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PLATON [SME. LES DOCTRINES DE PLOTIN


du néoplatonisme étaient déjà dessinées. Plotin les jjrécisa et les coordonna.

/II. FLOTIH (203-269 après J.-C). — La philosophie de Plotin nous est conservée en cinquante-quatre traités que Porphyre, après la mort de son maître, publia en six Ennéades ou groupes de neuf chapitres, joyeux d’une joie toute pythagoricienne d’avoir ainsi trouvé le produit du nombre parfait six, par le nombre parfait neuf.

Elle systématise sous une forme très abstraite les relations de l’Un et du multiple. Son influence s’est propagée surtout au moyen de quelques principes, qui se trouvent aussi bien dans Proclus (et le Liber de causis) que dans Plotin. et qui, sans être leur apanage — la couleur pythagoricienne y est au contraire nettement accusée — sont arrivés pourtant aux écrivains chrétiens par leur intermédiaire. Ils offrent un cadre commode pour l’exposé du système, dans la mesure où il intéresse la théologie.

1° Le primat de l’unité. Au-dessus du multiple, il y a l’Un. — Plotin est bien de la descendance de Platon. Volontiers, il dirait avec le maître dont il aime à invoquer le témoignage : « S’il est quelqu’un qu’on doive combattre avec toutes les forces du raisonnement, c’est celui qui abolit la science, la pensée claire ou l’intelligence, quelque thèse qu’il prétende affirmer à ce prix. » Soph., 249 c. Pour lui, il croit à l’existence de cette Intelligence, qui garantit la science véritable, et dont il fait le lieu des Idées, l’unité des esprits, le plus beau des êtres. Il l’admet sans essayer même de la prouver. N’est-elle pas le soleil du monde intelligible, et l’on ne prouve pas l’existence du soleil. Enn., V, m, 17.

Mais l’Intelligence (c’est un trait qu’il est beaucoup plus difficile de retrouver dans Platon, bien qu’on s’y essaie) ne se suffît pas à elle-même et ne saurait, par conséquent, être la raison dernière de tout. Car, même si on la conçoit à la manière d’Aristote, comme une pensée pure qui se pense elle-même, elle implique un contenu, donc dualité d’intellect et d’intelligible. Or, toute pluralité n’est qu’en vertu de l’unité. C’est l’unité qui est première. Il faut donc qu’au-dessus de la pensée, il y ait comme premier Principe l’unité pure. III. viii, 8 et 9 : III, ix, 9. Plotin croit, pour la même raison, qu’elle est au-dessus de l’être. VI, ii, 1.

Jamais la théologie chrétienne n’admit, sans les distinctions fournies par la doctrine de l’analogie, que Dieu est au-dessus de l’intelligence et de l’être. Elle accueillit pourtant le principe que toute pluralité vient de l’unité et lui est postérieure. Ce principe est passé par Proclus (Inst. theol., c. v) au pseudo-Denys l’Aéropagite (De div. nom., xiii, 2, P. G., t. iii, col. 980 A) et, de là, dans la scolastique. Saint Thomas en tire même un argument pour l’existence d’un Dieu unique, créateur de toutes choses, non seulement, comme on l’a dit, dans le Commentaire des Sentences, I Sent., dist. II, q. i, a. 1, mais même dans la Somme théologique, I a, q. xliv, a. 1 : Necesse est igitur omnia quæ diversiflcantur secundum diversam participalionem essendi… causari ab uno primo ente quod perfectissimum est ; unde et Plato dixit quod necesse est ante omnem multiludinem ponere unilatem. Cf. De potentia, q. iii, a. 5. Saint Bonaventure disait de même : Quod enim summe unum est, est omnis multitudinis universale principium. Itin., c. v, n. 7 : cf. Hexæm., coll. x, n. 16 ; / Sent., dist. XIX, part. 1, a. un., q. i.

Une autre conséquence est que plus un être est proche de l’unité, plus il est parfait, et plus largement aussi son action s’étend. Quanto enim aliquid est simplicius, tanto virtus ejus est minus limitata ; unde ad plura se extendit sua causalilas. Et ideo in lilr : i De causis dicitur quod omnis virtus unita plus est infinita quam virtus mulliplicata. De pot., q. vii, a. 8. Il est

remarquable que, quand il énonce ce principe, saint Thomas se réfère au Liber de causis, n. 17 (cf. ibid., n. 9 et Proclus, Inst. theol., c. clxxvii). L’Un absolu est infini. Il y a là un point de contact entre le néoplatonisme et le thomisme.

