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PLATOiNISME. LES CONCEPTIONS PLATONICIENNES


une bonne vie, se la rendre favorable par des offrandes.

Sans entrer en des recherches minutieuses, les théologiens amis de Platon ont retenu cela. Ils ont retenu aussi que Dieu est bon, qu’il est le soleil du monde invisible, donnant aux Idées leur intelligibilité, donc leur être, et à l’intellect la pensée, Rép., VI, 508 a509 c, qu’il est difficile à voir, non parce qu’il est obscur, mais au contraire à cause de son éclat, étant toû ôvtoç to cpocvciTa-rov (ib., VII, 518 c, 532 c) ; Justin, Clément d’Alexandrie, Grégoire de Nazianze, ont même retenu que Dieu est au delà de tout être eTtsxstva rijç oùalocç, ibid., VI, 509 b, à cause de son excellence même.

3. Les dieux de Platon.

Mais les Pères de l’Église se souviendront aussi que Platon, s’il veut voir enseigner aux jeunes gens que Dieu est essentiellement bon, vrai, immuable, Rép., l 1, 379 ab, prodigue ce nom sacré sans retenue et montre envers la mythologie populaire une excessive condescendance. Pour lui, en elfet, non seulement les Idées sont divines, ainsi que l’Intellect qui puise en elles l’intelligibilité qu’il communique à l’âme et au monde, mais l’âme et le monde sont dieu, et le soleil et les astres, en raison de l’ordre dont témoignent leurs mouvements. Il y a aussi les dieux qui se rendent visibles dans la mesure où ils le veulent, ceux de la mythologie populaire dont la République fait le procès II, 364 fc-379), mais dont les Luis maintiennent le culte traditionnel. Coupable faiblesse ! péché contre la lumière ! prononcent les Pères. En vérité, on peut se demander avec M. Diès (Autuur de Platon, p. 575), « qu’est-ce qui n’est pas dieu pour Platon ? »

Et, de fait, tout est dieu, dans la mesure où il est intelligible, dans la mesure où il participe de l’être, de l’ordre et de la beauté, image plus ou moins ressemblante mais qui garde toujours quelque chose de son modèle, aussi longtemps qu’elle n’a pas franchi la frontière du non-être, cette matière ténébreuse en qui ne paraît plus aucun vestige de l’Intelligence. Jusque-là, plus ou moins, tout est divin. Est-ce à dire seulement que tout ce qui est participe de Dieu ? La pensée était familière à tous les Pères de l’Église, mais comprenaient-ils la participation de la même manière que Platon ? Cf. J.-M. Lagrange, O. P., Platon théologien, dans Revue thomiste, 1926, p. 189-219 ; A. Bremond, De l’âme et de Dieu dans la philosophie de Platon, dans Archives de philosophie r vol. ii, cahier 3, 1924.

Les rapports de Dieu et du monde.

1. Le monde

sensible est soumis au devenir et, par conséquent, il est né ; donc, il a une cause. Le Démiurge divin est cette cause. Quelle est la nature et l’étendue de son action ?

Avant que se fît sentir son influence, il y avait déjà quelque chose, mais désordonné, sans mesure, ni repos, « "comme se trouve naturellement tout ce dont Dieu est absent ». De ce chaos agité de forces anarchiques, par le moyen des Idées et des nombres, ayant mis l’Intellect dans l’Ame, et l’Ame dans le corps, Dieu fit un Tout, le plus beau et le meilleur. Et l’ordre succéda au désordre. Timée, 30 ab, 52 de, 53 ab, 69 b.. Il est vrai que, dans le Timée, la question est traitée à la manière d’une cosmogonie, selon les lois d’un genre littéraire dont la couleur mythique est fortement accusée ; ici, plus qu’ailleurs peut-être, on a peine à faire la part de la vérité affirmée et d’une imagination, l’une des plus fantaisistes qui furent jamais. Et, cependant, l’opposition entre la nécessité et l’ordre, entre la matière et l’esprit, est un motif qui revient si fréquemment, qu’il impose le dualisme comme un trait platonicien.

