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    1. PLATONISME DES PÈRES##


PLATONISME DES PÈRES. LE PROBLÈME

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par la traduction de Rufin ; Clément d’Alexandrie' est quelquefois cité. Mais aucun Père n’atteignit à la notoriété de saint Augustin et du pseudo-Denys, comme le prouvent pour Augustin les manuscrits de ses œuvres datant de cette époque et les catalogues des bibliothèques, et pour le pseudo-Denys, des traductions et des commentaires très nombreux. Peutêtre. l’intluence de ce dernier n’a-t-elle pas été de tout point excellente ; on ne saurait douter qu’elle fut considérable. Ses ouvrages furent envoyés une première fois, vers 758, par le pape Paul I er à Pépin le Bref, une seconde fois, en 827, par le basileus Michel le Bègue à Louis le Pieux (G. Théry, L’entrée du pseudoDenys en Occident, Mélanges Mandonnet, t. ii, 1930, p. 23 sq.). Hilduin les traduit en latin (après 842), puis Scot Érigène (vers 877). La condamnation de leur traducteur eût pu les atteindre et arrêter l’expansion des idées néoplatoniciennes. Il n’en fut rien. Jean Sarrazin le traduit de nouveau au xii° siècle, et Robert Grosseteste, du moins en partie, au xme. Hugues de Saint-Victor commente la Hiérarchie céleste. Thomas Gallus de Verceil, qui enseigne aussi à Saint-Victor au début du xiii c siècle, fait paraître un commentaire et des Extractiones qui jouissent encore au xv c siècle d’une grande réputation. Tous les mystiques le considèrent comme un maître. Sur les écrits aréopagitiques, voir Viller, La spiritualité des premiers siècles chrétiens, Paris, 1930, p. 130 sq., sur leurs traductions latines, Grabmann, Mittelallerliches Geistesleben, 1926, p. 449 sq.

6. On ne peut penser à suivre ici jusqu’au bout ces influences plus ou moins pénétrantes du « platonisme ». En Orient, elles passent par les Pères alexandrins, les Cappadociens, Évagre, Denys, saint Maxime le Confesseur, dont l’action fut si profonde sur la mystique byzantine.

En Occident, on les reconnaît chez Scot Érigène, qui se forme lui aussi en dépendance de Denys, de Maxime, de Grégoire de Nysse, mais plus encore de saint Augustin. (Jacquin, Le néoplatonisme de Jean Scot. dans Revue des sciences phil. et théol., 1907) ; chez Odon de Tournai, qui, au xre siècle, base sur le réalisme outré son explication de la production des âmes et de la transmission du péché originel (voir son article) ; chez saint Anselme sur qui l’influence d’Augustin est prépondérante (Cayré, L’idée de Dieu, dans la philosophie de saint Anselme, Paris, 1923, c. m et iv) ; dans l'école de Chartres, où l’on se souvient des Idées et du Noys divin et de la nature qui forme toutes choses selon le modèle des Idées qu’elle contemple dans le Noys, et de la sympathie qui enchaîne les parties de l’univers, où le supérieur rayonne sa perfection sur les inférieurs ; dans les théories mystiques des victorins ; dans l’augustinisme platonisant ou avicennisant ; chez Albert le Grand, commentateur de Denys et du Liber de causis et chez son disciple Ulrich de Strasbourg : « les deux premiers livres de la Summa de Bono constituent un véritable commentaire des Noms divins dupseudo-Aréopagite ». Cf. Théry, Originalité du plan de la Summa de Bono d’Ulrich de Strasbourg, dans Revue thomiste, 1922, p. 376 sq. ; cf. Grabmann, Studien iïber Ulrich von Strassburg. Hilder ivissenschaf thches Lebens und Strebens aus der Schule Alberls des Grossen, dans Mittelallerliches Geistesleben, Munich, 1926, p. 202-216.

Chez saint Thomas lui-même des éléments platoniciens pénétrèrent ou demeurèrent. Comment pouvait-il en être autrement, alors qu’il commente lui aussi les Noms divins du pseudo-Denys, le Liber de causis (on dit qu’il allait entreprendre un commentaire du Tintée quand la mort le frappa), alors qu’il cite Denys à peu près 1700 l’ois (cf. Durantel, Saint Thomas et le pseudo-Denys, Paris. 1919) et saint

Augustin presque autant. Cf. v. Hertling, Augustinuscilate bei Thomas von Aquin, Munich, 1904. Comment un peu de néoplatonisme ne serait-il pas resté? Il en est resté plus qu’on ne pense parfois.

