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PLATONISME DES PÈRES. LE PROBLÊME


de C. Waddington, dans le Dictionnaire des sciences philosophiques, 1885, |>. 537 sq.

2. Les humanistes et théologiens anglicans, connus sous le nom de platoniciens de Cambridge (entre 1633 et 1688), Whichcote, Smith, Cudworth, More…, furent des concordistes encore plus résolus. Frappés par la doctrine de l’extase, qu’ils comprenaient non comme une exaltation passagère, mais comme une habituelle concentration en Dieu, à cause de son amabilité, de sa perfection, de sa beauté ; ils y virent l'équivalent de cette seconde naissance qui est la justification par le Christ, le grand don de Dieu que prépare une vie vertueuse. Entre la trinité néoplatonicienne et la Trinité chrétienne ils n’apercevaient guère plus de différence. Us étaient poussés dans cette voie par la persuasion que les Grecs n’ont pas ignoré la Bible, mais aussi par une confiance exagérée en la raison humaine, qui effaçait les frontières entre la religion naturelle et la religion révélée, les dogmes de la seconde n'étant pas moins « raisonnables », comme ils disaient, que les vérités enseignées par la première. Cf. J. A. Stewart, art. Cambridge platonists, dans Encyclopœdia of religion and ethics de Hastings.

L’ouvrage de Cudworth, The true intellectual système oj the universe, Londres, 1678, fut traduit en latin, annoté et critiqué en 1733 par Jean-Laurent Mosheim qui avait écrit déjà, en 1725, son De lurbata per recentiores Platonicos Ecclesia. Tandis que, selon R. Cudworth, la vraie doctrine des trois principes divins — celle de Platon et non pas celle que ses disciples avaient altérée — n’a rien de contraire à l’orthodoxie chrétienne, christianorum nullo modo adversatur dogmati, Mosheim repousse au contraire toute analogie et accuse le docteur de Cambridge de s'être laissé luimême séduire, jusqu'à mettre une différence de degré et de dignité entre les trois personnes de la sainte Trinité. Induxit, quod evidens est, in hune errorem magnum hominem nimius p’atonici dogmatis amor. Il a trop aimé Platon. C’est la cause de son erreur. Sgstema intellectuale hujus universi, traduct. de J.-L. Mosheim, 2e édit., 1773, præfatio Moshemiii, p. xxxv ; cf. t. i, c. iv, n. 36, p. 845.

3. N. Souverain, ancien ministre calviniste de Poitiers, destitué comme arminien, dans un livre publié en 1700 et qui fit scandale, s’efforçait d'établir, entre le dogme et le platonisme, non seulement un accord mais une fâcheuse dépendance ; à l’en croire, très vite la pureté du christianisme fut altérée par le fait de plusieurs Pères de l'Église, qui, d’abord platoniciens, l'étaient toujours restés, même après leur conversion. Ainsi, ce que Justin ou Athénagore, Théophile, Clément d’Alexandrie, Origène ont dit de la Trinité ou du Verbe, ils le tenaient de Platon. C'était la thèse soutenue dans L° platonisme dévoilé, ou essai touchant le Verbe platonicien, Cologne, 1700.

4. Les théologiens catholiques.

Plusieurs parmi eux étaient entrés dans la voie du concordisme avec indiscrétion : ils ne pouvaient parler de la sainte Trinité sans invoquer Platon, Numénius, Plotin ou Hermès Trismégiste, citant un petit nombre de textes, toujours les mêmes, par exemple, Gilles de Viterbe, dans son Commentaire sur le I a livre des Sentences, selon l’esprit de Platon (vers 1510), cf. Paquier, Un essai de théologie platonicienne à la Renaissance, dans Recherches de science religieuse, 1923 ; Fr. Hannibal Rosselli, ordinis minorum regularis observantiæ, theologiæ et philosophiæ professoris ad S. Bernardinum Cracovire, Pymander Mercurii Trismegisli cum c.ommento. Liber primus de SS. Trinitate, Cracovie, 1585.