2. Les Pères aimeront à rapprocher la terre « informe et nue » dont parlent les Livres saints et la « nourrice »

du Timée, que secouent des forces en déséquilibre. .Mais la Genèse a commencé par dire : « au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ». Et cela Platon ne le dit pas. Son Démiurge ordonne, orne, dirige, il ne crée pas. Bien plus, il ne façonne pas tout l’univers par lui-même, mais fait achever une partie de la tâche par les dieux inférieurs.

Du moins, Dieu est-il le grand artisan « exempt d’envie », qui a produit le monde par pure bonté ? Plusieurs ne demandent pas de précision. Tel saint Justin : quand Platon dit que Dieu a ordonné une matière informe et fait le monde, il répète exactement les paroles de Moïse, le premier des prophètes : « au commencement, Dieu fit le ciel et la terre, et la terre était invisible et sans ordre ». Apol., i, 59, P. G., t. vi, col. 416 B. Tel aussi Clément d’Alexandrie : « Quand Platon, dans le Timée, parle de l’auteur et du père de cet univers, il déclare non seulement que le monde a commencé, mais qu’il a son origine en Dieu, comme un fils ; il a Dieu pour père, c’est-à-dire qu’il vient de Dieu seul et a été fait du néant. » Strom., V, xiv, P. G., t. ix, col. 136 AB.

3. A d’autres, par contre, il n’échappait pas que le Dieu de Platon n’est pas créateur, mais seulement ordonnateur, et qu’en face de lui, éternelle comme lui, il existe une matière informe. Le dualisme à tendances manichéennes trouvait là un point d’appui. De plus, ce Démiurge n’est-il pas inférieur à Dieu ? Certains passages du Timée pouvaient le faire croire. Des hérétiques comme Marcion le crurent et opposèrent le créateur du monde au Dieu suprême. Neque super Demiurgum requiras quid sit, non enim invenies, lui rappelle saint Irénée. Cont. hær., II, xxv, 4, P. G., t. vii, col. 799 C. Enfin, le Démiurge de Platon ne produit pas toutes les âmes par lui-même, mais laisse faire une partie du travail aux dieux second-lires. Ainsi, pour les gnostiques, ainsi pour Arnobe, peu vers ? dans la science des saintes Écritures, l’auteur di l’âme n’est pas le Dieu souverain. Adv. gentes, t. II, c. xxxvi, P. L., t. v, col. 866 A. La porte était ouverte aux intermédiaires. Ils pénétrèrent nombreux dans le platonisme postérieur, et ne furent pas sans influence sur l’arianisme et sur les formules subordinatiennes des apologistes et des premiers alexandrins.

L’âme.

1. Au fond, ce qui domine la doctrine

de l’âme humaine (chez Platon), c’est le sentiment que, par ses fonctions supérieures, la pensée de l’homme est directement unie au divin. Par quel mécanisme ? Platon ne se flatte pas de nous l’apprendre en détail. Il lui suffit d’avoir éveillé en nous, par un choix réfléchi de nobles images, cette aspiration inextinguible à une destinée plus haute, qui est le mobile suprême de l’humanité. Rivaud, Timée, p. 89.

Et, de fait, les premiers théologiens furent frappés surtout par des passages comme celui du Timée, 90 a. qui déclare, au sujet de l’âme intelligente, que « le Dieu en a fait cadeau à chacun de nous comme d’un génie divin », et qu’ « elle nous élève au-dessus de la terre en raison de son affinité avec le qiel, car nous sommes une plante non point terrestre, mais céleste ».

L’âmeest donc capable de se hausser jusqu’aux choses divines parce qu’elle leur est apparentée. A la suite de Platon, Clément d’Alexandrie, s’appuyant sur le principe que le semblable cherche le semblable, répète que, si l’on peut inviter l’homme à la connaissance de Dieu, c’est parce qu’il est une « plante céleste », Prolrept., x, P. G., t. viii, col. 216 A ; sinon tous ses efforts seraient vains. Et Grégoire de Nazianze : « Puisque l’âme est une émanation divine qui nous est venue d’en haut (j’en crois ce que disent les sages), l’âme tout entière ou du moins sa partie maîtresse et son pilote, l’esprit, un acte lui est naturel et un seul :