III. L’ATTITUDE DES ÉCRIVAINS CHRÉTIENS EN

FACE du platonisme. - L’apologétique se renouvelle à mesure que se transforment les attaques ou les besoins auxquels elle doit faire face. Aujourd’hui, un rationalisme négateur essaie de rejeter le christianisme dans l'évolution d’une pensée religieuse dont il ne serait plus qu’une époque, un moment, que sufliraient à expliquer ses antécédents dans le temps et dans l’espace : il importe donc de mettre en relief l’originalité de la révélation, ce qu’elle apporta de nouveau et d’imprévisible. Autrefois, des Grecs, fiers de leur primauté intellectuelle, excluaient avec mépris la foi nouvelle du domaine du savoir : alors, on s’efforçait au contraire de montrer qu’il n’y a pas tant de différences entre la Bible ou l'Évangile et la sagesse profane. On cherchait, on forçait les rapprochements, sans y voir aucun danger, car on expliquait que ce qu’il y a de vrai chez les philosophes avait été pillé dans l’Ancien Testament. Mais la méthode comparative est une arme à deux tranchants : le reproche de plagiat fut retourné contre l'Église par les païens des premiers siècles, puis par les rationalistes de la Renaissance. Au xix c siècle, on en arrive à dire que, tout ce qu’il y a dans le christianisme de doctrines précises, de dogmes, de rites, d’observances, vient de l’hellénisme, et particulièrement de la philosophie platonicienne. Qu’il y ait eu des points de contact entre le « platonisme » et le christianisme, on n’en saurait douter. Mais quelle est la nature et l'étendue de ces relations ? et comment faut-il les expliquer ? — 1. Historique des controverses à ce sujet. 2. Attitude réelle des écrivains chrétiens (col. 2300). 3. Platon, père des hérésies (col. 2318).

I. BREF EXPOSÉ HISTORIQUE DES CONTROVERSES A ce.sujet. — 1° Au.r premiers siècles de l'Église. L' Écriture sainte et Platon. Ressemblances et plagiai. — 1. Bien avant qu’il y eût une spéculation chrétienne, chez les juifs, la question était déjà posée des rapports du platonisme avec la doctrine révélée. Cent cinquante ans à peu près avant l'ère chrétienne, Aristobule assurait au roi Ptolémée Philométor que Platon et Pythagore avaient connu et utilisé l’Ancien Testament, comme Orphée, Hésiode et Homère. Clément d’Alex., Strom., i, xxii, P. G., t. viii, col. 893 A ; Eusèbe, Prsep. evang., l. VIII, c.x ; l.XIII, c.xii, / >, G., t. xxi, col. 637 A, 1097 A. C'était une thèse chère aux juifs hellénisants, qui répondaient ainsi au dédain des Grecs pour tout ce qui était « barbare ». Cf. Philon, Quisrer. div. hères, 43, éd. Wendland, p. 48, 1. 19 sq. : Quod omnis probus liber sit, 8, éd. Cohn et Reiter. p. 16, 1. 2 ; -De wlernitate mundi, 4 et 5, éd. Cohn et Reiter, p. 76 sq. ; Schùrer, Geschichle des jùdischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi, 3e éd., t. iii, 1898. c. vu : Jùdische Propaganda unter heidnischer Maske.

2. La thèse fut reprise par les docteurs chrétiens. Beaucoup s'étonnent, remarque saint Augustin, que Platon ait parlé de Dieu d’une manière qui se rapproche fort de ce qu’enseigne notre religion. De civ. Dei, VIII, xi, P. L., t. xli, col. 235. Pour les rassurer, on reprenait l’ancienne explication : Platon et Pythagore ont connu les livres de Moïse, « leur désir de savoir les ayant conduits jusqu’en Egypte », et ils leur ont fait de larges emprunts. Ainsi parlera Cyrille d’Alexandrie, Cont. Julian., t. II, P. G., t. lxxvi, col. 573 A : ainsi parlait déjà Justin : ce que Platon dit de la liberté, ce que les philosophes grecs disent de l’immortalité de l'âme, des peines qui suivent la mort, de la contemplation des choses célestes, ils l’ont pris aux prophètes. Apol., i, 44, P. G., t. vi, col. 396 A : cf.