2° La nature de l’Un, principe suprême. — Puisqu’il est nécessaire d’exclure de l’Un toute multiplicité, il faut se garder de poser en lui aucune détermination, mais se résigner à n’en saisir que des caractères purement négatifs. Il n’est rien de tout ce que nous connaissons, car tout ce que nous connaissons est limité et déterminé. Le premier Principe, selon Plotin, est incompréhensible et transcendant. C’est pourtant une erreur de ne voir en lui, comme on le fait trop souvent encore, que l’indéterminé au comble do l’indigence, « la chose dépouillée par le dernier effort de l’abstraction de la dernière de ses qualités » (Boutroux, J. Bœhme, p. 255), l’abîme où, dans le vide, a sombré toute réalité.

S’il est au-dessus de l’Intelligence, c’est, on l’a dit, que l’intelligence suppose la dualité de sujet et d’objet ; s’il est au-dessus de l’Être, c’est pour la même raison, et parce que l’être n’est pas un, VI, ii, 1 ; s’il n’est pas un acte, c’est dans la mesure où l’acte inclut une tendance vers un bien meilleur ; bref, si on lui refuse toutes les déterminations, c’est pour écarter plus sûrement de lui les tares qu’elles impliquent dans les objets de notre expérience, la multiplicité, la dépendance, qui sont inconciliables avec sa pureté, sa simplicité, son absolue suffisance. Mais, en faisant les corrections nécessaires, on pourrait dire, et Plotin le dit, qu’il est en quelque manière intelligence, être, acte et hypostase, oîov vouç, olov oùaiot, olov évspYeioc, olov ÙKÔoTocaiç. VI, viii, 7 et 16.

On peut même trouver dans les Ennéades, en certaines formules extraordinairement condensées, comme une transcription métaphysique de la vie intime de cet Un transcendant : Il est identité pure, « le même » qui n’est aucunement « autre », sans mélange de différence, car il est simple. Dès lors, toute analyse de son essence est une tentative illusoire ; de lui on ne peut que répéter : il. est « lui-même, lui-même, par delà l’être » : aÙToç xai ÛTCpovTCùç aÛTÔç, VI, viii, 14 ; incapable de changement, il demeure : son nom est permanence, u.ovt) èv ocjtw. VI, viii, 16. Cette immobilité n’est pourtant pas l’immobilité de la mort : on doit dire, au contraire, qu’il est activité pure, mais en dehors du changement et du temps. Il se fait lui-même, ia-iv outoç ô Ttotcov éoojtSv. VI, viii, 15. Il se connaît aussi lui-même, par une intuition qui est moins une pensée qu’un contact, qu’on peut appeler une surpensée, ij7tspv67]ciç, VI, viii, 16, et qui introduit dans l’identité du premier Principe une certaine conscience, par laquelle il existe pour lui-même ccjtciç… a’JTÔi. VI, viii, 17. L’Un est la lumière lumineuse par elle-même et pour elle-même, l’unité transparente qui se possède. V, v, 7 ; VI, vii, 36. Tourné tout entier vers lui-même, il se porte en quelque sorte vers ses propres profondeurs. VI, viii, — 16. Cette orientation intime qui trouve en soi son terme vsûa’.ç ocùtoû 7ïpôç ocùtov, qu’est-elle, sinon un amour qui n’est pas un besoin et la complaisance en un bien qui n’est pas extérieur ? L’Un est amour comme dira aussi le pseudo-Denvs, amour de soi, eocoç 6 aù-rôç, xal oojtoû ëp w Ç-VI, vm, 15.

Cette vie intime de l’Un nous reste fort obscure, car nous n’imaginons la simplicité que par appauvrissement ; et, pourtant, il faut admettre que, si la perfection de l’être et de la vie se mesure à l’immanence des opérations, elle est la perfection même.

Sous l’influence de ce platonisme mélangé de pyth’agorisme, la théologie chrétienne appellera volontiers Dieu l’Un ou la Monade. Origène, De princ. I. i. 6.