentiment d'émulation : les adversaires alors, tout en se portant des coups sensibles, s’efforcent d’effacer une supériorité humiliante en imitant ce que, dans leurs adversaires, ils envient.

On dit aussi : la philosophie qui eût pu agir sur les premiers écrivains de l'Église n'était point platonicienne mais stoïcienne. Ce n’est qu'à partir du ive siècle que se fit sentir l’influence du platonisme ou plutôt du néoplatonisme. Harnack, Dogmengeschichte. t. i, app. iii, Der Seuplatonismus, 5e édit., p. 824 : Windisch, art. Neuplatonismus, dans Die Religion in Geschichte und Gegenwarl, l re édit., t. iv, col. 758. Il est vrai que, de Panétius, qui écrit en 140 son traité Du devoir dont Cicéron s’inspira, jusqu'à Marc-Aurèle, en passant par Posidonius, Sénèque, Épictète, le stoïcisme fut la seule doctrine qui se présenta comme un système répandu aussi bien dans le peuple que dins les classes cultivées. Mais, au iie siècle de l'ère chrétienne, un revirement se fait en faveur des platoniciens, o Grande est alors leur renommée », dit saint Justin, Dial., 2, P. G., t. vi, col. 477 C. L-' syncrétisme qu’ils enseignent se recommande de Platon et de Pythagore.

De ce platonisme on trouve la trace déjà chez les premiers apologistes. La trace seulement ; en vain chercherait-on chez eux un système. Dans la suite, à part quelques exceptions (Victorin, Synésius, Némésius), les écrivains ecclésiastiques cherchent dins la philosophie non pas la construction métaphysique pour elle-même, mais une illustration de la_ vérité chrétienne dans des vues apologétiques ou théologiques. Ils ne s’arrêtent pas à considérer la perfection de l’ensemble ni l’enchaînement des questions ; ils empruntent seulement certains détails d’utilisation inimé-