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PLATONISME. LES CONCEPTIONS PLATONICIENNES

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gible ; c) la production <lu monde ; d) la théorie de la’vie intérieure ; e) la théologie négative et la vision de 1 >ieu.

Ces doctrines, telles que les enseignaient les platoniciens, ont-elles pénétré dans le dogme pour l’enrichir ? Bien plus, les dogmes, même spécifiquement chrétiens, sont-ils seulement, comme le voulait Harnack, des constructions de l’esprit grec sur le sol de l’Évangile ? ou bien les premiers théologiens, sans rien trouver dans la philosophie de « Platon » qui pût sérieusement faire penser à la doctrine révélée, en ont-ils reçu seulement, avec, le goût des choses qui ne se voient pas, un excitant à en rechercher la connaissance et la possession, et des formules souvent heureuses pour exprimer eprtaines vérités religieuses accessibles à la raison ? C’est le problème du « platonisme des Pères ».

I. APERÇU GÉNÉRAL.

1° Le platonisme tel que l’ont connu les Pères. 2° Comment les écrivains chrétiens ont-ils eu connaissance du platonisme (col. 2287) ? 3° L’attitude des écrivains chrétiens (col. 2291).

I. Exposé du platonisme tel que l’ont connu les Pères. — 1. Le platonisme de Platon. 2. Le platonisme au iie siècle de l’ère chrétienne (col. 22(39). 3. Plotin (col. 2275). 4. Après Plotin (col. 2282).

I. LE platonisme de PLATON.

Étonnamment riche, suggérant volontiers par le mythe, comme des philosophes nos contemporains par des métaphores, ce que les concepts sont impuissants à traduire, la pensée de Platon défie tout essai de systématisation. Comment même fixer la physionomie paradoxale de ce grand poète qui se complaît à étaler les méfaits de la poésie, de ce moraliste qui fait un devoir de fuir loin du monde et qui se préoccupe avec amour de l’organisation économique et politique des États, de ce métaphysicien, idéaliste jusqu’à l’utopie, de ce chantre des choses invisibles, dont les yeux restent grand ouverts sur la vie, à la fois psychologue pénétrant, observateur aigu, dont on a pu dire que chez lui le sens des réalités est bien plus développé que chez le « réaliste » Aristote ? Cf. Perceval Frutiger, Les mythes de Platon, 1930, p. 272, note 2.

Bien rare fut, dans l’antiquité, le souci critique de reconstituer un système avec toutes ses nuances. Les Pères de l’Église ne l’ont pas eu. N’étudiant pas la philosophie pour elle-même, ils n’en ont retenu que ce qui les intéressait ; or, ils étaient théologiens. Si on la reconstituait au moyen des emprunts qu’ils lui ont faits, la doctrine des Dialogues se réduirait aux seuls éléments capables de recevoir une interprétation religieuse : une certaine conception de la philosophie, la théorie des Idées, la dialectique, le problème de Dieu et de ses rapports avec le monde, la vie de l’âme, la morale et la destinée. Voilà ce qui intéressait alors les chrétiens cultivés et ce qui doit nous retenir.

Quelle est la chronologie exacte des Dialogues ? Ne témoigne-t-elle pas d’une évolution dans la pensée ? Y eut-il quatre étapes ou cinq dans le développement intellectuel de Platon ? Voir art. Plato and platonism, n. 4, dans Encijclopsedia of religion and ethics de Hastings, t. x, p. 57. Les chrétiens des premiers siècles ne se sont point posé ces questions.

La conception platonicienne de la philosophie.