De bons esprits s’alarmèrent. Bellarmin déconseillait même à Clément VIII de faire enseigner à l’université romaine de la Sapience la philosophie de Platon, dangereuse, disait-il, justement parce qu’elle semble

ne pas l'être, à cause de ses affinités avec le christianisme, ("était faire œuvre de préservation ; il fallait de plus, par une étude critique, mettre au point des rapprochements qu’on multipliait avec beaucoup de légèreté. Petau mit sa science au service de cette cause nécessaire. Voir, dans le t. n des Theologica dogmala, paru en 161 1, les premiers chapitres du t. I, c. i : Quid de Trinitate veteres pliilosophi, præserlim platonici, tradiderint… ; c. n : De Trinitate quemadmodum Philo Judieus ac Mercurius Trismegislus senserint. Là, il déplorait, il exagérait peut-être un peu, la béate admiration qui jette certains des nôtres pour ainsi dire dans les bras des platoniciens, au détriment de la vérité et non sans danger pour l’intégrité de la foi et concluait au sujet de l’un d’entre eux ce qu’il pensait de tous, que jamais il n’aurait écrit comme il l’a fait, s’il avait lu un peu plus attentivement les œuvres de Platon et de ses disciples. C. ii, n. 6. Cf. Galtier, Petau et la préface de son De Trinitate, dans Recherches de science religieuse, 1931, p. 469 sq. Malgré ces mises au point, les mêmes tendances se retrouvent ensuite à l'égard du platonisme, ou d’indiscrète complaisance ou d’intransigeante sévérité.

Ainsi Thomassin, dans la préface du t. i cr de ses Dogmata theologica (1684), après avoir rappelé les jugements flatteurs de saint Augustin et de Baronius qui voyaient dans l’Académie comme un vestibule de l'Église chrétienne, déclarait que, dans son ouvrage, il était resté lui-même attaché, autant que possible, à la pensée platonicienne : Id nos quidem mordicus retinuimus ut Platonicorum non placita tantum, sed et verba ad Scriplurarum et sanctorum Patrum norman trulinaremus et sicubi dissonarent, castigaremus. Præjatio, x. Pour se convaincre qu’il a tenu parole, il suffit de jeter un regard sur son œuvre, par exemple, Dogmala theologica, t. iii, tract. II, De divina et sanctissima Trinitate, c. xxxiv : An anliquis philosophis, maxime platonicis, illuxerit (ides vel doclrina sanctissimse Trinitatis ; c. xxxv : Ex Platone ipso confirmantur antedicta. Quam mulla et quam preeclara antiquissimis philosophis illuxerint de Trinitate ; c. xxxvi : Philonis Judeidoclrina de pluribus unius summee Deitatis hgpostasibus et personis. Cf. t. i, t. II, c. v.

Thomassin parle dans le De Deo, t. II, c. v, n. 2, de certains textes de Plotin cités par Eusèbe, ex quibus consubstantialitas sane exseulpi possit Patris et Verbi, si molli pollice nec amante contentionis animo ea tractentur. De cette bonne volonté il fit preuve tout le premier, et le « coup de pouce » même, il n’a pas hésité à le donner.

Dans un sens opposé, le jésuite Baltus écrivit en 17Il la Défense des SS. Pères accusez de platonisme, en réponse à Souverain et plus encore à Jean Le Clerc qui, dans sa Bibliothèque universelle (t. x, 1688), se montrait, lui aussi, « entêté » des mêmes chimères. Mais, entraîné par la polémique, pour ruiner, en même temps que le prétendu platonisme des Pères, les sociniens, qui « en ont fait le fondement de leur ; blasphèmes » (t. IV, c. i, p. 427), Baltus prétendit que, dans aucune école de l'Église primitive, pas plus à Alexandrie qu'à Césarée, Édesse ou Nisibe, on ne s'était attaché et on ne pouvait s’attacher à une secte philosophique, car elles étaient toutes païennes ; bien plus, que les Pères s'étaient toujours abstenus d’employer des expressions platoniciennes, car jamais, disait-il, ils ne s'écartèrent du langage de l'Écriture, quand il s’agissait de religion. L. IV, c. x, p. 507.

La réponse dépassait le but : elle niait une influence de l’hellénisme, que le P. Petau avait admise dans une certaine mesure ; c'était sortir d’une voie où tôt ou tard, avec prudence, il faudrait rentrer. Voir, sur Baltus, les sévères remarques de Jacques Brucker, Historia critica philosophiæ, t. iii, p. 396 sq. ; et sur