1. « Les vrais philosophes, qui sont-ils, d’après toi ? » demande Glaucon dans la République, V, 475 c. — Et Socrate répond : « Ce sont les amants de la vérité, qui cherchent à la contempler. » Ils cherchent, poussés par le plus impérieux désir, car ils ont reconnu que la possession de la vérité est le bonheur. La philosophie, selon Platon, se donne pour but de procurera l’homme ce que la sophistique lui promettait et ne lui a pas donné, ce qu’il cherche pourtant avec passion : la science et une règle de vie. Loin d’être une spéculation

purement théorique, elle tient de très près à la conduite de la vie, comme chez Socrate qui avait laisés de côté les recherches sur la constitution de l’univers pour se consacrer à la morale, tout en fondant cette morale sur le savoir. Elle est le passage de l’obscurité à la lumière, une conversion, une ascension. Rép., VII, 521 c. Vraie < chasse à l’être », mais aussi par voie de conséquence, détachement, sortie, éloignement des apparences, elle élève l’homme au-dessus du monde matériel et, par là, tout à la fois, le libère de la servitude des sens et l’entraîne à contempler les réalités supérieures.

Si la philosophie, selon Platon, a l’ambition de satisfaire l’homme tout entier, ses exigences sont à la mesure de ses promesses : il faut se donner à elle aussi tout entier, et aller au vrai de toute son âme ; c’est une parole bien platonicienne que celle de saint Augustin à Romanianus, ipsum verum non videbis, nisi in philosophiam lotus intraveris. Contr. acad., II, m, 8, P. L., t. xxxii, col. 923. Surtout, il faut se purifier, car « il est défendu à ce qui n’est pas pur de toucher ce qui est pur », Phe’don, 67 b. Ce mot admirable, écho des mystères ou témoignage de l’âme naturellement chrétienne, a retenti dans toute la littérature patristique.

Tout le reste n’est que préparation, l’étude des mathématiques et de l’astronomie, les exercices du gymnase et la musique, toute V èyx.’jxX’, oc, Trx’.&s’.a doit entraîner l’âme à la contemplation du pur intelligible, lui faire aimer le Beau, lui apprendre à faire le Bien ; ce sont des étapes dont il faudra reconnaître 1’insufïisance, qui inviteront à monter plus haut, par de la toutes les différences, au-dessus de tout ce qui est sensible, vers les Idées qui sont les seuls êtres immuables. Cf. Zeller, Die Philosophie der Griechen, IIe part., t. i, 5e édit., p. 559 sq.

2. La conception d’une philosophie identifiée avec la recherche de la fin dernière devint vite familière aux chrétiens lettrés. « La philosophie fait-elle donc le bonheur ? — Oui, déclarait Justin, et elle seule. » Il conserva cette manière de voir même après sa conversion, mais alors la « philosophie », pour lui, ce fut le christianisme connu et vécu. Aussi déclarait-il que tous les hommes doivent « philosopher ». Dial., 2, 3, P. G., t. vi, col. 476 B, 481 A. Tatien, Eusèbe, parlent de même. « Il est plus facile, dit Clément d’Alexandrie, Slrom., II, v, P. G., t. viii, col. 953 C, à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche de… philosopher. » La philosophie est, pour lui, mèim chose que le « royaume de Dieu ». Pour Grégoire de Nysse, elle est la vie chrétienne en acte, Orat. catech., xvin, P. G., t. xlv, col. 56 A, plus spécialement la vie des cénobites et des anachorètes, De oirg., xxiii. t. xlvi, col. 405 B ; pour saint Augustin, Contra acad., ii, 2, 5, P. L., t. xxxii, col. 921, elle est « synonyme de vie chrétienne, de contemplation chrétienne ou simplement de christianisme ». C. Boyer, Christianisme et néoplatonisme dans la formation de saint Augustin, p. 156.

Cette manière de voir pouvait se recommander de Platon, pour qui la philosophie fut toujours l’activité la plus haute de l’âme, quand elle s’oriente vers l’audelà, du Platon de la dernière période surtout, qui dans le Sophiste, le Philèbe, le Timée, les Lois, insiste plus que jamais sur la note religieuse et, pour contrebattre les explications mécaniques de la nature, s’étend sur les preuves de l’existence de Dieu et sur la Providence qui gouverne le monde. Mais c’est seulement dans le platonisme moyen et le néoplatonisme, que se justifie une assertion comme celle de la Cité de Dieu : Non dubitat (Plato) hoc esse philosophari amare Dcum. Saint Augustin, De civitate Dei, VIII, viii, P. L., t. xli, col. 233.